Terralaboris asbl

Conditions de l’assimilation de périodes de maladie dans le secteur des travailleurs indépendants

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 août 2020, R.G. 2019/AB/648

Mis en ligne le vendredi 26 mars 2021


Cour du travail de Bruxelles, 11 août 2020, R.G. 2019/AB/648

Terra Laboris

Dans un arrêt du 11 août 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que les présomptions de l’arrêté royal n° 38 valent non seulement pour vérifier l’exercice d’une activité professionnelle, mais également pour déterminer les conditions d’assimilation de périodes de maladie ou d’invalidité à l’exercice d’une activité professionnelle aux fins de bénéficier des droits correspondants en matière de pension.

Les faits

Un travailleur indépendant (avocat) tombe en incapacité de travail suite à un accident de voiture. Pendant un trimestre, lui est accordée l’assimilation pour raison de maladie, celui-ci ayant repris son activité professionnelle dans le courant du trimestre suivant. Cinq ans plus tard, il fait une nouvelle demande, déclarant être toujours en incapacité de travail et avoir reçu l’autorisation d’une reprise à temps partiel pendant plus de quatre ans (soit jusqu’au 23 juin 2014) et être, depuis, de nouveau apte à travailler à temps plein. L’INASTI admet l’assimilation. En 2017, il est cependant informé par le SPF Finances de l’existence de revenus professionnels pour les années 2015 et 2016 (de l’ordre de 22.300 euros pour la première et 32.700 euros pour la seconde – montants après déduction des charges).

La décision d’assimilation à partir de 2014 est dès lors refusée. Un recours est introduit – infructueusement – par l’intéressé devant le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles. Il interjette appel.

Objet de l’appel

L’appel porte sur la période du 1er juillet 2014 au 31 décembre 2014, que l’appelant demande à la cour d’écarter, ainsi que sur deux trimestres ultérieurs, étant le troisième trimestre 2016 et le deuxième trimestre 2017. Il demande également des dommages et intérêts de l’ordre de 5.600 euros ainsi que la condamnation de l’INASTI aux frais et dépens.

La décision de la cour

La cadre légal est, comme le rappelle la cour, l’article 28 de l’arrêté royal du 22 décembre 1967 portant règlement général relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants. Celui-ci dispose en son § 3 qu’aucune période ne peut être assimilée si l’intéressé a exercé au cours de celle-ci une activité professionnelle. De même, une période assimilée prend fin s’il y a reprise d’une activité professionnelle. Le travailleur indépendant est censé ne pas avoir cessé son activité professionnelle ou en avoir repris une, suivant le cas, si une activité est exercée en son nom, par personne interposée, l’intéressé bénéficiant en tout ou en partie des revenus produits par cette activité.

La cour rappelle également que les présomptions instaurées par l’arrêté royal n° 38 valent pour les règles d’assimilation pour maladie ou invalidité au sens de cet article 28 (renvoyant à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 3 septembre 2012, R.G. 2011/AB/864, ainsi qu’à un précédent du 9 septembre 2011, R.G. 2009/AB/52.793).

La charge de la preuve de l’exercice d’une activité professionnelle incombe à l’INASTI et, en l’occurrence, la Cour constate que, pour la période visée en 2014, une telle preuve n’est pas apportée. Apparaissent, pour les six derniers mois de l’année, des relevés TVA, dont l’INASTI déduit que ceux-ci révèlent l’exercice de l’activité professionnelle visée.

S’agissant d’une acticité d’avocat, la cour rappelle que ceux-ci ont été soumis à la TVA à partir du 1er janvier 2014 et qu’il est possible que les déclarations TVA concernent des prestations effectuées avant le second semestre de l’année et qui se soient clôturées (jugement ou arrêt) pendant cette période. Les déclarations TVA n’ont pas nécessairement trait à des prestations effectuées pendant la période litigieuse. Elles ne constituent dès lors pas une preuve suffisante de l’exercice d’une activité professionnelle d’indépendant.

La cour réforme le jugement, dans la mesure où l’assimilation pour cause de maladie a été refusée pendant cette période de six mois.

Cette solution ne vaut cependant pas pour les deux trimestres ultérieurs (troisième trimestre 2016 et deuxième trimestre 2017). La cour renvoie aux présomptions légales de l’arrêté royal n° 38 et notamment à la présomption fiscale de l’article 3, § 2. L’INASTI apporte en effet la preuve de revenus taxables pour ces deux années, de telle sorte que l’indépendant est présumé jusqu’à preuve du contraire avoir exercé une activité professionnelle. Il peut cependant apporter la preuve contraire. A cette fin, ce dernier renvoie à son compte de résultats, dont il ressortirait que, pour que ces deux trimestres, aucun revenu n’a été généré.

