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Budget AViQ d’assistance personnelle : examen de la légalité de la réglementation

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 10 juin 2020, R.G. 2019/AL/26

Mis en ligne le vendredi 29 janvier 2021


Cour du travail de Liège (division Liège), 10 juin 2020, R.G. 2019/AL/26

Terra Laboris

Dans un arrêt du 10 juin 2020, examinant les conditions d’octroi du budget d’assistance personnelle (BAP) prévu par le Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé, la Cour du travail de Liège (division Liège) pose la question de la légalité de l’arrêté ministériel du 4 mai 2017 fixant les priorités d’octroi de ce budget.

Les faits

Une assurée sociale introduit en avril 2017 une demande de budget d’assistance personnelle auprès de l’AViQ.

La réponse de l’institution est positive, l’intéressée remplissant les conditions légales. Cependant, son dossier est mis sur une liste d’attente, eu égard aux crédits disponibles et aux critères de priorité.

Elle introduit une demande de réexamen de son dossier, joignant de nouveaux éléments médicaux. Suite à celle-ci, la décision initiale est maintenue.

Un recours étant introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège), un expert a été désigné aux fins de préciser si la maladie dont l’intéressée est atteinte peut être assimilée à une dégénérescence cortico-basale (étant un des critères de priorité d’octroi d’un budget d’assistance personnelle en vertu d’un arrêté ministériel du 4 mai 2017).

L’AViQ interjette appel.

La décision de la cour

La cour examine le Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé, en ce qu’il prévoit un budget d’assistance personnelle. Il s’agit d’un « droit de tirage » calculé sur une base annuelle destiné à couvrir la prise en charge financière de tout ou d’une partie des frais d’assistance personnelle de la personne handicapée ainsi que la coordination de celle-ci. Les priorités d’octroi sont décidées par le ministre et, pour l’année 2017, un arrêté ministériel du 4 mai a prévu six critères relatifs à des maladies évolutives permettant l’octroi d’un budget d’assistance personnelle dans les limites des crédits disponibles. La dégénérescence en cause fait partie de ceux-ci. A partir de l’année 2019, une seconde priorité est prévue.

La cour constate, sur le plan des chiffres, que le budget annuel est constant, étant de 3.150.000 euros. Le budget par personne est de l’ordre de 8.200 euros si le bénéficiaire nécessite une aide de jour et de 16.000 euros pour une aide de jour et de nuit (chiffres arrondis).

La cour constate qu’il n’y a pas de liste d’attente pour la première priorité, contrairement à la seconde, et que l’ordre chronologique des demandes est respecté.

Sur le fond, deux critères sont mis à l’octroi du BAP, étant un critère d’ordre budgétaire ainsi qu’un élément médical.

Le litige est d’ordre médical en l’espèce, dans la mesure où l’AViQ soutient, avec renvoi à un rapport de son médecin-conseil, que la demanderesse n’est pas atteinte d’une des maladies visées dans les conditions d’octroi alors que celle-ci dépose un rapport de son médecin selon lequel sa maladie est assimilable à l’une de celles qui sont reprises à l’arrêté ministériel.

Par ailleurs, l’AViQ soutient que, vu la limite des crédits disponibles, seuls peuvent être accordés des budgets pour les personnes handicapées qui présentent une des maladies visées et l’Agence souligne à cet égard que l’aspect budgétaire n’est pas de la compétence du pouvoir judiciaire, une assimilation ne pouvant dès lors être admise.

Pour la cour, la question budgétaire est un fait. Cependant, la détermination des priorités d’octroi n’échappe pas au contrôle judiciaire, la cour renvoyant à l’article 159 de la Constitution et précisant que les règles constitutionnelles d’égalité et de non-discrimination n’excluent pas qu’une différence de traitement soit établie selon certaines catégories de personnes pour autant que le critère de différenciation soit susceptible de justification objective et raisonnable. Si le juge ne peut se prononcer sur l’opportunité de la réglementation, il entre dans sa mission de vérifier si, dans un cas particulier, l’administration a respecté le principe d’égalité et de non-discrimination.

La question est dès lors de savoir si la liste est limitative ou si, dans l’hypothèse d’une maladie qui ne figure pas dans l’arrêté ministériel, il faut soit exclure l’octroi du budget, soit l’autoriser, dans la mesure où la distinction ne se justifierait pas.

Les maladies visées pouvant être nombreuses, la cour précise ne pas comprendre pourquoi le choix ne se porterait que sur six d’entre elles et surtout pourquoi celles-ci ne pourraient être considérées comme une classification autorisant l’assimilation d’autres maladies semblables. La cour constate que l’AViQ ne s’explique pas sur ces questions.

Rappelant les articles 10 et 11 de la Constitution, elle reprend les règles en matière d’égalité, en ce que ces dispositions n’excluent pas qu’une distinction soit faite entre des catégories de personnes pour autant que le critère adopté soit susceptible de justification objective et raisonnable, celle-ci devant s’apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure.

Il en découle que les critères retenus pour l’élaboration de la liste ne sont ni révélés ni justifiés et que, en conséquence, le rapport raisonnable de proportionnalité est invérifiable.

La cour ordonne dès lors la réouverture des débats.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, intervient essentiellement un débat relatif à la compétence du pouvoir judiciaire. En effet, sur cette question spécifique du BAP (Budget d’Assistance Personnelle), prévu par le Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé, figurent deux critères (pour l’année 2017), étant une limite des crédits et une série de situations médicales admises comme ouvrant automatiquement le droit à l’octroi de celui-ci. Ces critères visent tous des maladies (certains types de sclérose, d’atrophie, de dégénérescence et de paralysie). Il s’agit de maladies évolutives.

La cour est confrontée, sur la question, d’une part au texte de l’arrêté ministériel et d’autre part au contrôle des normes conformément à l’article 159 de la Constitution et à ses articles 10 et 11. Elle rappelle qu’une distinction peut être faite entre certaines catégories de personnes, à la condition d’une justification objective et raisonnable. Le juge doit, dans cet examen, procéder à un contrôle de proportionnalité. Se pose dès lors, ainsi que le précise la cour, et ce même si la liste de l’arrêté ministériel avait un caractère limitatif, un contrôle d’égalité entre les bénéficiaires envisagés. Le débat, à ce stade, reste ouvert, la cour posant une question essentielle, étant celle de la légalité de l’arrêté ministériel en cause.

Affaire à suivre donc…


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