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Charte de l’assuré social : effectivité de l’obligation d’information et de conseil dans le chef des institutions de sécurité sociale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 30 avril 2007, R.G. 45.205

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 30 avril 2007, R.G. n° 45.205

TERRA LABORIS ASBL – Sandra Cala

Dans un arrêt du 30 avril 2007, la Cour du travail de Bruxelles, fait une application stricte des obligations mises par la Charte de l’assuré social aux institutions de sécurité sociale : un défaut d’information ou de conseil susceptible de causer un préjudice à une personne handicapée est un manquement et doit être réparé en nature.

Les faits

Un assuré social, qui bénéficiait à la fois d’allocations pour personnes handicapées et d’indemnités d’incapacité de travail, notifia en mars 1998 un changement d’adresse, par voie recommandée, à l’institution de sécurité sociale.

L’année précédente, l’Etat avait statué par plusieurs décisions sur son droit à des allocations. Suite à un recours introduit devant le tribunal du travail contre ces décisions, un jugement avait été rendu le 8 septembre 1999, le tribunal considérant, entre autres, qu’il ne pouvait pas examiner l’octroi d’une allocation au taux isolé parce que cette demande dépassait sa saisine au regard de l’article 807 du Code judiciaire. Il débouta donc l’intéressé de son action et celui-ci n’interjeta pas appel.

En janvier 1999, il introduisit une nouvelle demande d’allocations et, sur son formulaire, en juin 1999, il signala qu’il vivait seul depuis le 1er avril 1998 et demanda les allocations au taux réservé aux personnes isolées.

L’Etat belge prit alors plusieurs nouvelles décisions en novembre 1999 : l’allocation de remplacement de revenus au taux isolé fut refusée avec effet au 1er juillet 1999, les revenus portés en compte dépassant le montant barémique accepté et l’allocation d’intégration étant accordée en catégorie II, avec des montants différents au 1er février 1999 et au 1er juillet 1999.

Ultérieurement, en mars 2001, suite à une nouvelle demande qui sortit ses effets au 1er juin 2000, il y eut également refus de l’allocation de remplacement de revenus au taux isolé et octroi d’une allocation d’intégration en catégorie II (maintien de la décision de novembre 1999 sur ce point).

La position du tribunal

Le tribunal du travail considéra, par jugement du 28 janvier 2004, que l’intéressé devait être considéré comme isolé à partir du 1er avril 1998 et qu’il avait droit à partir de cette date au montant barémique de l’allocation d’intégration en catégorie I. Il condamna l’Etat belge aux arriérés sur cette base.

La position des parties en appel

L’Etat belge interjeta appel, demandant confirmation de sa décision, étant que l’octroi de l’allocation au taux isolé ne pouvait intervenir qu’au 1er février 1999. Il faisait valoir que, dans son premier jugement du 8 septembre 1999, jugement qui aurait autorité de chose jugée sur la question, le tribunal n’avait pas statué sur la demande de l’intéressé relative au paiement des allocations au taux isolé à partir du 1er avril 1998, mais aurait, au contraire, expressément refusé d’examiner la demande, au motif que celle-ci excédait sa saisine.

L’intéressé demandait la confirmation du jugement mais la modification de catégorie, l’allocation d’intégration devant être payée en catégorie II.

La position de la Cour

La Cour rappelle que, en application des articles 23, 24 et 25 du Code judiciaire, il ne suffit pas, pour faire obstacle à la réitération d’une demande en raison de l’autorité de chose jugée, que celle-ci ait déjà été introduite dans un autre procès, que les parties aient pu s’expliquer sur son fondement et qu’un jugement ait été rendu ; il faut encore que le juge ait statué sur cette demande, à savoir que la chose ait été jugée et que la décision soit définitive. La Cour constate qu’il n’y a aucune décision définitive sur le taux des allocations à partir du 1er avril 1998 et que le jugement du 8 septembre 1999 ne peut dès lors être revêtu de l’autorité de chose jugée sur ce point.

Saisies de cette demande par requête du 7 février 2000, les juridictions du travail doivent dès lors trancher cette question.

Sur le fond, l’arrêté royal du 6 juillet 1987 sur l’allocation de remplacement de revenus et l’allocation d’intégration (art. 14bis, §2 en vigueur à l’époque) prévoit que les mentions du registre national des personnes physiques font foi jusqu’à preuve du contraire. Quoique inscrit dans les registres à partir du 9 juillet 1998, l’intéressé établit le changement de domicile à une date antérieure, étant le 1er avril 1998.

La Cour va dès lors considérer, sur la base de l’ensemble des éléments du dossier, que l’Etat a, ici, commis un manquement aux dispositions de la Charte de l’assuré social. En effet, les articles 3 et 4 de la Charte prévoient que les institutions de sécurité sociale sont tenues de fournir à l’assuré social qui en fait la demande écrite toute information utile concernant ses droits et obligations, ainsi que de communiquer sur l’initiative de l’assuré social tout complément d’information nécessaire à l’examen de sa demande ou au maintien de ses droits. Elles sont également tenues de conseiller l’assuré social qui le demande sur l’exercice de ses droits ou l’accomplissement de ses devoirs et obligations.

Selon la Cour, un avis écrit de changement d’adresse peut constituer la demande écrite de renseignements visée et l’Etat belge, qui reçoit cet avis écrit doit, si ce changement est susceptible d’entraîner des conséquences sur les droits et obligations de la personne handicapée, traiter cet avis comme une demande de renseignements. Ceci vaut, même si les dispositions en vigueur à l’époque ne permettaient pas d’interpréter cet écrit comme une demande de révision et si elles n’obligeaient pas l’Etat belge à revoir d’office les allocations. N’ayant pas agi de la sorte, l’Etat belge est responsable d’un manquement aux dispositions de la Charte, puisqu’il aurait dû informer immédiatement l’intéressé de ce qu’il devait introduire une demande en révision en bonne et due forme auprès de son administration communale. Ce faisant, l’Etat aurait permis à celui-ci de bénéficier des allocations au taux isolé depuis le 1er avril 1998. Il y a dès lors lieu à réparer en nature les conséquences de ce manquement, c’est-à-dire d’allouer les allocations à partir de cette date.

Intérêt de la décision

Les obligations des institutions de sécurité sociale en matière d’information et de conseil visées par la Charte de l’assuré social sont en général très peu abordées en jurisprudence.
Cet arrêt constitue une avancée importante pour l’application effective des garanties que celle-ci assure.

Un avis de changement d’adresse dûment notifié peut donc, au sens de la Charte, imposer à l’institution de sécurité sociale d’informer l’assuré social de l’incidence de cette situation nouvelle sur l’étendue de ses droits.


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