Terralaboris asbl

Soins programmés à l’étranger : qu’en est-il en cas d’absence d’autorisation préalable ?

Commentaire de C.J.U.E., 23 septembre 2020, Aff. n° C-777/18 (WO c/ VAS MEGYEI KORMÁNYHIVATAL)

Mis en ligne le vendredi 12 mars 2021


Cour de Justice de l’Union européenne, 23 septembre 2020, Aff. n° C-777/18 (WO c/ VAS MEGYEI KORMÁNYHIVATAL)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 23 septembre 2020, rappelant sa jurisprudence ELCHINOV, la Cour de Justice de l’Union européenne reprend les principes en la matière : elle rappelle ce qu’il faut entendre par « soins programmés », ainsi que les conditions de leur prise en charge et le droit au remboursement en l’absence d’autorisation préalable, examinant en l’espèce la conformité de la législation hongroise à l’article 56 T.F.U.E. et à l’article 8, § 1er, de la Directive n° 2011/24/UE.

Les faits

Suite à un décollement de rétine, un citoyen hongrois a perdu la vision de l’œil gauche. Un glaucome est diagnostiqué à l’autre œil en 2015. Les soins prodigués en Hongrie sont sans effets. L’intéressé prend en 2016 contact avec un médecin en Allemagne. Lors de la consultation, il apparaît qu’il doit être opéré en urgence, ce qui est fait sur le champ. Les soins relatifs à cette intervention ne sont pas remboursés, au motif qu’il s’agissait d’un soin programmé pour lequel l’autorisation préalable n’avait pas été sollicitée.

Un recours est introduit devant le Tribunal administratif et ensuite devant le travail de Szombathely, le recours administratif ayant été rejeté.

Le juge hongrois se fonde, pour ce qui est des questions préjudicielles qu’il adresse à la Cour de Justice, sur l’arrêt ELCHINOV (C.J.U.E., 5 octobre 2010, Aff. n° C-173/09, ELCHINOV c/ NATSIONALNA ZDRAVNOOSIGURITELNA KASA), dans lequel la Cour a dit pour droit que les articles 49 C.E. (actuellement 56 T.F.U.E.) et 22 du Règlement n° 1408/71 (dans ses modifications successives) s’opposent à une réglementation d’un Etat membre qui exclut dans tous les cas la prise en charge des soins hospitaliers dispensés sans autorisation préalable dans un autre Etat.

La question de la conformité au droit européen porte également sur la compatibilité de la réglementation hongroise avec les articles 8, § 1er, et 3, § 3, de la Directive n° 2011/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2011, relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers. Le renvoi à la Directive est effectué vu que la réglementation hongroise subordonne, sans égard aux circonstances spécifiques découlant de l’état pathologique du patient, le remboursement des soins de santé dans un autre Etat à une demande d’autorisation préalable et constitue ainsi une entrave injustifiée à la libre prestation de services.

Se pose également la question de savoir si, dans les circonstances de la cause, il s’agit de « soins programmés » au sens de l’article 20, § 1er, du Règlement n° 883/2004 et de son règlement d’application.

Six questions sont dès lors posées à la Cour de Justice.

La décision de la Cour

La Cour fait un rappel important, à titre liminaire, de la notion de « soins programmés » et des conditions de leur prise en charge, ainsi que du droit au remboursement en cas d’absence d’autorisation préalable.

Les deux premières questions sont examinées ensemble, étant relatives à l’article 56 T.F.U.E. et l’article 8, § 1er, de la Directive, le juge hongrois demandant si ces dispositions doivent être interprétées comme s’opposant à une réglementation nationale qui subordonne dans tous les cas le remboursement à une autorisation préalable, y compris lorsqu’il existe, en l’attente de la délivrance de cette autorisation, un risque réel de dégradation irréversible de l’état de santé de la personne.

La Cour constate que le système d’autorisation préalable hongrois constitue une restriction à la libre prestation des services. Elle examine dès lors si ce système est justifié, ce dont doute le juge de renvoi, qui s’interroge sur le caractère proportionné de la restriction, dans la mesure où le remboursement des frais des soins transfrontaliers est subordonné dans tous les cas à la délivrance de cette autorisation, y compris lorsque la personne assurée, compte tenu de son état pathologique nécessitant des soins d’urgence à caractère vital et de la lourdeur de la procédure applicable, n’a pas sollicité auprès de l’institution compétente une autorisation avant le début des soins.

