Terralaboris asbl

Allocations aux personnes handicapées et condition de nationalité

C. trav. Bruxelles, 8 juin 2020, R.G. 2019/AB/195

Mis en ligne le vendredi 12 février 2021


Cour du travail de Bruxelles, 8 juin 2020, R.G. 2019/AB/195

Terra Laboris

Dans un arrêt du 8 juin 2020, la Cour du travail de Bruxelles confirme la contrariété de l’article 4 de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées avec le droit européen, étant l’article 29 de la Directive n° 2011/95/UE.

Les faits

Une personne de nationalité syrienne, mariée à un syrien, introduit une demande d’asile en octobre 2011. Elle n’a pas été reconnue par le C.G.R.A. comme réfugiée mais comme titulaire de la protection subsidiaire. Elle est dès lors inscrite au registre des étrangers depuis le mois suivant la décision. Son mari a quant à lui obtenu la qualité de réfugié. En 2015, l’intéressée a sollicité le bénéficie des allocations aux personnes handicapées. Les conditions légales sont réunies, d’après l’avis du médecin délégué par l’Etat belge, tant pour l’allocation de remplacement de revenus que pour l’allocation d’intégration. Les allocations lui sont cependant refusées au motif de la condition de nationalité.

Vu l’obtention du statut de réfugié par son conjoint, l’intéressée s’est cependant vu accorder les deux allocations environ dix-huit mois plus tard.

Un recours a été introduit devant le tribunal du travail. Par jugement du 15 février 2019, celui-ci a dit pour droit que le recours était sans objet à partir de la reconnaissance du statut de réfugié dans le chef du mari mais que celle-ci n’ouvrait pas le droit aux prestations pour une période antérieure. Il a été réservé à statuer, dans l’attente d’une décision de la Cour de cassation.

La décision de la cour

Suite à l’appel interjeté par la demanderesse originaire, la cour résume la position des parties. L’appelante estime qu’elle a droit aux allocations aux personnes handicapées eu égard à son statut de protection subsidiaire et considère également que, le statut de réfugié ayant un effet déclaratif, son droit est en tout cas acquis pour une partie de la période de ce chef.

L’Etat belge conteste le droit de l’intéressée aux allocations.

La cour rend dès lors sa décision. Celle-ci est essentiellement motivée en droit, un rappel complet étant fait des principes. Après avoir repris le texte de la réglementation interne, elle en vient à l’examen de la Directive n° 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection.

La cour en reprend quelques articles (dont l’article 29, inclus dans le chapitre VII, concernant la protection sociale) ainsi que le considérant 45.

Il est souligné qu’afin d’éviter des difficultés sociales, il est opportun que les bénéficiaires d’une protection internationale se voient accorder, sans discrimination, dans le cadre de l’assistance sociale, une protection sociale et des moyens de subsistance adéquats. Les modalités et détails de l’octroi des prestations essentielles doivent être déterminés par le droit national. La possibilité de limiter l’assistance aux prestations essentielles doit cependant s’entendre comme couvrant au minimum l’octroi d’une aide sous la forme d’un revenu minimal, d’une aide en cas de maladie ou de grossesse et d’une aide parentale, dans la mesure où de telles prestations sont accordées aux ressortissants au titre du droit national.

La Directive n° 2003/109, abrogée par la Directive n° 2011/95/CE, faisait, comme le rappelle la cour, déjà référence au concept de prestations essentielles et prévoyait à cet égard qu’en matière d’aide sociale et de protection sociale, les Etats membres peuvent limiter l’égalité de traitement à celles-ci. La cour du travail renvoie à l’arrêt KAMBERAJ de la Cour de Justice (C.J.U.E., 24 avril 2012, Aff. n° C-571/10, KAMBERAJ c/ ISTITUTO PER L’EDILIZIA SOCIALE DELLA PROVINCIA AUTONOMA DI BOLZANO (IPES) e.a.) et en reproduit de larges extraits. Il en découle que les Etats membres avaient jusqu’au 21 décembre 2013 au plus tard pour rendre leurs dispositions législatives réglementaires et administratives nécessaires conformes aux dispositions de la Directive.

La cour rappelle encore l’arrêt SHAH AYUBI (C.J.U.E., 21 novembre 2018, Aff. n° C-713/17, SHAH AYUBI c/ BEZIRKSHAUPTMANNSCHAFT LINZ-LAND), dont l’enseignement s’applique par analogie aux personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire. Les principes y ont été reprécisés et, notamment, l’obligation pour les Etats membres, même s’ils bénéficient d’une certaine marge d’appréciation, notamment quant à la détermination du niveau d’assistance sociale qu’ils estiment nécessaire, d’assurer à tout réfugié auquel est octroyée sa protection le bénéfice de la même assistance sociale que celle prévue pour ses ressortissants. Cette obligation est une obligation de résultat précise et inconditionnelle et elle figure dans le texte en des termes dépourvus d’équivoque. La Cour de Justice avait conclu qu’un réfugié peut invoquer devant les juridictions nationales l’incompatibilité d’une réglementation telle que celle qui lui était soumise avec l’article 29, § 1er, de la Directive n° 2011/95/CE afin que la restriction de ses droits que comporte cette réglementation soit écartée.

