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Trajet de réintégration : vérification de la mise en place d’aménagements raisonnables

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles (chambre des vacations), 19 novembre 2020, R.G. 18/4.644/A

Mis en ligne le vendredi 12 mars 2021


Tribunal du travail francophone de Bruxelles (chambre des vacations), 19 novembre 2020, R.G. 18/4.644/A

Terra Laboris

Par jugement du 19 novembre 2020, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles (chambre des vacations) examine la régularité du constat de force majeure médicale définitive à l’issue d’un trajet de réintégration : l’employeur (public) ayant agi avec précipitation, l’indemnité compensatoire de préavis est due, à défaut de force majeure légalement présente.

Les faits

Un ouvrier est engagé par une administration communale en qualité de contractuel subventionné pour un contrat à durée déterminée. Celui-ci est suivi d’un contrat à durée indéterminée. L’intéressé est agent d’accueil, de surveillance et de nettoyage d’un centre sportif.

Suite à un accident du travail en janvier 2017, il fait l’objet de soins et d’hospitalisation, ainsi que de rééducation pendant plusieurs mois.

En février 2018, l’administration communale demande au conseiller en prévention-médecin du travail de mettre en place un trajet de réintégration. La conclusion est qu’il y a inaptitude définitive à reprendre le travail convenu, l’intéressé étant cependant en état d’effectuer un travail adapté ou un autre travail auprès de l’employeur, le cas échéant avec adaptation du poste de travail. Lui est en fin de compte proposé un poste d’assistant administratif (alors qu’il est ouvrier et n’a apparemment pas les compétences professionnelles requises pour occuper celui-ci et ne se voit pas offrir de formation en rapport avec les nouvelles fonctions proposées). Il rate, dès lors, les examens afin de pouvoir intégrer cette fonction.

Le Collège des Bourgmestre et Echevins décide, ensuite, de ne pas le réintégrer, considérant qu’il y a force majeure médicale. La rupture intervient sur ce mode.

Entre-temps, l’assureur de l’employeur a, sur le plan de l’accident du travail, considéré que l’incapacité de travail temporaire avait pris fin. Il a été renvoyé vers le secteur AMI.

L’intéressé a introduit une procédure devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, demandant une indemnité compensatoire de préavis égale à treize semaines, une indemnité de protection pour discrimination sur la base de l’état de santé, une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, ainsi qu’une somme provisionnelle correspondant à la différence entre la rémunération qu’il aurait dû percevoir et l’allocation de mutuelle qu’il a reçue, pendant la période d’incapacité de travail.

A titre subsidiaire, au cas où sa thèse ne serait pas accueillie par le tribunal, il estime qu’il y a eu une faute de l’employeur, au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil, vu le non-respect de la procédure de trajet de réintégration.

Position des parties

Le demandeur considère que le trajet de réintégration ne s’applique pas en accidents du travail, ainsi que précisé à l’article 14/72 du Code sur le bien-être, qui prévoit expressément que le trajet de réintégration n’est pas applicable à la remise au travail en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle. Il ne pouvait, dès lors, pour le demandeur être mis en place par l’employeur.

Vu, par ailleurs, les conditions dans lesquelles il a dû se présenter aux examens relatifs à l’octroi d’un poste d’assistant administratif, il conclut à l’illégalité du trajet et, par conséquent, à l’irrégularité de la rupture.

L’employeur rappelle quant à lui l’article 34 de la loi du 3 juillet 1978, qui n’exclut pas en soi les incapacités résultant d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail. L’incapacité de travail résultant d’une maladie ou d’un accident, qui empêche définitivement le travailleur d’effectuer le travail convenu, peut seulement mettre fin au contrat de travail pour cause de force majeure au terme du trajet de réintégration du travailleur qui ne peut exercer définitivement le travail convenu établi en vertu de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail. Cet article ne porte pas atteinte au droit de mettre fin au contrat de travail moyennant le respect d’un délai de préavis ou le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.

Position du tribunal

Le tribunal rappelle assez longuement les tentatives faites par l’administration aux fins de réaffecter l’intéressé, l’ensemble des postes proposés n’ayant pu convenir, ce qui entraîna finalement la proposition d’un travail administratif (proposition infructueuse).

Il examine ensuite les divers chefs de demande, se penchant en premier lieu sur l’indemnité compensatoire de préavis.

Le tribunal considère que la Commune a initié la procédure régulièrement. Cependant, quant aux mesures concrètes prises en vue de la réinsertion du travailleur, celles-ci sont insatisfaisantes, l’administration ayant omis de donner les formations requises et de discuter avec l’intéressé afin de lui trouver un travail compatible avec son état, le tribunal soulignant que celui-ci ne semblait pas définitif et qu’il aurait pu progresser dans le temps. Il rappelle également qu’un mi-temps médical aurait pu être envisagé, de telle sorte que l’employeur « est allé trop vite » dans son évaluation des possibilités de réinsertion. Il a agi avec précipitation, n’attendant pas par ailleurs la consolidation en accident du travail ni l’issue de la procédure de recours. La constatation de la force majeure ne pouvait être faite, le travailleur ayant pu se remettre de son incapacité. Le tribunal fait dès lors droit à la demande d’indemnité compensatoire de préavis.