La cour constate qu’en réalité, il y a eu des rentrées, l’appelant en ayant cependant déduit des frais (véhicule, électricité, gaz, GSM, voyages et déplacements, taxis, frais de restaurant et frais d’hôtel). L’existence de ces frais démontre l’effectivité de l’activité. En outre, l’absence de rentrées n’indique pas l’absence d’activité, dans la mesure où – renvoyant au raisonnement ci-dessus en ce qui concerne les déclarations TVA – il est possible qu’un décalage existe entre le moment où les activités ont été exercées et leur facturation aux clients. La preuve contraire n’étant pas apportée, l’intéressé ne renverse pas la présomption de l’article 3, § 2, de l’arrêté royal. La cour confirme en conséquence le jugement sur ce point.

Elle traite, enfin, d’une demande de dommages et intérêts introduite au motif d’une mauvaise gestion administrative du dossier. Elle rejette cette demande, au motif d’un traitement régulier, les délais intervenus depuis la communication des données par le SPF Finances n’étant pas considérés anormaux. Il n’y a dès lors pas de faute de l’INASTI.

Intérêt de la décision

L’article 28 de l’arrêté royal du 22 décembre 1967 détermine les conditions de l’assimilation des périodes de maladie ou d’invalidité à des périodes d’activité professionnelle. Les conditions de cette assimilation sont prévues aux articles 29 et suivants du même arrêté royal. Pour ce qui est du refus d’assimilation, la référence est faite selon l’article 28, § 1er, au droit pour l’intéressé de bénéficier d’un autre régime de pension que celui des travailleurs indépendants et l’activité de travailleur indépendant qui conditionne l’ouverture du droit à l’assimilation est celle susceptible d’ouvrir le droit à la pension de retraite dans ce secteur.

Une exception au droit à l’assimilation est l’exercice pendant la période visée d’une activité professionnelle et, à cet égard, il y a lieu d’être attentif au fait que le travailleur indépendant est censé ne pas avoir cessé son activité professionnelle ou en avoir repris une, suivant le cas, si cette activité était exercée en son nom propre par personne interposée, l’intéressé bénéficiant en tout ou en partie des revenus produits par celle-ci. Le critère est dès lors l’existence de revenus perçus par le bénéficiaire de l’assimilation.

L’on notera en l’espèce que la cour s’est fondée essentiellement sur la présomption fiscale de l’arrêté royal n° 38, étant fournis à la fois des déclarations TVA et des avertissements-extraits de rôle.

Pour ce qui est des déclarations TVA, la cour a admis que pouvait exister un décalage entre la perception des revenus et l’exercice de l’activité correspondante. Pour ce qui est, cependant, des revenus taxables (l’information étant ici communiquée sur base annuelle), elle a actionné la présomption légale, admettant que la preuve de l’absence d’activité puisse être apportée par le travailleur indépendant, cette preuve étant relative à une partie de l’année, pour laquelle les revenus taxables ne sont connus que globalement. Dans le cadre du renversement de la présomption, sont ici produits des chiffres, qui tendraient à démontrer l’absence de revenus pour une partie de l’année, preuve qui n’est pas satisfaisante, d’autant plus que les éléments fiscaux démontrent par eux-mêmes l’exercice d’une activité professionnelle, dans la mesure où des frais professionnels admis par le SPF Finances en tant que tels sont produits.

Un autre cas d’assimilation a été tranché par la cour du travail de Bruxelles le 8 mai 2020 (R.G. 2018/AB/750 – précédemment commenté), la cour s’étant penchée plus particulièrement sur la notion de cessation d’activité : celle-ci s’entend de manière plus stricte pour cette assimilation que pour la reconnaissance et l’indemnisation de l’incapacité de travail. Renvoi est fait dans cet arrêt notamment à l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 9 septembre 2011 cité (C. trav. Bruxelles, 9 septembre 2011, R.G. 2009/AB/52.793 – précédemment commenté), qui avait rappelé l’arrêt de la Cour de cassation du 21 mars 1983, selon lequel il y a lieu de tenir compte des présomptions d’exercice d’une activité indépendante dans les conditions envisagées par l’arrêté royal n° 38, ainsi en cas de perception de revenus professionnels.
La cour du travail avait également repris, pour ce qui est de l’activité exercée au nom de l’indépendant par personne interposée, un cas particulier tranché précédemment (celui, d’ailleurs, dont question dans l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 9 janvier 2009 cité), s’agissant également d’un avocat qui n’exerçait pas son activité lui-même pendant son incapacité de travail mais avait fait appel à des collaborateurs. Il ne satisfaisait pas aux critères de la cessation d’activité au sens de l’article 28, § 3, en matière de pension.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be