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Soins hospitaliers dispensés dans un autre Etat membre que l’Etat d’affiliation et question de discrimination

Commentaire de C.J.U.E., 29 octobre 2020, Aff. n° C-243/19 (A c/ VESELĪBAS MINISTRIJA)

Mis en ligne le jeudi 25 février 2021


Cour de Justice de l’Union européenne, 29 octobre 2020, Aff. n° C-243/19 (A c/ VESELĪBAS MINISTRIJA)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 29 octobre 2020, la 2e Chambre de la Cour de Justice de l’Union européenne a examiné le bien-fondé d’une décision de refus d’autorisation préalable en vue de subir des soins de santé programmés à l’étranger, alors que le traitement hospitalier pouvait être assuré efficacement dans l’Etat membre d’affiliation mais ne pouvait être pratiqué pour des motifs de croyances religieuses (refus de transfusion sanguine).

Les faits

La Cour suprême de Lettonie a posé deux questions préjudicielles à la Cour de Justice dans un litige concernant une demande de soins de santé programmés à l’étranger, refusée par le Service national de santé de Lettonie. L’affaire concerne un enfant mineur souffrant d’une malformation cardiaque congénitale qui exige une opération à cœur ouvert. Son père, témoin de Jéhovah, est opposé au mode de traitement disponible dans l’Etat membre d’affiliation, dans la mesure où celui-ci ne peut être réalisé sans transfusion sanguine. Il a sollicité du Service national de santé une autorisation permettant à son fils de bénéficier de ces soins en Pologne, l’opération pouvant dans ce pays être effectuée sans transfusion.

Vu le refus de délivrer cette autorisation, le père de l’enfant a introduit un recours. Il s’est heurté à deux décisions de rejet, tant en première instance qu’en appel. La Cour suprême, saisie, s’est posé la question de savoir si le refus de délivrer le formulaire exigé par la législation était justifié, à savoir s’il y avait lieu de se fonder uniquement sur des critères médicaux ou s’il fallait également prendre en compte les croyances religieuses du père.

Deux questions ont été, en conséquence, posées par la Cour suprême à la Cour de Justice. La première porte sur l’article 20, § 2, du Règlement n° 883/2004, déterminant les conditions dans lesquelles l’Etat membre de résidence est tenu d’accorder l’autorisation, ce qui entraîne pour elle l’obligation de prendre en charge les soins prodigués à l’étranger. Est également interrogé l’article 8 de la Directive n° 2011/24 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2011 relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers, celui-ci prévoyant les conditions de remboursement des soins de santé transfrontaliers. Les deux questions sont posées au regard également de l’article 21, § 1er, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui interdit notamment toute discrimination fondée sur la religion.

La décision de la Cour

Sur la première question préjudicielle, la Cour examine l’article 20, § 2, du Règlement n° 883/2004 lu à la lumière de l’article 21, § 1er, de la Charte : celui-ci s’oppose-t’il à ce que l’Etat membre de résidence refuse l’autorisation prévue à l’article 20, § 1er, du même règlement lorsque, dans cet Etat membre, un traitement hospitalier dont l’efficacité médicale ne soulève aucun doute est disponible mais que les croyances religieuses de cette personne réprouvent le mode de traitement utilisé.

La Cour rappelle qu’elle a déjà jugé que l’autorisation requise ne peut être refusée lorsqu’un traitement identique ou présentant le même degré d’efficacité ne peut être obtenu en temps opportun dans l’Etat membre sur le territoire duquel réside l’intéressé (avec renvoi à son arrêt PETRU du 9 octobre 2014, Aff. n° C-268/13). Afin de vérifier si un tel traitement existe, il faut prendre en considération l’ensemble des circonstances dans chaque cas concret, tenant compte non seulement de la situation médicale du patient et, le cas échéant, du degré de douleur ou de la nature du handicap de celui-ci, mais également de ses antécédents (renvoyant ici, en sus, aux arrêts WATTS du 16 mai 2006, Aff. n° C-372/04 et ELCHINOV du 5 octobre 2010, Aff. n° C-173/09).

En l’occurrence, il n’existait aucun motif médical justifiant que l’enfant ne puisse bénéficier du traitement disponible en Lettonie. L’Etat membre qui, par le biais du refus de l’autorisation préalable, met en œuvre le droit de l’Union, devait cependant respecter les droits fondamentaux garantis par celle-ci, dont le principe de non-discrimination.

L’interdiction de toute discrimination fondée sur la religion ou les convictions revêt un caractère impératif en tant que principe général de droit de l’Union. Aussi faut-il vérifier si le refus d’accorder l’autorisation préalable institue une différence de traitement fondée sur la religion. Si tel est le cas, il faut ensuite examiner si cette différence de traitement est fondée sur un critère objectif et raisonnable.

Si la réglementation nationale ne donne, pour la Cour, pas lieu à une discrimination directe fondée sur la religion, une différence indirecte de traitement peut se produire entre d’une part les patients qui subissent une intervention médicale avec transfusion sanguine et d’autre part ceux qui, pour raisons religieuses, recourent à un traitement auquel ne s’oppose pas celle-ci, mais dont les coûts ne sont pas couverts par le premier Etat membre.

