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Personnel provincial et accident du travail : rappel de la procédure administrative et judiciaire

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 11 mars 2020, R.G. 2019/AL/17

Mis en ligne le vendredi 15 janvier 2021


Cour du travail de Liège (division Liège), 11 mars 2020, R.G. 2019/AL/17

Terra Laboris

Dans un arrêt du 11 mars 2020, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle la distinction à opérer sur le plan administratif et judiciaire entre le recours en première évaluation des séquelles d’un accident du travail et l’action en révision de celles-ci.

Les faits

Une travailleuse du secteur public a été victime d’un accident du travail le 18 mars 2014. Elle n’a pas marqué accord avec les conclusions d’expertise médicale du MEDEX (consolidation des lésions le 23 mai 2016 sans incapacité permanente), conclusions notifiées le même jour. Un « appel » a été introduit devant le MEDEX lui-même, qui a confirmé ses premières conclusions, aucun rapport médical circonstancié contestant celles-ci n’ayant été soumis.

Le MEDEX a informé l’employeur (administration provinciale) des deux conclusions. Celui-ci a notifié une décision de guérison sans incapacité permanente le 25 avril 2017, par un recommandé du lendemain. Cette décision est intervenue après l’introduction de la demande en justice, en date du 7 mars 2017.

Les jugements du tribunal

Le tribunal a rendu deux décisions, demandant la production de pièces et, ensuite, désignant un expert. La mission qui lui a été confiée est une mission en révision pour aggravation. Il s’agit du jugement a quo.

La décision de la cour

Sur le plan de la recevabilité, la cour relève qu’il s’agit d’un jugement mixte et que l’appel est dès lors recevable.

Pour ce qui est de son fondement, elle reprend longuement le mécanisme légal, étant, pour ce qui est de la loi du 3 juillet 1967, ses articles 19 et 20, qui disposent respectivement que les contestations en la matière sont déférées à l’autorité judiciaire compétente pour connaître des actions relatives aux indemnités prévues par la loi et que la prescription est de trois ans à dater de la notification de l’acte juridique administratif contesté.

Par « acte administratif », il faut entendre, selon la cour, toute décision qui serait prise par l’employeur ou par le service de santé administratif (actuellement MEDEX) pendant la durée de la procédure.

L’arrêté royal d’exécution applicable est celui du 13 juillet 1970. Depuis sa modification le 1er juillet 2014, son article 9 prévoit la procédure à suivre en cas d’incapacité temporaire de travail selon qu’elle est égale ou supérieure à 30 jours calendrier, ou encore inférieure à cette durée, ainsi qu’en présence ou en l’absence d’un pourcentage d’incapacité permanente.

Si un pourcentage est retenu, l’autorité doit vérifier si les conditions d’octroi des indemnités sont réunies, examinant les éléments du dommage, l’opportunité d’augmenter le pourcentage d’incapacité fixé par le service médical et proposant une rente (la proposition devant mentionner la rémunération de base, la nature de la lésion, la réduction de capacité et la date de consolidation). En l’absence d’incapacité permanente, il y a notification par voie recommandée d’une décision de déclaration de guérison sans I.P.P.

La cour relève que la version précédente ne faisait pas de différence, pour ce qui est de la durée de l’incapacité temporaire, et qu’elle prévoyait l’envoi d’une proposition d’accord, peu importe qu’une I.P.P. soit retenue ou non.

Elle poursuit, pour ce qui est de la procédure, que, s’il y a accord de la victime (ou des ayants droit), la proposition est reprise dans une décision de l’autorité et que celle-ci est notifiée par voie recommandée.

En outre, pour ce qui est de la révision de la décision, l’article 11 précise que, dans les trois ans à dater de la notification de celle-ci, l’autorité et le bénéficiaire peuvent introduire une demande de révision des rentes fondée sur une aggravation ou une atténuation de l’incapacité de la victime ou sur son décès, ou encore sur une modification de la nécessité de l’aide régulière de tiers.

Pour ce qui est de la procédure administrative, celle-ci est reprise dans l’arrêté royal en première évaluation (articles 6 à 10) et en révision (articles 11 à 17). L’arrêté royal n’organise cependant pas la procédure judiciaire.

A l’employeur, qui considère qu’en cas de décision de guérison sans séquelles, la procédure prévoit la prise de cours d’un délai de révision de trois ans, la cour oppose qu’il y a là confusion entre la procédure judiciaire et la procédure administrative.

En effet, en cas de désaccord de la victime avec l’acte administratif, celle-ci peut introduire une action en justice, sur la base de l’article 19 de la loi, qui a une portée générale (la cour renvoyant ici à la doctrine de F. LAMBRECHT, « La déclaration, la procédure administrative et la procédure en révision », in Les accidents du travail dans le secteur public, S. GILSON (coord. scient.), Anthémis, 2015, p. 130).

Si l’employeur conclut à partir de la décision du MEDEX à une guérison sans I.P.P., il n’y a plus actuellement de proposition à notifier à la victime en vue d’obtenir ou non son accord. L’employeur prend dans ce cas une décision unilatérale et la cour constate qu’en l’espèce, elle a été prise postérieurement à l’introduction du recours. Cette décision doit être précédée par la décision médicale du MEDEX. La cour souligne au passage que la procédure « d’appel » organisée au sein du MEDEX est une procédure interne qui ne repose sur aucune base légale ou réglementaire (renvoyant encore ici à l’article de F. LAMBRECHT ci-dessus).

