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Prestations aux personnes handicapées : règles de cumul

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 juin 2020, R.G. 2018/AB/814

Mis en ligne le vendredi 26 février 2021


Cour du travail de Bruxelles, 24 juin 2020, R.G. 2018/AB/814

Terra Laboris

Dans un arrêt du 24 juin 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que, dans le cas où une indemnisation en droit commun est intervenue, seule peut être prise en compte dans le calcul du cumul autorisé l’indemnisation perçue et couvrant le même dommage, en ce compris pour ce qui est de la période couverte.

Les faits

Une personne souffrant d’un grave handicap suite à un accident de roulage survenu en 2008 a introduit une demande d’allocations pour personnes handicapées en 2009. L’administration a admis une réduction de la capacité de gain à un tiers ou moins ainsi que le droit à une allocation d’insertion équivalente à 13 points. Une invalidité d’au moins 50% découlant directement des membres inférieurs a également été retenue.

L’Etat belge a fait valoir sa subrogation auprès de l’assureur du tiers responsable. Celui-ci a répondu qu’une expertise était en cours, des provisions ayant été versées, vu que la responsabilité de son assuré était établie. L’Etat belge a alors procédé au calcul de l’allocation de remplacement de revenus. Il a retenu au titre de prestations non cumulables une rente périodique, une réduction de l’allocation d’intégration étant également décidée.

Des échanges sont par la suite intervenus entre l’Etat belge et l’assureur, vu d’une part l’évolution de la procédure devant le tribunal de police, qui avait donné lieu à une expertise, et, d’autre part, les provisions versées de part et d’autre, à savoir en droit commun ainsi que sur le plan des allocations sociales.

En fin de compte, l’Etat belge a pris plusieurs décisions. Il a tenu compte, pour l’allocation de remplacement de revenus, d’un capital de 83.250 euros (étant le préjudice économique passé) ainsi que, pour ce qui est de l’allocation d’intégration, d’un capital de l’ordre de 256.000 euros, correspondant à un besoin d’assistance et à un dommage passés. Il a ensuite supprimé et refusé l’octroi des deux allocations, à partir du 1er janvier 2017, en raison des revenus portés en compte. En outre, il a invité l’assureur à lui rembourser les montants versés pour la période passée (2009-2016).

Ces décisions ont fait l’objet d’un recours devant le Tribunal du travail de Bruxelles. Celui-ci a statué par jugement du 10 août 2018. Il a admis le droit de l’intéressée à une allocation de remplacement de revenus jusqu’au 1er octobre 2011 et a invité l’Etat belge à entamer la révision d’office à cette date.

Appel a été interjeté.

La décision de la cour

La cour reprend l’article 7 de la loi du 27 février 1987 sur les allocations aux personnes handicapées, ainsi que l’article 27 de l’arrêté royal du 22 mai 2003 relatif à la procédure concernant le traitement des dossiers en la matière et les articles 8 et 8bis de l’arrêté royal du 6 juillet 1987.
Ce dernier prévoit que, lorsqu’une prestation est liquidée sous forme de capitaux ou de valeur de rachat, leur contrevaleur en prestations périodiques est prise en compte, qu’elle soit imposable ou non, à concurrence de la rente viagère résultant de leur conversion suivant le pourcentage indiqué (dans un tableau annexé à l’arrêté), au regard de l’âge du bénéficiaire à la date du fait qui a donné lieu à la liquidation. La formule est de tenir compte d’un facteur 21 pour l’âge révolu du bénéficiaire et d’un pourcentage de 5,0618 pour la conversion en rente viagère des capitaux ou valeur de rachat.

Pour la cour, la contestation porte ainsi uniquement sur la question de savoir si l’Etat belge pouvait tenir compte, au titre de revenus venant en déduction de l’allocation de remplacement de revenus pour la période 2009-2016, d’une rente viagère de l’ordre de 4.200 euros alors que le capital versé par l’assureur, d’un montant de 83.250, converti en rente viagère, se rapporte en réalité à une période différente (2011-2016).

Pour l’Etat belge, l’imputation se fait dès la date de prise de cours du droit à l’allocation et il serait contradictoire de considérer que l’intéressée présentait une perte de capacité de gain dès 2009 alors qu’elle n’aurait pu entrer dans la vie professionnelle qu’à partir de septembre 2011 (chose jugée par le tribunal de première instance).

