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Télétravail : quid en cas de convention écrite non conforme au prescrit légal ?

Commentaire de Cass., 5 octobre 2020, n° S.19.0008.N

Mis en ligne le vendredi 12 mars 2021


Cour de cassation, 5 octobre 2020, n° S.19.0008.N

Terra Laboris

Dans un arrêt du 5 octobre 2020, la Cour de cassation s’est prononcée sur les conséquences du non-respect de l’article 6, § 1er, de la CCT n° 85 concernant le télétravail, disposition qui fixe les conditions de la convention écrite que les parties doivent conclure.

La Cour est saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail d’Anvers (division Anvers) du 19 février 2018 (arrêt non publié).

La question examinée

L’affaire soumise à la Cour de cassation porte sur les conditions du télétravail et du travail à domicile.

En l’espèce, la demanderesse sollicitait le paiement des indemnités prévues à l’article 119.6 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, étant l’indemnité forfaitaire de 10% de rémunération due au travailleur à domicile au titre de remboursement des frais inhérents à ce travail (sauf hypothèse où des frais peuvent être justifiés et qu’ils sont supérieurs).

La cour du travail a considéré qu’il s’agissait en l’espèce non de télétravail mais de travail à domicile. Elle a motivé sa décision par la considération que la loi ne prévoit que deux conditions pour qu’il soit question de travail à domicile, à savoir le choix du lieu de l’occupation par le travailleur et l’absence de contrôle direct de l’employeur. Elle a considéré qu’en l’espèce, ces deux conditions étaient remplies, la société employeur étant basée aux Pays-Bas. N’ayant pas de siège d’exploitation en Belgique, l’employée travaillait, selon son choix, à partir de son propre domicile à Anvers. La cour avait considéré également que la convention conclue entre les parties ne correspondait pas au prescrit de l’article 6 de la CCT n° 85, ce qui avait pour conséquence qu’elle ne pouvait se voir reconnaître la qualité de télétravailleuse.

La cour a en conséquence fait droit à la demande fondée sur l’article 119.6 de la loi du 3 juillet 1978.

La décision de la Cour

La Cour a, dans un premier temps, rappelé les dispositions pertinentes des deux cadres légaux, à savoir d’une part la convention collective de travail n° 85 du 9 novembre 2005 concernant le télétravail (modifiée par la convention collective de travail n° 85bis du 27 février 2008) ainsi que le Titre VI de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, inséré par l’article 4 de la loi du 6 décembre 1996 relative au travail à domicile.

Pour ce qui est de la CCT n° 85, la Cour reprend l’article 2 (1er et 2e alinéas) ainsi que les articles 3, 4 et 6. En vertu de ces dispositions, le télétravailleur est tout travailleur qui effectue du télétravail tel que défini par la CCT. Par télétravail, il faut entendre une forme d’organisation et/ou de réalisation du travail, utilisant les technologies de l’information, dans le cadre d’un contrat de travail, dans laquelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué en-dehors de ces locaux de façon régulière et non occasionnelle. N’ont pas la qualité de télétravailleurs les travailleurs dits « mobiles », c’est-à-dire ceux dont la mobilité fait partie intégrante des modalités d’exécution du contrat de travail.

Le champ d’application de la CCT est défini à l’article 3, qui vise les travailleurs et les employeurs qui les occupent, le télétravail pouvant, en vertu de l’article 4, être réalisé au domicile du télétravailleur ou en tout autre lieu choisi par lui. S’il est effectué dans un bureau satellite de l’employeur (local décentralisé de l’employeur ou mis à la disposition du travailleur par celui-ci), il ne tombe cependant pas dans le champ d’application de la CCT. Enfin, une convention écrite est exigée, en vertu de l’article 6, qui prévoit qu’elle doit être établie par écrit pour chaque travailleur individuellement au plus tard au moment où le télétravailleur commence l’exécution de sa convention. Le contrat de travail en cours fait l’objet d’un avenant écrit. A défaut de convention écrite, l’article 6, § 3, dispose que le télétravailleur a le droit d’intégrer ou de réintégrer les locaux de l’employeur.

