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Décès d’une victime d’une maladie professionnelle : conditions d’octroi de la rente

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 28 février 2020, R.G. 2017/AL/309

Mis en ligne le lundi 28 décembre 2020


Cour du travail de Liège (division Liège), 28 février 2020, R.G. 2017/AL/309

Terra Laboris

Par arrêt du 28 février 2020, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle l’exigence d’un lien de causalité entre une maladie professionnelle reconnue et le décès de la victime de celle-ci, lien de causalité à charge des ayant droits.

Les faits

Un ancien mineur était indemnisé suite à une maladie professionnelle (anthracosilicose) depuis janvier 1976. Depuis cette date, le taux d’incapacité physique a été majoré à deux reprises, passant de 48% à 80% en 2007 et à 100% en 1984

Il est décédé en mars 2015 à l’âge de 83 ans.

La veuve a introduit une demande auprès de FEDRIS en vue d’obtenir une rente suite au décès. Ceci a été refusé, FEDRIS considérant que le décès n’avait pas été provoqué ou influencé par la maladie professionnelle.

Le jugement du tribunal

Une procédure ayant été introduite devant le Tribunal du travail de Liège, celui-ci a déclaré la demande non fondée par jugement du 20 janvier 2017, jugement dont appel.

Les arrêts de la cour du travail

La cour a rendu deux arrêts.

L’arrêt du 9 mars 2018

Cet arrêt accueille la demande sur le plan de la recevabilité et ordonne une expertise. Les conclusions de celle-ci sont que la maladie professionnelle a facilité et précipité le décès de l’intéressé.

L’arrêt du 28 février 2020

Les parties étant toujours opposées (l’appelante demandant l’entérinement du rapport d’expertise et FEDRIS en sollicitant l’écartement), la cour examine le nœud du litige, étant le lien entre la maladie professionnelle et le décès.

Les lois coordonnées du 3 juin 1970 contiennent, en leur article 33, un renvoi à la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, si la maladie a entraîné la mort de la victime. Les dispositions de la loi du 10 avril 1971 sont en effet plus explicites. Son article 12 prévoit que, si la victime meurt des suites de l’accident du travail, une rente viagère égale à 30% de sa rémunération de base est accordée à une série d’ayants droit, étant le conjoint non divorcé ni séparé de corps ou la personne qui cohabitait légalement avec la victime, soit au moment de l’accident, soit au moment du décès.

Pour cette deuxième catégorie (cohabitation au moment du décès), des conditions spécifiques figurent dans le texte : durée du mariage ou de la cohabitation légale, présence d’un enfant issu de ce mariage ou de cette cohabitation, présence d’un enfant à charge au moment du décès (avec perception des allocations familiales pour celui-ci) et situation du survivant (divorcé ou séparé de corps bénéficiant d’une pension alimentaire).

La cour reprend la règle en matière de preuve, étant qu’il appartient aux ayants droit de prouver le lien de causalité entre la maladie professionnelle et le décès, étant entendu que la maladie professionnelle ne doit pas être la cause unique de celui-ci mais qu’il suffit qu’elle ait facilité ou précipité le décès, étant que, sans la maladie, la victime ne serait pas morte au moment précis où elle est décédée (avec renvoi à la doctrine de P. DELOOZ et de D. KREIT, Les maladies professionnelles, Larcier, 2015, p. 57).

Sur le plan des principes encore, elle rappelle que, dès lors qu’existe une discussion d’ordre principalement médical, l’expert judiciaire va départager les opinions médicales divergentes des parties, pouvant lui-même avoir recours à des sapiteurs. Il convient, pour la cour, de faire confiance à l’avis d’ordre technique qui lui sera donné (sauf l’hypothèse d’erreurs de ce dernier).

En l’espèce – et la cour s’attache longuement à l’examen du rapport d’expertise ainsi qu’aux arguments des parties tirés de celui-ci –, elle retient (contrairement à FEDRIS, qui estime que le rapport d’expertise ne permet pas de démontrer que le décès est dû à la maladie professionnelle) que figure dans celui-ci une appréciation selon laquelle « parmi les différentes autres affections que présentait l’intéressé, la maladie professionnelle a facilité (la cour souligne) et précipité le décès ». Pour l’expert, le lien causal est certain.

A FEDRIS, qui soutenait que la stabilisation de la maladie était acquise depuis 2003, la cour oppose que l’intéressé bénéficiait alors d’un taux d’indemnisation de 100% et que l’on voit mal ce qu’il aurait pu réclamer en sus. En outre, ont été dûment constatées des difficultés respiratoires majeures ainsi qu’une expectoration importante de secrétions noirâtres, étant, pour l’expert, « comme du charbon ».

Sont pointées par l’expert deux causes du décès, étant d’une part des mélanoptysies – dont il souligne qu’elles sont des complications connues de la silicose pseudo tumorale – ainsi que de l’hypoxie, avec des difficultés respiratoires. Une contestation existant quant à l’origine de cette hypoxie, la cour rejette encore la position de FEDRIS, concluant que la maladie a facilité et précipité le décès. Le jugement est en conséquence réformé et la rente égale à 30% du salaire de base est allouée à la veuve, avec les intérêts. Ceux-ci sont dus à partir du lendemain du délai de 4 mois à dater de la demande, et ce conformément à l’article 20 de la Charte de l’assuré social.

Subsiste une dernière discussion, relative à l’indemnité de procédure, l’appelante fixant celles-ci à 349,80 euros, s’agissant d’un litige dont l’enjeu est supérieur à 2.500 euros. Elle se fonde dès lors sur le caractère évaluable en argent de sa demande. La discussion tourne autour du terme « évaluable » et la cour opte pour l’indemnité majorée, rappelant un arrêt de la Cour du travail de Liège du 16 janvier 2012 (R.G. 2011/AL/309), ainsi qu’un autre du 12 avril 2016 (R.G. 2015/AN/95). Selon cette jurisprudence, doit être considérée comme une demande tendant à une condamnation de sommes le recours dirigé contre une décision d’exclusion en matière de chômage, dans la mesure où le chômeur revendique un droit aux allocations. La même solution doit être adoptée en cas de recours par un travailleur indépendant contre une décision de l’I.N.A.S.T.I. lui refusant une pension, ainsi que pour les litiges en matière de pensions de retraite et de survie des travailleurs salariés, que le recours vise à contester une décision portant sur le refus de payer des prestations ou la récupération d’un prétendu indu.

Intérêt de la décision

Le lien de causalité entre la maladie professionnelle et le décès incombe, comme l’a relevé la cour, aux ayants droit, aucune présomption ne pouvant ici être invoquée. Pour ce qui est de l’indemnisation de ceux-ci, la matière des maladies professionnelles renvoie aux dispositions de la loi du 10 avril 1971 relative aux accidents du travail, qui sont telles quelles transposables.

Sur le plan de la charge de la preuve, la cour retient, à partir du principe de la pluricausalité, qu’il suffit, pour que le lien soit établi, que, parmi les différentes affections dont aurait souffert la victime de la maladie professionnelle, le décès ait été facilité et/ou précipité par celle-ci. Le critère n’est dès lors pas ici celui de la causalité déterminante et directe – qui fait souvent débat – exigée dans le cadre de la reconnaissance d’une maladie professionnelle hors liste. Le lien requis, en cas de décès, est d’ailleurs précisé par la doctrine à laquelle la cour s’est référée comme suit : il suffit que la maladie ait facilité ou précipité le décès, étant que, sans elle, la victime ne soit pas morte au moment précis où elle est décédée.


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