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Révision d’un octroi de prestations aux personnes handicapées et conditions de rétroactivité

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 2 juin 2020, R.G. 2015/AN/156

Mis en ligne le lundi 28 décembre 2020


Cour du travail de Liège (division Namur), 2 juin 2020, R.G. 2015/AN/156

Terra Laboris

Par arrêt du 2 juin 2020, la Cour du travail de Liège (division Namur) fait application de la Charte en son article 17, alinéa 2 : dès lors qu’une révision du droit aux allocations pour personnes handicapées intervient, suite à une décision initiale entachée d’une erreur due exclusivement à l’institution de sécurité sociale, il n’y a pas d’effet rétroactif.

Les faits

Alors qu’elle bénéficiait d’indemnités de mutuelle depuis 1997, une assurée sociale introduit une demande d’allocations pour personnes handicapées en décembre 2004.

Diverses décisions sont intervenues entre 2005 et 2014 (révision d’office). Elle a contesté devant le tribunal les décisions initiales, datant de 2005, la première lui reconnaissant 8 points de perte d’autonomie et une réduction de sa capacité de gain et la seconde lui octroyant une allocation de remplacement de revenus de l’ordre de 9.800 euros, ainsi qu’une allocation d’intégration de 920 euros.

Seules dès lors sont en litige les décisions initiales, l’examen étant en conséquence circonscrit à la période du 1er janvier 2005 au 31 janvier 2014.

Un expert ayant été désigné par le tribunal du travail, le SPF Sécurité sociale a procédé à un recalcul des allocations en cours d’instance, introduisant une demande reconventionnelle par conclusions déposées au greffe en mai 2014. Celles-ci tendent à faire corriger le montant de l’allocation de remplacement de revenus à partir du 1er janvier 2012, et ce vu la perception d’arriérés d’indemnités de mutuelle. Il s’agit dans cette demande d’entendre dire pour droit que la décision rectificative qui a été prise suite à l’évolution du dossier est correcte, le SPF ne réclamant initialement pas un remboursement d’indu. Ceci est cependant le cas dans des conclusions additionnelles.

Le tribunal du travail, tout en entérinant les conclusions de l’expert désigné, a rouvert les débats aux fins de demander au SPF de fixer la base légale de la révision d’office intervenue le 1er juillet 2009 pour l’allocation de remplacement de revenus seule et au 1er janvier 2012 pour les deux allocations, les questions posées étant également relatives à la prescription.

Dans son jugement du 26 juin 2015, le tribunal du travail a déclaré cette demande non fondée, au motif que le litige médical ne concernait que l’allocation d’intégration et que la base légale de la révision n’était pas justifiée, celle-ci n’étant pas conforme à l’article 23 de l’arrêté royal du 22 mai 2003.

Se posaient également des questions en ce qui concerne les revenus pris en compte (étant d’autres revenus que ceux des avertissements-extraits de rôle).

En conséquence, le tribunal a accordé une allocation d’intégration de catégorie 2 après immunisation des revenus, et ce à dater du 1er juillet 2009. Celle-ci est de l’ordre de 3.600 euros.

Le SPF a interjeté appel de cette décision.

Position des parties devant la cour

Pour le SPF, le recours vise à la fois l’allocation d’intégration et l’allocation de remplacement de revenus. En outre, les décisions de révision qu’il a prises ont pour but d’éviter de générer un indu plus important.

Pour l’intimée, le litige médical ne concernait effectivement que l’allocation d’intégration comme retenu par le premier juge, vu que les conditions médicales de l’allocation de remplacement de revenus avaient toujours été admises. Rien ne justifie par ailleurs la révision au 1er juillet 2009 et l’intimée sollicite la confirmation du jugement.

Avis du Ministère public

Le Ministère public rappelle que les revenus pris en compte sont uniquement ceux repris sur l’avertissement-extrait de rôle, et ce même s’ils sont erronés. Le SPF ne pouvait dès lors en prendre d’autres en considération. En ce qui concerne le délai de prescription, celui-ci est de trois ans (article 16, § 1er, de la loi du 27 février 1987), étant ramené à un an lorsque le paiement résulte uniquement de l’erreur du service administratif (ou organisme) dont l’intéressé ne pouvait normalement se rendre compte.

La décision de la cour

La cour reprend en premier lieu les hypothèses de révision admises par la loi. Celles-ci sont reprises à l’article 23 de l’arrêté royal du 22 mai 2003. En outre, dans certains cas, le SPF peut revoir sa décision pendant une procédure (étant dans le délai d’introduction d’un recours ou – si un recours a déjà été introduit – jusqu’à la clôture des débats) si, à la date de prise de cours de l’allocation, le droit a été modifié par un nouveau texte, si un fait nouveau ou des éléments de preuve nouveaux sont invoqués en cours d’instance, ou si la décision administrative est entachée d’irrégularité ou d’erreur matérielle.

La cour en vient ensuite à la question des revenus, ceux-ci étant longuement détaillés à l’article 8 de l’arrêté royal du 6 juillet 1987. Les revenus sont uniquement ceux indiqués dans l’avertissement-extrait de rôle (avec renvoi à une abondante jurisprudence à cet égard, dont un arrêt de la Cour du travail de Liège – C. trav. Liège, sect. Liège, 9 novembre 2009, R.G. 36.085/2009).

