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Recours de la mutualité contre FEDRIS en remboursement de prestations : questions de prescription

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Verviers), 3 septembre 2020, R.G. 18/846/A

Mis en ligne le vendredi 12 mars 2021


Tribunal du travail de Liège (division Verviers), 3 septembre 2020, R.G. 18/846/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 3 septembre 2020, le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) rappelle les principes en matière de prescription de l’action de l’organisme assureur AMI en remboursement des indemnités versées à une victime d’accident du travail, lorsqu’une décision judiciaire a jugé que la période d’incapacité correspondante était due à un accident du travail dans lequel une aggravation était survenue.

Les faits

Un jugement rendu en 1988 par le tribunal du travail avait fixé les séquelles d’un accident du travail en retenant un taux d’IPP de 70% à dater du 8 août 1987 (accident du 27 septembre 1984). Ce taux fut porté, à partir du 1er août 2011, à 95% (75% d’incapacité purement physique + 20% pour une aide de tiers).

Une action en aggravation fut introduite dans le courant de l’année 2014 et un expert fut désigné en 2015. Son rapport conclut à une période d’ITT (de plusieurs mois), le taux de l’IPP étant maintenu. Ce rapport fut entériné.

Des difficultés survinrent ensuite entre FEDRIS et l’organisme assureur AMI. Suite au jugement rendu, les deux institutions se mirent en effet en rapport en vue de rembourser à la mutualité les montants avancés par elle. FEDRIS contesta cependant devoir prendre en charge le début de l’incapacité temporaire, au motif de prescription.

Une action fut en fin de compte introduite par la mutualité le 10 décembre 2018.

Position des parties devant le tribunal

La mutualité conteste le point de départ du délai de prescription calculé par FEDRIS, considérant que le délai ne peut débuter qu’à partir du moment où son droit (droit de récupérer les indemnités versées) a été fixé. Le délai ne peut dès lors commencer à courir qu’à partir du jugement définitif et non des décaissements. Raisonner autrement impliquerait de devoir introduire une action dans les trois ans à dater du paiement des indemnités, même si aucun élément ne venait fonder une telle réclamation.

A titre subsidiaire, la mutualité fait valoir le non-respect par FEDRIS de l’article 136, § 2, alinéa 6, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, ce qui implique la mise en cause de sa responsabilité. Elle expose que cette disposition a pour but de lui permettre d’exercer son recours subrogatoire. L’article 136, § 2, alinéa 6, contient deux obligations dans le chef de FEDRIS, étant (i) de l’avertir de son intention d’indemniser le bénéficiaire et (ii) de transmettre à l’organisme assureur, si celui-ci n’a pas été partie à la procédure, les décisions de justice intervenues. Ceci impliquait l’obligation de transmettre le jugement avant dire droit. En l’espèce, aucune information ne lui a été donnée et elle est restée dans l’ignorance du recours exercé par son affilié.

A titre plus subsidiaire encore, la mutualité vise l’article 63, § 2, de la loi du 10 avril 1971, dont elle estime qu’il est applicable en cas d’indemnisation des conséquences d’une aggravation d’un accident antérieur au 1er janvier 1988, l’Agence développant, selon elle, alors des activités équivalentes à celles d’une entreprise d’assurances agréée.

Pour sa part, FEDRIS considère que la mutualité ne peut se prévaloir de la subrogation visée, au motif que ses décaissements couvrent une période antérieure à l’action en contestation de sa décision de refus de prise en charge, qui est intervenue en octobre 2014. En outre, l’acte interruptif de prescription posé par l’affilié étant postérieur aux décaissements, la subrogation ne peut profiter qu’à FEDRIS et non à l’organisme assureur.

S’agissant, par ailleurs, d’un accident antérieur au 1er janvier 1988, l’aggravation temporaire est à sa charge en vertu de l’article 25bis de la loi du 10 avril 1971.

En application de l’article 69 de cette même loi, la prescription triennale est applicable et toute somme avancée avant le 12 juillet 2014 (la demande de l’organisme assureur datant du 12 juillet 2017) est prescrite.

Enfin, elle conteste d’une part l’application de l’article 63 de la loi du 10 avril 1971, au motif qu’elle ne peut être assimilée à une entreprise d’assurances, et d’autre part un manquement à l’article 136, § 2, alinéas 6 et 7, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. Les décisions de justice avant dire droit (désignation d’un expert) ne sont pas visées à la disposition légale.

L’Agence conclut dès lors à l’absence de faute dans son chef.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend les textes applicables, étant les dispositions du Code judiciaire (articles 17, alinéa 1er, et 18), celles de la loi du 10 avril 1971 ensuite (articles 25bis, 63, §§ 1er et 2, 69 et 70) et enfin l’article 136, § 2, alinéas 3 à 7, de la loi coordonnée du 14 juillet 1994.

Pour ce qui est de la prescription, il se livre à un examen particulièrement approfondi de divers points : la notion d’indemnités, les conditions dans lesquelles l’acte interruptif de prescription posé par l’assuré social bénéficie à l’organisme assureur, le délai et l’interruption de la prescription, le point de départ visé à l’article 69 de la loi du 10 avril 1971 et celui de la prescription en matière d’indu.