Quant aux dispositions de la loi du 3 juillet 1978 relatives au contrat d’occupation de travailleurs à domicile, la Cour en reprend la définition, étant qu’il s’agit des travailleurs qui, sous l’autorité de l’employeur, fournissent un travail contre rémunération, à leur domicile ou à tout autre endroit choisi par eux, sans qu’ils soient sous la surveillance ou le contrôle direct de l’employeur. Le § 2 de la même disposition dispose que l’ensemble des mesures reprises en matière de contrat d’occupation de travailleurs à domicile (articles 119.3 à 119.12) ne sont pas applicables aux travailleurs auxquels s’applique la CCT sur le télétravail (n° 85).

Le contrat d’occupation de travailleur à domicile doit également être constaté par écrit pour chaque travailleur individuellement au plus tard au moment où le travailleur commence l’exécution de son contrat (article 119.4, § 1er). Cette convention doit notamment mentionner le remboursement des frais inhérents au travail à domicile (article 119.4, § 1er, 4°) et, à défaut de cette mention (à défaut encore de convention collective de travail conclue conformément à la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires réglant cette matière), un forfait de 10% de la rémunération est dû au titre de remboursement des frais inhérents au travail à domicile, à moins que le travailleur prouve à l’aide de pièces justificatives que les frais réels sont supérieurs à 10% de celle-ci.

Après le rappel de ce cadre légal, la Cour conclut qu’il résulte de cette disposition que l’article 119.6 de la loi du 3 juillet 1978 ne peut être appliqué que pour le travailleur à domicile qui n’est pas un télétravailleur au sens de la CCT n° 85 et que la circonstance qu’aucune convention écrite n’en a été conclue entre le travailleur et l’employeur, conformément à l’article 6, § 1er, de cette CCT, n’exclut pas que la relation de travail entre eux tombe malgré tout dans le champ d’application de la CCT n° 85.

Elle constate ensuite que, l’intéressée réclamant l’indemnité visée à l’article 119.6 de la loi du 3 juillet 1978 – demande contestée par l’employeur au motif qu’elle avait la qualité de télétravailleuse au sens de la CCT n° 85 –, la cour du travail a conclu qu’elle était travailleuse à domicile et non télétravailleuse, dans la mesure où la convention conclue entre les parties ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 6 de la CCT n° 85. Pour la Cour de cassation, le juge du fond ne justifie pas légalement sa décision de considérer, en conséquence, que l’indemnité réclamée par la travailleuse est due.

L’arrêt est dès lors cassé.

Intérêt de la décision

La distinction entre les deux types de travailleurs est, sur le plan des textes, claire, dans la mesure où l’article 119.1, § 2, de la loi du 3 juillet 1978 dispose que les mesures particulières adoptées par la loi du 20 juillet 2006 en faveur des travailleurs à domicile ne sont pas applicables lorsque la CCT n° 85 sur le télétravail l’est. La définition du télétravail y figure d’ailleurs de manière précise.

La question en l’espèce était de vérifier si, dans la mesure où existait une convention entre les parties, celle-ci devait avoir pour conséquence d’exclure du champ d’application de la CCT le travailleur (la travailleuse) concerné, dans la mesure où cette convention ne répondait pas à l’ensemble des conditions fixées à l’article 6. Rappelons qu’elles sont au nombre de six (en bref : (i) la fréquence du télétravail, (ii) les moments ou les périodes pendant lesquels le travailleur doit être joignable et suivant quel moyen, (iii) les moments où il peut faire appel à un support technique, (iv) les modalités de prise en charge par l’employeur des frais et des coûts liés au télétravail, (v) les conditions et modalités de retour au travail, ainsi que (vi) le lieu où le télétravailleur a choisi d’exécuter son travail).

La Cour de cassation a rappelé la sanction en cas de défaut de convention écrite, étant que le télétravailleur a le droit d’intégrer ou de réintégrer les locaux de l’employeur. La cour du travail en avait, pour sa part, déduit que l’absence de l’ensemble de ces mentions faisait tomber le travailleur en dehors du champ d’application de cette CCT et que la disposition spécifique de la loi du 3 juillet 1978 (exclusion – article 119.1, § 2) ne trouvait pas à s’appliquer, ce qui entraînait le droit pour la télétravailleuse de bénéficier de l’indemnité de 10% prévue à l’article 119.6.

L’on peut encore relever, à propos de cette décision, les conclusions de l’Avocat général H. VANDERLINDEN. Parmi les développements faits par celui-ci, figure le constat que l’absence de siège d’une entreprise en Belgique n’exclut pas en soi l’application de la CCT n° 85.


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