La cour reprend un extrait de cette décision, qui elle-même renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 31 janvier 2005 (Cass., 31 janvier 2005, n° S.03.0046.F), qui a considéré que, puisque le texte de l’article 8 n’impose la prise en compte que des seuls revenus mentionnés sur l’avertissement-extrait de rôle, il n’y a pas lieu de retenir en sus des revenus d’origine étrangère qui n’y figurent pas.

Pour ce qui est de la saisine du juge, la cour rappelle que, depuis la modification du Code judiciaire (article 582, 1°), le juge peut tenir compte de modifications postérieures à la date de la décision, sans qu’il faille repasser par le préalable administratif. Renvoi est ici fait à l’arrêt de la Cour de cassation du 8 septembre 2003 (Cass., 8 septembre 2003, n° S.03.0019.N).

Elle examine enfin la question de la prescription, à propos de laquelle elle reprend l’article 16, § 1er, de la loi, qui régit la matière, s’agissant de la répétition d’allocations versées indûment.

En l’espèce, la cour constate que l’appel est circonscrit à la demande reconventionnelle uniquement. La matière étant d’ordre public, elle souligne que le juge doit tenir compte de nouveaux éléments, tels une modification de l’état de santé ou des revenus.

Pour ce qui est de la révision intervenue quant au montant de l’allocation de remplacement de revenus en 2009, il y a eu une erreur dans l’appréciation des revenus de l’intéressée en 2005 et ceci est dû au fait que l’avertissement-extrait de rôle 2003 indique un montant nul de revenus imposables globalement, ce qui est dû à l’imputation de pertes de l’activité du mari. La cour rappelle que ce sont les revenus effectifs de chacun des époux qui doivent être pris en considération. En conséquence, le SPF pouvait solliciter une révision de l’allocation de remplacement de revenus en 2009.

Pour ce qui est de la situation en 2012, où il a été procédé à la révision du montant de l’allocation de remplacement de revenus au 1er janvier, la cour reprend ici également les revenus figurant sur l’avertissement-extrait de rôle 2011 (modification 20% des revenus), avertissement-extrait de rôle qui n’a pas été modifié. La révision ne pouvait dès lors intervenir.

Subsiste cependant un indu et celui-ci résulte manifestement d’une erreur du SPF, qui a mal apprécié les revenus de l’intéressée en 2005. Lorsqu’il s’est aperçu en cours d’instance que celle-ci percevait des revenus, il a pris la première décision de révision. Pour la cour, ce faisant, il a appliqué l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social. La nouvelle décision ne peut dès lors rétroagir, le droit étant inférieur à ce que l’intéressée percevait. Reste encore à déterminer si elle aurait pu se rendre compte de l’erreur. Or, par son attitude, l’intéressée a démontré sa bonne foi, étant qu’elle a indiqué percevoir des indemnités de mutuelle et a joint son avertissement-extrait de rôle, les documents déposés ultérieurement n’ayant pas fait l’objet de réaction dans le chef du SPF.

La cour conclut dès lors que la demande reconventionnelle du SPF était partiellement fondée, vu qu’il pouvait faire revoir le montant de l’allocation au 1er juillet 2009 mais que cette révision n’entraîne pas d’indu, aux motifs ci-dessus.

Intérêt de la décision

La cour se penche essentiellement sur la saisine du juge et les conditions de la révision d’une décision d’octroi.

Sur la première question, la Cour de cassation avait considéré dans son arrêt du 8 septembre 2003 (Cass., 8 septembre 2003, n° S.03.0019.N) – ainsi que dans des arrêts précédents des 30 avril 2001 (n° S.00.0083.F) et 30 octobre 2000 (n° S.00.0026.N) – que les juridictions du travail saisies de contestations en matière d’allocations visées à l’article 8 de la loi du 27 février 1987 peuvent connaître des demandes fondées tant sur des faits qui se sont produits après la décision ministérielle que sur des faits que le Ministre n’a pas pris en considération lorsqu’il a pris une décision de révision, ainsi une modification de l’état de santé de l’intéressée.

Le juge peut donc, comme l’a rappelé la cour, tenir compte des modifications postérieures à la date de la décision sans qu’il faille repasser par le préalable administratif.

Pour ce qui est de la révision, la cour, qui s’est saisie de la question de l’allocation de remplacement de revenus alors que le recours ne portait sur l’allocation d’intégration, au motif que la matière est d’ordre public, a retenu une erreur dans l’appréciation initiale des revenus, qui autorise la révision. Constatant, cependant, que l’erreur est due uniquement au fait de l’institution de sécurité sociale, la cour fait application de l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social.

Relevons encore, en ce qui concerne la notion de revenus imposables pris en compte, que les revenus visés sont ceux propres à chacun des époux. La cour rappelle diverses décisions de jurisprudence, selon lesquelles la scission des revenus par l’attribution d’un quotient conjugal au conjoint ne peut être assimilée à l’attribution d’une quote-part des revenus au conjoint aidant d’un travailleur indépendant. Ce sont les revenus réels qui comptent.


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