Pour la Cour, la restriction à la libre prestation des services que comporte l’autorisation préalable dans l’Etat membre de résidence d’une consultation médicale sur le territoire d’un autre Etat membre ne saurait être justifiée par référence aux objectifs énoncés par le Gouvernement (garantir sur le territoire de l’Etat membre une accessibilité suffisante permanente à une gamme équilibrée de soins hospitaliers de qualité et assurer une maîtrise des coûts afin d’éviter tout gaspillage de ressources financières, techniques et humaines) et ne respecte pas les conditions de l’article 8, § 2, de la Directive.

Pour ce qui est de l’intervention ophtalmologique, elle considère qu’il appartient au juge de renvoi de vérifier s’il s’agit de soins de santé hospitaliers ou non hospitaliers lourds au sens de la jurisprudence de la Cour et de la même disposition. Ce n’est que dans une telle hypothèse que l’impératif invoqué par le Gouvernement serait en principe admissible. Au cas où ces soins constitueraient des soins lourds (hospitaliers ou non hospitaliers), il faut vérifier le respect du principe de nécessité et de proportionnalité.

Renvoyant à sa jurisprudence, étant essentiellement sur cette question l’arrêt ELCHINOV, la Cour conclut qu’une réglementation nationale qui exclut le remboursement par l’institution compétente des frais relatifs aux soins hospitaliers ou non hospitaliers lourds reçus dans un autre Etat membre en l’absence d’autorisation préalable, et ce y compris dans les situations particulières où la personne assurée a été empêchée de solliciter une telle autorisation ou n’a pu attendre la décision, pour des raisons liées à son état de santé ou à la nécessité de recevoir de tels soins en urgence (quand bien même les conditions d’une telle prise en charge seraient réunies par ailleurs), ne satisfait pas à l’exigence de proportionnalité requise. La restriction est disproportionnée à la libre prestation des services figurant à l’article 56 T.F.U.E. et elle méconnaît l’article 8, § 1er, de la Directive n° 2011/24.

Elle répond dès lors que ces deux dispositions s’opposent à la réglementation nationale qui exclut, en l’absence d’autorisation préalable, le remboursement, dans les limites de la couverture garantie par le système maladie de l’Etat d’affiliation, des frais de consultation médicale exposés dans un autre Etat membre. Les mêmes dispositions s’opposent à la réglementation qui exclut le remboursement de soins lourds (hospitaliers ou non hospitaliers) prodigués en urgence lorsque la personne assurée a été empêchée de solliciter une autorisation ou n’a pu attendre la décision de l’institution compétente, pour des raisons liées à son état de santé ou à la nécessité de les recevoir.

La Cour envisage ensuite la troisième question, relative à l’article 9, § 3, de la Directive, disposition qui impose aux Etats membres de fixer des délais raisonnables pour le traitement des demandes, les délais étant en l’espèce de 31 jours pour délivrer l’autorisation et de 23 jours pour la refuser. Se pose la question de savoir s’il s’agit d’un « délai raisonnable » au sens du droit européen. La Cour constate que la législation nationale prévoit de tenir compte de circonstances particulières et de l’urgence du cas en cause. La réponse à la troisième question est dès lors que le délai n’est pas déraisonnable.

Intérêt de la décision

Dans cet important arrêt, la Cour de Justice approfondit les règles applicables depuis son arrêt ELCHINOV. Statuant dans le cadre des articles 49 C.E. et 22 du Règlement n° 1408/71, la Cour y a posé la règle que ces dispositions s’opposent à une réglementation d’un Etat membre qui exclut, dans tous les cas, la prise en charge des soins hospitaliers dispensés sans autorisation préalable dans un autre Etat membre. Ainsi, l’autorisation requise ne peut être refusée si, lorsque les prestations prévues par la législation nationale font l’objet d’une liste qui ne mentionne pas de manière expresse et précise la méthode de traitement appliquée mais qui définit les types de traitement pris en charge par l’institution compétente, il est établi, en prenant en considération tous les éléments médicaux pertinents et les données scientifiques disponibles, que cette méthode de traitement correspond à des types de traitement mentionnés dans cette liste et si un traitement alternatif présentant le même degré d’efficacité ne peut être prodigué en temps opportun dans l’Etat membre sur le territoire duquel réside l’assuré social.

Par ailleurs, lorsqu’il est établi que le refus de délivrance de l’autorisation requise n’était pas fondé alors que les soins hospitaliers sont achevés et que les frais y afférents ont été exposés par l’assuré social, la juridiction nationale doit obliger l’institution compétente à rembourser à celui-ci le montant qui aurait normalement été acquitté si l’autorisation avait été dûment délivrée.

Relevons enfin que c’est un arrêt de la Grande chambre.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be