Après ce rappel des principes de droit communautaire, la cour passe à leur application au litige. La question à trancher est de décider de la conformité de la disposition de droit interne à la Directive n° 2011/95/CE, particulièrement à son article 29, la protection subsidiaire rentrant dans la notion de protection internationale.

Il faut dès lors examiner (i) si les allocations aux personnes handicapées constituent une assistance sociale au sens de l’article 29.1, (ii), en cas de réponse positive, si la Belgique a fait usage de la possibilité offerte par l’article 29.2 de déroger à la règle en limitant aux prestations essentielles l’assistance sociale accordée aux bénéficiaires du statut conféré par la protection subsidiaire, et encore (iii) si des allocations aux personnes handicapées répondent à cette notion de prestations essentielles.

Les développements faits par la cour portent essentiellement sur la transposition de la Directive. Elle examine diverses lois ayant pu être les instruments de cette transposition (loi du 8 mai 2013 modifiant celle du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour et l’établissement des étrangers, loi du 8 décembre 2013 modifiant celle du 22 mars 2011 instituant la garantie de revenus aux personnes âgées, loi du 21 décembre 2013 portant des dispositions diverses urgentes en matière de législation sociale et loi du 21 juillet 2016 modifiant la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale). Il ne ressort pas de cet examen que les instances belges compétentes pour la mise en œuvre de la Directive ont, par l’intermédiaire notamment des services publics fédéraux compétents, décidé de limiter l’assistance sociale accordée aux bénéficiaires du statut conféré par la protection subsidiaire aux seules prestations essentielles (comme l’article 29.2 de la Directive le permet).

La cour conclut que l’article 4 de la loi du 27 février 1987 contrevient à l’article 29 de la Directive en ce qu’il ne permet pas aux personnes bénéficiaires de la protection subsidiaire de bénéficier des allocations aux personnes handicapées.

Elle accueille dès lors l’appel.

Intérêt de la décision

Cet arrêt s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence qui écarte la condition de nationalité eu égard aux garanties du droit européen.

L’on peut à cet égard renvoyer à deux décisions récentes, l’une rendue par la Cour du travail de Bruxelles le 15 avril 2019 (C. trav. Bruxelles, 15 avril 2019, R.G. 2018/AB/223) et l’autre par la Cour du travail de Liège le 28 août 2018 (C. trav. Liège, div. Neufchâteau, 28 août 2018, R.G. 2017/AU/50).

La Cour du travail de Bruxelles avait considéré en substance que, si l’article 29.1 de la Directive n° 2011/95/CE confère aux Etats membres une certaine marge d’appréciation, notamment quant à la détermination du niveau d’assistance sociale qu’ils estiment nécessaire, il n’en reste pas moins que cette disposition met à charge de chaque Etat membre, dans des termes dépourvus d’équivoque, une obligation de résultat précise et inconditionnelle, consistant à assurer à tout réfugié auquel il octroie sa protection le bénéfice de la même assistance sociale que celle prévue pour ses ressortissants. La protection subsidiaire rentre dans la notion de protection internationale visée à l’article 29.1 de la Directive n° 2011/95/CE. Les allocations aux personnes handicapées visant à tenir compte de l’état de santé des personnes qui ne disposent pas de ressources suffisantes et qui, du fait de cet état de santé, ne peuvent travailler et/ou subissent une réduction d’autonomie dans les actes de leur vie journalière, ces allocations constituent des prestations essentielles au sens de l’article 29.2 de la Directive n° 2011/95/CE.

Quant à la Cour du travail de Liège, elle avait jugé que le constat que les allocations aux personnes handicapées visent à tenir compte de l’état de santé des personnes qui ne disposent pas de ressources suffisantes et qui, du fait de leur état de santé, ne peuvent travailler et/ou subissent une réduction d’autonomie dans les actes de leur vie journalière, ne permettrait pas – si telle était la volonté du législateur belge – de considérer que ces prestations ne font pas partie des prestations essentielles au sens de l’article 29, § 2, de la Directive n° 2011/95. La dérogation prévue à l’article 11, § 4, de la Directive n° 2003/109 ne peut être invoquée que si les instances compétentes dans l’Etat membre concerné par la mise en œuvre de cette Directive ont clairement exprimé qu’elles entendaient se prévaloir de cette dérogation (avec renvoi à l’arrêt KAMBERAJ du 24 avril 2012 de la Cour de Justice de l’Union européenne relatif à la Directive n° 2003/109).

Enfin, l’on peut encore renvoyer, sur la définition de la protection subsidiaire, à un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 18 décembre 2014 (C.J.U.E., 18 décembre 2014, Aff. n° C-542/13, M’BODJ c/ ETAT BELGE).


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be