Il rappelle qu’en l’espèce des prestations de santé et d’incapacité de travail ont été accordées à l’intéressé en exécution de la législation AMI, et ce dans l’attente de la réparation du dommage par FEDRIS. L’organisme assureur est ainsi subrogé dans les droits de son assuré social, la subrogation n’existant qu’à concurrence des montants décaissés et au fur et à mesure des paiements effectués. L’action est soumise au délai de prescription de l’action qu’aurait pu exercer la victime. Cependant, un acte interruptif de prescription posé par celle-ci ne peut bénéficier à l’organisme assureur que s’il est antérieur à la subrogation.

Le délai de prescription de trois ans fixé à l’article 69 vise, en application des règles dégagées en jurisprudence, notamment celle exercée par les prestataires de soins en récupération des frais exposés dans le cadre de l’indemnisation prévue par la loi. Sur le point de départ du délai de prescription de l’action en paiement d’une indemnité pour frais médicaux et assimilés, le tribunal rappelle qu’en vertu d’un arrêt du 8 février 1993 de la Cour de cassation (Cass., 8 février 1993, n° 8189), ce délai prend cours au moment où les frais sont exposés et, ainsi, au fur et à mesure des décaissements opérés.

Un courrier a été adressé par le FAT (FEDRIS actuellement) le 12 novembre 2013, avertissant la mutualité de son refus d’intervention, de telle sorte qu’elle était informée du refus d’indemnisation. Celle-ci aurait dès lors pu interrompre la prescription, le tribunal rappelant qu’en vertu de l’article 70 de la loi, cette interruption peut intervenir par une simple lettre recommandée.

Il examine ensuite les obligations reprises à l’article 295 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996, qui prévoit l’obligation dans le chef de l’assuré social d’informer sa mutualité de la possibilité d’obtenir une indemnisation notamment par l’intervention de FEDRIS. Cette obligation n’a pas été respectée par l’assuré social, mais le tribunal acte que les parties ne souhaitent pas mettre la victime à la cause pour des raisons de dignité humaine. Quel que soit le manquement éventuel de celle-ci, l’assureur ne peut se retrancher derrière l’obligation de la victime pour justifier sa propre absence d’information, puisqu’il a à cet égard une obligation propre.

Le tribunal rencontre ensuite l’argument tiré de l’application de l’article 63, § 2, de la loi du 10 avril 1971, concluant que cette disposition n’est pas applicable à FEDRIS (l’Agence ne développant pas des activités d’une entreprise d’assurances).

Enfin, renvoyant à l’article 136, alinéa 6, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, il en rappelle le mécanisme, étant que, lorsque le débiteur de la réparation (en l’espèce FEDRIS) décide d’indemniser la victime de l’accident, il en avertit l’organisme assureur. Deux hypothèses sont envisagées dans cette disposition, étant (i) que FEDRIS peut décider de reconnaître et d’indemniser l’aggravation, auquel cas elle est tenu d’avertir la mutualité de son intervention afin que les paiements de celle-ci cessent, ou (ii) FEDRIS n’accepte pas l’aggravation, ce qui l’oblige, en cas de condamnation, à prendre en charge l’aggravation reconnue judiciairement et à transmettre à la mutualité, qui n’a pas été partie à la cause, les décisions judiciaires.

Ceci a été fait en l’espèce, FEDRIS n’ayant pas l’intention d’indemniser la victime avant sa condamnation par le tribunal. A ce moment, après la communication de la décision judiciaire, la prescription était acquise.

Le tribunal confirme dès lors le bien-fondé de la position de FEDRIS à cet égard et déboute la mutualité de son action.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail de Liège (division Verviers) fait le tour des questions juridiques qui se sont posées dans ce dossier assez complexe en droit. L’on notera que les positions des parties étaient particulièrement documentées. Il y a lieu de rappeler avec le tribunal, tout d’abord, que la jurisprudence de la Cour de cassation est importante sur la notion d’indemnités, un arrêt du 19 février 2007 (Cass., 19 février 2007, n° S.06.0003.N) ayant considéré que ce terme vise toutes les sommes dues en vertu de la loi du 10 avril 1971, quel que soit le débiteur, et couvre également les intérêts dus de plein droit depuis la date du paiement sur les indemnités couvrant les frais médicaux et assimilés payés par l’organisme assureur.

Un autre point important souligné par ce jugement est relatif à l’interruption de la prescription vu l’action subrogatoire de la mutualité. Dans un arrêt du 16 décembre 2004 (Cass., 16 décembre 2004, n° C.02.0212.N et C.02.0251.N), la Cour de cassation a en effet jugé que l’interruption de la prescription par celui qui se fait subroger dans ses droits n’a lieu au profit du subrogé que si elle est antérieure et non postérieure à la subrogation.

Enfin, il a judicieusement rappelé que, si la victime de l’accident, sur qui pèse une obligation d’information vis-à-vis de son organisme assureur AMI, manque éventuellement à celle-ci, l’assurance ne peut se retrancher derrière le non-respect par la victime de son obligation pour justifier l’absence d’information de sa part, dans la mesure où elle a une obligation d’information propre.


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