Il n’y a, en conséquence, aucun obstacle à l’introduction d’une action judiciaire en première évaluation contre une décision de guérison sans séquelles prise en application de l’article 9, § 3, alinéas 1er et 3, de l’arrêté royal. La cour renvoie ici à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 8 novembre 2011 (C. trav. Mons, 8 novembre 2011, Chron. D. S., 2013, p. 324) ainsi qu’à un précédent, rendu par la Cour du travail de Bruxelles le 18 avril 1983 (C. trav. Bruxelles, 18 avril 1983, Chron. D. S., 1984, pp. 159 et s., avec commentaire de B. GRAULICH, « Les délais d’action en réparation d’un accident du travail dans le secteur public »), où il est bien fait la distinction, selon la Cour du travail de Liège, entre l’action judiciaire en contestation et en paiement des indemnités et la demande administrative, l’auteur de la note ayant souligné le caractère très général de l’article 19 de la loi.

L’employeur ne peut, dès lors, limiter le recours à une action en révision. La cour s’écarte ici de la position du premier juge, constatant en outre qu’il y aurait modification de l’objet de la demande. En outre, la cour renvoie à un arrêt de la Cour constitutionnelle du 18 juin 2009 (C. const., 18 juin 2009, n° 102/2009), où la distinction a été faite entre l’action en contestation d’une décision de guérison sans séquelles et l’action en révision de celle-ci. La question préjudicielle posée à la Cour portait sur la comparaison de l’article 20 de la loi applicable dans le secteur public et de l’article 72, alinéa 2, de la loi du 10 avril 1971 (ceci dans sa version en vigueur jusqu’à son abrogation par la loi du 21 décembre 2013). Renvoyant également à la doctrine (M. JOURDAN et S. REMOUCHAMPS, La réparation des séquelles de l’accident (sur le chemin) du travail, Kluwer, 2007, pp. 327 et s.), la cour note que la problématique a également été discutée dans le secteur privé. Elle souligne encore qu’une telle action (en révision) serait vouée à l’échec, puisque la demanderesse n’invoque aucune modification de son état de santé.

Il y a dès lors lieu de réformer le jugement et la cour désigne un nouvel expert.

Statuant dans le cadre de l’évocation de l’affaire en application de l’article 1068 du Code judiciaire, elle examine encore le fond, étant le renversement de la présomption de causalité, l’employeur devant prouver avec le plus haut degré de vraisemblance l’absence de lien entre la lésion et l’événement soudain.

Intérêt de la décision

C’est bien sûr sur la procédure administrative et la procédure judiciaire dans le cadre de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 que cet arrêt est important.

Il rappelle à juste titre que, si la procédure administrative est organisée par le texte, la procédure judiciaire est quant à elle prévue par l’article 19 de la loi du 3 juillet 1967, qui a une portée générale. Celle-ci a d’ailleurs été rappelée par la doctrine citée dans l’arrêt, étant la contribution de B. GRAULICH (B. GRAULICH, « Les délais d’action en réparation d’un accident du travail dans le secteur public », note sous C. trav. Bruxelles, 18 avril 1983, in Chron. D. S., 1984, pp. 159 et s.).

Il sur le plan de la procédure administrative, la cour a souligné que la procédure médicale « d’appel » est une procédure interne qui ne repose sur aucune base légale ou réglementaire. Il ne peut dès lors être fait grief à la victime d’un accident de ne pas y avoir recouru et la cour a encore relevé à cet égard qu’elle ne peut être invoquée pour compléter ou suppléer la procédure et l’arsenal de recours dont dispose légalement la victime.

L’arrêt rappelle encore les modifications intervenues dans le texte de l’arrêté royal depuis le 1er juillet 2014, renvoyant à l’exposé des motifs du projet de loi ainsi qu’à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 22 septembre 2014 (C. trav. Bruxelles, 22 septembre 2014, R.G. 2012/AB/891 – précédemment commenté). Rappelons en substance que, dans cet arrêt, la Cour du travail de Bruxelles avait repris les règles applicables concernant la prescription, étant les termes de l’article 20, 1er alinéa, de la loi du 3 juillet 1967 applicable dans le secteur public, selon lequel les actions en paiement des indemnités se prescrivent par trois ans à dater de la notification de l’acte juridique administratif contesté. Renvoyant à la circulaire n° 457 du SPF Fonction publique du 10 février 1998, la cour ajoute que l’on entend par là toute décision qui serait prise par l’employeur ou le service médical pendant la durée de la procédure administrative. Selon la Cour de cassation (Cass., 4 juin 2007, n° S.06.0082.F), la décision administrative peut consister dans la proposition du service médical lorsque la demande en paiement des indemnités est introduite avant que la décision soit prise par l’autorité. Ces deux types de décision peuvent constituer le point de départ du délai de prescription, ce qui implique que le moment où le délai de prescription commence à courir peut être différent selon la décision administrative contestée.


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