La cour entreprend dès lors un examen approfondi de la question, en tenant compte des principes énoncés à l’article 7 de la loi et à l’article 8 de l’arrêté royal. La volonté du législateur, pour la cour, est de n’accorder des allocations que si les revenus ne dépassent pas le montant de celles-ci. Il s’agit d’un régime résiduaire et non contributif. La personne handicapée est tenue de faire valoir ses droits d’une part aux prestations et indemnités auxquelles elle peut prétendre en vertu d’une autre législation et qui trouvent leur fondement dans la limitation de la capacité de gain ou une réduction d’autonomie, ou encore dans les principes généraux de la responsabilité civile, et d’autre part aux prestations sociales en matière AMI, chômage, risques professionnels, pension de retraite et revenu garanti des personnes âgées. L’idée sous-jacente est de tenir compte de ces prestations et indemnités dans les revenus à prendre en compte qui vont venir en déduction des allocations.

La cour constate que l’Etat belge se fonde sur les termes « l’imputation se fait dès la prise de cours du droit à l’allocation ».

Pour la cour, lorsque l’intéressée a fait sa demande d’allocation de remplacement, en 2009, elle remplissait les conditions légales pour en bénéficier. Elle a par ailleurs fait valoir ses droits en droit commun vis-à-vis du tiers responsable. Cette procédure s’est clôturée par un jugement du tribunal de première instance, qui n’a pas reconnu de dommage lié à une réduction de capacité de gain avant septembre 2011.

Le capital pris en compte sous forme de rente viagère ne doit pas, en conséquence, venir en déduction de l’allocation de remplacement de revenus pour la période antérieure. Même si les dates retenues dans les deux régimes pour fixer la perte de capacité de gain sont différentes, ceci ne signifie pas que le capital perçu pour la période postérieure devrait être pris en compte sous forme de rente viagère pour la période antérieure.

La cour se penche en outre sur les règles générales en matière de cumul, dans d’autres législations de sécurité sociale, dont celles des accidents du travail et l’AMI.

Elle renvoie également à l’arrêt de la Cour de cassation du 22 septembre 2008 (Cass, 22 septembre 2008, n° C.07.0531.N) en matière de cumul AMI, où celle-ci a rappelé l’interdiction d’indemniser deux fois un même dommage ou partie de dommage et la limitation du droit de subrogation de l’organisme qui a octroyé des avances : il ne peut s’exercer que sur les prestations octroyées concernant un même dommage.

La même conclusion doit être retenue en la présente matière et renvoi est encore fait à un arrêt plus récent de la Cour de cassation (Cass, 7 octobre 2019, n° S.18.0061.N), qui a décidé que, pour déterminer le montant des allocations (ARR ou AI), il y a lieu uniquement de tenir compte de l’indemnité destinée à compenser la limitation de la capacité de gain ou la réduction d’autonomie.

La cour confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

La cour du travail examine dans cet arrêt une question très spécifique en matière de cumul entre les prestations sociales accordées aux personnes handicapées et la réparation que celles-ci ont pu obtenir en droit commun ou, de manière plus générale, en vertu d’une autre législation.

En l’occurrence, s’agissant d’un accident de la circulation, le tiers responsable a, par la voie de son assureur, indemnisé l’intéressée mais, pour ce qui est des prestations non cumulables, à partir d’une période postérieure de plus de trois ans à l’accident. Cette date a été fixée par le tribunal de première instance et elle est retenue par la cour comme point de départ non contesté de la réparation en droit commun.

L’Etat belge soutenait, pour sa part, que la date retenue en matière de prestations aux personnes handicapées étant bien antérieure, il y avait lieu de procéder à un calcul anti-cumul depuis celle-ci.

Deux arrêts sont retenus par la cour du travail, un premier en matière AMI, dans lequel la Cour suprême a rappelé que le droit de subrogation de l’organisme qui a octroyé des avances est limité et ne peut s’exercer que sur les prestations octroyées concernant un même dommage. En l’occurrence, anticiper dans le régime des prestations aux personnes handicapées l’indemnisation accordée pour une période ultérieure en droit commun avait pour effet de ne pas couvrir la réparation du même dommage.

Par ailleurs, dans l’arrêt rendu le 7 octobre 2019, elle a rappelé que les prestations (ARR et AI) visées à l’article 7, § 2, de la loi trouvent leur fondement dans une limitation de la capacité de gain ou dans la perte ou la diminution de l’autonomie de la personne. Il en découle que seule l’indemnisation perçue destinée à compenser une limitation de la capacité de gain ou la perte ou la diminution de l’autonomie doit être prise en compte dans le calcul des sommes non cumulables avec celles-ci.


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