Il en vient ensuite à l’examen de la discrimination, poste qui est rejeté au motif que le demandeur n’établit pas qu’il a été moins bien traité qu’une autre personne de référence qui serait citée.

L’examen du caractère manifestement déraisonnable de la rupture vient ensuite, le tribunal écartant les motifs de la conduite ainsi que des nécessités de fonctionnement du service. Doit dès lors être examiné, selon le jugement, le grief de l’aptitude. Or, le travailleur était apte à exercer un autre travail auprès de son employeur, de sorte que celui-ci aurait dû lui proposer un autre travail tenant compte de ses compétences réelles et qualifications. Le licenciement n’est dès lors pas justifié par un juste motif.

Le comportement de l’administration est constitutif également d’une faute au sens de l’article 1382 du Code civil. L’indemnité allouée est fixée à quinze semaines, ce chiffre n’étant pas autrement justifié.

Enfin, le tribunal examine un chef de demande lié à l’absence d’audition préalable au licenciement. De longs développements sont faits quant à la position de chacune des parties sur cette problématique, l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 octobre 2015 revenant à plusieurs reprises, ainsi que ceux de la Cour constitutionnelle des 22 février 2018 et 6 juillet 2017 et celui du Conseil d’Etat du 27 septembre 2016.

Le tribunal déboute cependant l’intéressé de sa demande, étant que l’obligation d’audition est comprise comme concernant les licenciements pour des motifs liés à la personne ou au comportement du travailleur concerné et qu’elle ne s’applique pas en cas de licenciement fondé sur les nécessités du service ou sur d’autres motifs étrangers au comportement du destinataire. Renvoi est fait à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 10 février 2015 (C. trav. Mons, 10 février 2015, R.G. 2014/AM/37), qui a jugé de la sorte. En l’espèce, aucun fait de comportement n’est invoqué et le licenciement n’est pas intervenu eu égard à la personne du travailleur.

Le tribunal accorde, dès lors, l’indemnité compensatoire de préavis et celle due pour licenciement manifestement déraisonnable uniquement.

Intérêt de la décision

Le jugement annoté aborde quelques points relatifs à la procédure de trajet de réintégration. L’hypothèse visée concerne un trajet qui est initié par l’employeur et le tribunal a retenu que cette décision a été prise tout à fait régulièrement. C’est sur la base d’une appréciation de fait de la recherche d’un reclassement en interne que le tribunal a conclu que l’employeur n’avait pas mené à bien le parcours de réintégration ainsi que le veut le Code du bien-être.

L’on notera que le tribunal n’a pas rencontré (dans la mesure où il a estimé devoir de toute façon condamner l’employeur à une indemnité compensatoire de préavis sur une autre base) l’argument de la partie demanderesse selon laquelle le parcours de réintégration ne s’applique pas en cas d’accident du travail. La question de savoir s’il est toujours exclu est plus complexe, la disposition légale (l’article 14/72) disposant uniquement que « le trajet de réintégration n’est pas applicable à la remise au travail en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle ». Le texte vise ainsi les conséquences immédiates de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle, étant que l’un de ces deux risques professionnels continue à influencer la capacité de travail du travailleur.

Ceci semble bien le cas en l’espèce. Quant à l’article 34, il ne nous semble pas – contrairement à ce qui semble résulter du jugement – qu’il vienne faire échec à l’article 14/72 du C.B.E. La portée de la dernière phrase (« le présent article ne porte pas atteinte au droit de mettre fin au contrat de travail moyennant le respect d’un délai de préavis ou le paiement d’une indemnité conformément aux dispositions de la présente loi ») implique que la rupture du contrat peut intervenir même si l’incapacité de travail résulte d’un risque professionnel. Il ne nous semble pas impliquer que, dans une telle hypothèse, le trajet de réintégration soit entamé, puisqu’une disposition spécifique prévoit qu’il n’est pas applicable à la remise au travail.

Le tribunal renvoie ici à un jugement du Tribunal du travail de Liège (division Arlon) du 11 octobre 2019 (Trib. trav. Liège, div. Arlon, 11 octobre 2019, R.G. 18/68/A – précédemment commenté). Dans cette décision, le tribunal avait statué à partir d’une situation totalement différente. Si le demandeur avait, en effet, été victime d’un accident du travail, l’on ne pouvait considérer que la question du parcours de réintégration intervenait pour ce qui était de sa remise au travail. Le tribunal avait décidé que refuser que la procédure de réintégration puisse être entamée dans le cas où un travailleur a précédemment été victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle reviendrait à priver celui-ci du bénéfice de cette procédure, même pour une incapacité de nature différente. De même dans une telle hypothèse, l’employeur serait privé du droit d’entamer celle-ci, ce qui n’est pas le vœu du législateur. En l’espèce, la proposition de consolidation a été acceptée par le travailleur et il n’a pas contesté la non-prise en charge des incapacités de travail ultérieures, les séquelles de l’accident étant par ailleurs minimes (la consolidation étant intervenue avec un taux d’I.P.P. de 2%). Par ailleurs, la procédure a été mise en œuvre six mois plus tard, à l’initiative du médecin de la mutualité, et elle a été suivie – sans contestation – par l’intéressé.


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