La Cour suprême ayant souligné que l’objectif de la réglementation nationale pourrait être de protéger la santé publique et les droits d’autrui en maintenant sur son territoire une offre suffisante, équilibrée et permanente de soins hospitaliers de qualité et en veillant à protéger la stabilité financière du système de sécurité sociale, elle considère que l’on ne peut exclure qu’un risque d’atteinte grave à l’équilibre financier de ce système puisse constituer un objectif légitime susceptible de justifier une différence de traitement fondée sur la religion. Par ailleurs, l’obligation d’un remboursement intégral de prestations en nature dispensées dans un autre Etat membre peut engendrer des surcoûts, difficilement prévisibles quant à leur survenance et leur ampleur potentielle.

En conséquence, un régime d’autorisation préalable qui ne tient pas compte des croyances religieuses de l’assuré mais qui est axé sur des critères exclusivement médicaux peut réduire un tel risque et semble apte à assurer cet objectif. L’absence de prise en compte des croyances religieuses apparaît également comme une mesure justifiée pour les mêmes motifs, dès lors que l’objectif poursuivi n’excède pas ce qui est objectivement nécessaire à cette fin et satisfait à l’exigence de proportionnalité.

La réponse de la Cour est dès lors que l’article 20, § 2, du Règlement n° 883/2004 lu à la lumière de l’article 21, § 1er, de la Charte ne s’oppose pas à ce qu’un Etat membre (Etat de résidence) refuse d’accorder à un résident l’autorisation prévue par l’article 20, § 1er, de ce règlement lorsque, dans cet Etat, un traitement hospitalier, dont l’efficacité médicale ne soulève aucun doute, est disponible mais que les croyances religieuses de cet assuré réprouvent le mode de traitement utilisé.

Sur la seconde question, qui requiert l’examen de l’article 8, §§ 5 et 6, sous d), de la Directive 2011/24, la Cour rappelle que le régime d’autorisation préalable qui y est prévu implique que les décisions individuelles de refus d’autorisation doivent se limiter à ce qui est nécessaire et proportionné à l’objectif poursuivi et ne peuvent constituer un moyen de discrimination arbitraire ni une entrave injustifiée à la libre circulation des patients.

Le remboursement prévu à l’article 7 de cette Directive est soumis à une double limite, étant calculé sur la base des tarifs applicables aux soins de santé dans l’Etat membre d’affiliation et ne pouvant dépasser les coûts réels des soins de santé reçus si le niveau de ceux-ci et inférieur à celui des soins de santé dispensés dans l’Etat membre d’affiliation. Dès lors ainsi que le remboursement de ces soins de santé au titre de la Directive n° 2011/24 connaît cette double limite, le système de santé de l’Etat d’affiliation n’est pas susceptible d’être soumis à un risque de surcoût lié à la prise en charge des soins transfrontaliers telle qu’examinée ci-dessus.

En conséquence, dans le cadre de la Directive n° 2011/24 et à la différence des situations régies par le Règlement n° 883/2004, l’Etat membre d’affiliation n’est en principe pas exposé à une charge financière additionnelle, dans le cas de soins transfrontaliers, et un tel objectif n’est pas susceptible d’être invoqué aux fins de justifier le refus d’autorisation. La Cour invite le juge de renvoi à apprécier si le régime letton d’autorisation préalable qui met en œuvre l’article 8, § 1er, de la Directive n° 2011/24 s’est limité à ce qui était nécessaire et proportionné pour assurer cet objectif.

Elle conclut sur cette seconde question que l’article 8, §§ 5 et 6, d), de la Directive n° 2011/24 lu à la lumière de l’article 21, § 1er, de la Charte s’oppose à ce que l’Etat membre d’affiliation d’un patient refuse d’accorder à ce dernier l’autorisation prévue à l’article 8, § 1er, de la Directive lorsque, dans cet Etat membre, un traitement hospitalier, dont l’efficacité médicale ne soulève aucun doute, est disponible mais que les croyances religieuses de ce patient réprouvent le mode de traitement utilisé, à moins que ce refus ne soit objectivement justifié par un but légitime (maintien d’une capacité de soins de santé ou d’une compétence médicale) et ne constitue un moyen approprié et nécessaire permettant d’atteindre ce but. Il appartient à la juridiction de renvoi de le vérifier.

Intérêt de la décision

Chacune des deux questions posées fait l’objet d’une analyse approfondie, la première se concluant par une conformité de la législation nationale au droit européen et le seconde non. Pour aboutir à la conclusion dégagée en réponse à la seconde question, la Cour a relevé que l’objectif relatif à la nécessité de protéger la stabilité financière du système de sécurité sociale ne peut être invoqué pour justifier le refus de délivrer l’autorisation en cause (article 8, § 1er, de la Directive n° 2011/24).

Les règles des deux textes européens (Règlement n° 883/2004 et Directive n° 2011/24) sont en effet différentes. Pour ce qui est de la Directive, le remboursement est calculé sur la base des tarifs applicables aux soins de santé dans l’Etat d’affiliation et n’excède pas les coûts réels de ceux-ci lorsque le coût des soins dispensés dans l’autre Etat membre est inférieur à celui de l’Etat d’affiliation. Il n’y a dès lors pas de risque de surcoût lié à la prise en charge des soins transfrontaliers. La Cour a encore analysé la légitimité de l’objectif visé, étant le maintien d’une capacité de soins de santé ou d’une compétence médicale et a chargé le juge de renvoi d’effectuer son contrôle de proportionnalité, étant de vérifier si la prise en compte des croyances religieuses des patients lors de la mise en œuvre de l’article 8, §§ 5 et 6, de la Directive peut entraîner un risque pour la planification de traitements hospitaliers dans l’Etat d’affiliation.


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