Terralaboris asbl

Conditions de la condamnation du préposé/mandataire en cas d’infraction au droit pénal social

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 février 2020, R.G. 2017/AB/598

Mis en ligne le lundi 28 décembre 2020


Cour du travail de Bruxelles, 19 février 2020, R.G. 2017/AB/598

Terra Laboris

Par arrêt du 19 février 2020, la Cour du travail de Bruxelles reprend les conditions de la mise en cause du préposé/mandataire en cas d’infraction au droit pénal social, tant en ce qui concerne les manquements au droit du travail qu’à la sécurité sociale et à la délivrance des documents sociaux.

Les faits

Un ouvrier de nationalité portugaise est engagé en 2013 par une société de droit portugais active dans le secteur de la construction. Il travaille comme ouvrier grutier, sans contrat de travail écrit. Il n’est pas assujetti à la sécurité sociale belge, quoique prestant exclusivement en Belgique.

La rupture du contrat de travail lui est notifiée quatre mois après son entrée, et ce pour motif grave. Une procédure est introduite par le travailleur licencié, devant le Tribunal du travail de Bruxelles, et celle-ci, initialement dirigée contre la société, fait l’objet d’une extension par citation en intervention forcée contre un tiers qui est intervenu dans les relations professionnelles pour compte de la société.

Par jugement rendu le 19 avril 2017, le tribunal a accueilli la demande, considérant que le contrat de travail était soumis au droit belge et que l’assujettissement à la sécurité sociale belge devait intervenir. Il a condamné la société au paiement des sommes réclamées, étant celles découlant de l’application de la loi relative aux contrats de travail et de l’obligation d’assujettissement à la sécurité sociale belge.

Appel est interjeté par le travailleur, qui a été débouté de sa demande en ce qu’elle concernait le tiers. Il sollicite la réformation du jugement en ce qu’il l’a débouté de ses prétentions contre celui-ci.

La décision de la cour

La cour constate que les condamnations et le dispositif du jugement ne sont pas contestés, seule étant soumise à la cour la discussion relative à la mise en cause du tiers, dont le demandeur originaire (appelant) demande la condamnation solidaire ou in solidum avec la société pour les sommes auxquelles celle-ci a été condamnée.

La cour va, dès lors, aborder la question de cette mise en cause. Elle entame son examen par un rappel des règles de prescription, tant ex contractu que ex delicto, avant de reprendre les obligations de l’employeur en matière de cotisations de sécurité sociale. Dès lors par ailleurs que l’employeur, son préposé ou mandataire n’a pas payé la rémunération du travailleur ou ne l’a pas payée à la date de son exigibilité, il y a une sanction dans le Code pénal social, de niveau 2. Pour ce qui est du non-respect des conventions collectives, dès lors qu’il y a infraction, la sanction est de niveau 1. La cour rappelle que le non-paiement d’une rémunération prévue par une convention collective peut être sanctionné pour non-paiement de la rémunération. Cette infraction pénale sanctionnée d’une peine correctionnelle. La cour rappelle encore les obligations patronales en matière de pécules de vacances et les sanctions pénales liées au non-paiement de ceux-ci, ainsi qu’en cas de non-délivrance des documents requis par l’arrêté royal organique chômage et celles prévues lorsque l’employeur n’a pas mentionné les renseignements que doit contenir le décompte remis au travailleur lors de chaque règlement définitif de la rémunération. Enfin, viennent les règles relatives à la nature du délit (délit instantané ou délit collectif) et à l’élément moral de l’infraction (ainsi qu’à la cause de justification)

Mais c’est surtout à la question de la responsabilité des dirigeants d’entreprise/mandataires que la cour s’attache, eu égard au litige qui lui est soumis.

Le principe en la matière est que les dirigeants d’une entreprise bénéficient d’une quasi-immunité à l’égard des tiers, que ce soit sur le plan contractuel ou sur le plan quasi-délictuel, la cour renvoyant à un arrêt de la Cour de cassation du 7 novembre 1997 (Cass., 7 novembre 1997, n° C.96.0272.F). Ceci sauf si la responsabilité pénale du dirigeant est engagée, la cour renvoyant ici à plusieurs arrêts de la Cour de cassation, dont celui du 11 septembre 2011 (Cass., 11 septembre 2001, n° P.99.1742.N). Lorsque, dans le cadre de son mandat, l’organe ou le mandataire d’une société commet une faute personnelle constituant un délit, cette faute l’oblige à réparer en personne.

En matière de paiement de rémunération, la Cour de cassation est intervenue dans un arrêt du 22 janvier 2007 (Cass., 22 janvier 2007, n° S.05.0095.N). La cour du travail rappelle que, si des discussions sont intervenues quant à la position de la Cour suprême, qui a admis que l’action puisse être introduite non seulement à l’égard de l’employeur mais également du préposé ou du mandataire qui s’est rendu coupable de l’infraction au sens de l’article 42 de la loi du 12 avril 1965, les juridictions de fond adoptent l’interprétation qu’elle a donnée.

Une demande de condamnation au paiement d’arriérés de rémunération introduite contre des administrateurs et gérants peut dès lors être accueillie, si la responsabilité pénale est engagée. La cour renvoie à plusieurs décisions de jurisprudence à cet égard, soulignant cependant qu’une telle action n’a pas été admise contre le liquidateur d’une A.S.B.L. au motif que les éléments constitutifs de l’infraction n’étaient pas réunis (renvoyant à un arrêt inédit de la Cour du travail de Bruxelles du 31 janvier 2012, R.G. 2006/AB/48.901).

Enfin, bouclant le rappel des principes sur la question, la cour renvoie encore à l’arrêt de la Cour de cassation du 22 octobre 2014 (Cass., 22 octobre 2014, n° P.14.0980.F), qui a décidé que la cause d’excuse absolutoire (article 5, alinéa 2, du Code pénal) au profit de l’auteur de la faute la plus légère n’a pas d’incidence sur le fondement de l’action civile exercée contre lui, puisque toute faute – si légère soit-elle – oblige celui l’a commise à réparer le dommage qui en a résulté.

La cour se penche, dès lors, sur les éléments du dossier aux fins de vérifier si les conditions de la mise en cause du tiers sont réunies. L’ouvrier a été engagé par celui-ci en sa qualité de mandataire de la société de droit portugais. Celui-ci disposait d’un mandat général pour représenter cette société et c’est dès lors à lui qu’il incombait de veiller au respect de la législation belge (législation sociale). La qualité de mandataire au sens du droit pénal social doit dès lors être retenue.

La cour s’écarte, après un examen minutieux des pièces et arguments des parties, de la position du premier juge, qui avait considéré que la société était gérée directement depuis le Portugal par une autre personne. Elle constate que le mandat donné au tiers en l’espèce n’était pas limité à sa représentation en Belgique et que d’ailleurs aucune autre personne n’est intervenue dans la gestion de la société. Elle conclut que les infractions pénales ci-dessus peuvent être imputées à l’intéressé en sa qualité de mandataire et qu’il doit, en conséquence, être condamné in solidum avec la société de droit portugais au paiement des arriérés de rémunération et des pécules de vacances. Ceci ne vaudra pas pour les autres chefs de demande non sanctionnés pénalement (indemnité compensatoire de préavis, indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable). Pour ce qui est des documents, la sanction in solidum vaut également pour la délivrance du formulaire C4 et des fiches de paie, mais non pour l’attestation de travail.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’évolution des sanctions en droit pénal social, actuellement coulées dans le Code de droit pénal social. Celles-ci visent essentiellement le non-paiement à l’O.N.S.S. par l’employeur, le préposé ou le mandataire des cotisations de sécurité sociale, le non-paiement de la rémunération ou son non-paiement à la date de son exigibilité, le non-respect des dispositions d’une convention collective rendue obligatoire, le non-paiement des pécules de vacances, ainsi que l’absence d’établissement ou de délivrance (avec les mentions requises) des documents prescrits par l’arrêté royal chômage ainsi que des fiches de paie.

Les autres chefs de demande, consécutifs à la rupture, n’étant pas sanctionnés pénalement, la condamnation du mandataire ou préposé ne peut intervenir.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be