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Accident du travail : recherche du lien de subordination

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 17 novembre 2020, R.G. 18/5.088/A

Mis en ligne le mardi 13 avril 2021


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 17 novembre 2020, R.G. 18/5.088/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 17 novembre 2020, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles rappelle que le champ d’application de la loi du 10 avril 1971 vise toute relation de travail exécutée dans le cadre du lien de subordination caractéristique du contrat de travail, et ce même si le contrat de travail devait lui-même être déclaré nul pour non-respect de la réglementation en matière d’occupation de main-d’œuvre étrangère.

Les faits

Un ouvrier, de nationalité étrangère, sans domicile en Belgique et porteur d’un passeport en règle, est admis aux urgences en novembre 2017 dans un hôpital de la capitale, ayant subi une blessure avec une scie circulaire. Il est blessé au bras droit. Il reste hospitalisé trois jours. Des broches sont posées et il est en incapacité de travail, au total, pour six mois.

Des démarches sont faites auprès de la société qui l’emploie, l’ouvrier revendiquant le statut de salarié. Celle-ci fait valoir, par son gérant, que l’intéressé a le statut d’associé actif indépendant d’une autre société et qu’il n’a pas la qualité de salarié dans celle pour laquelle il prestait au moment de l’accident.

L’O.N.S.S. prendra, un an et demi plus tard, une décision d’assujettissement, au motif de l’existence d’éléments incompatibles avec la qualification donnée par les parties à leurs relations professionnelles, étant un contrat d’entreprise. L’Office précise que l’intéressé, qui ne comprend pas bien la langue française, n’a pas été en mesure de saisir les clauses de son engagement et notamment le statut d’associé actif pour une autre société, initiative qui a été prise par le gérant. En outre, il ne possède aucune part dans la société, il n’a aucun pouvoir décisionnel ni organisationnel dans sa gestion administrative et financière et, notamment, il n’a aucune autonomie au niveau des horaires.

Entre-temps, il a introduit une demande devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, aux fins de faire admettre l’existence d’un accident du travail et de désigner un expert judiciaire. Le tribunal est ici saisi de cette demande, une autre requête déposée en matière de contrat de travail étant laissée au rôle.

Il est constaté, dans le cadre de la procédure, à laquelle FEDRIS est partie, que la société n’est pas assurée contre les accidents du travail et qu’elle n’a pas déclaré de personnel salarié depuis la fin de l’année 2016.

La décision du tribunal

Le tribunal commence par rappeler, dans les principes applicables, les pouvoirs de l’O.N.S.S. en matière d’affiliation d’office, étant que l’Office peut assujettir un travailleur à la loi du 27 juin 1969, loi dont il assure l’exécution.

Il reprend ensuite les règles applicables dans la matière des accidents du travail en cas de nullité du contrat. Celle-ci ne peut être opposée à l’application de la loi, ainsi que le dispose son article 6, § 1er. Un contrat conclu avec un étranger sans permis de travail ne peut dès lors empêcher l’indemnisation de la victime. Le tribunal renvoie à de nombreuses décisions qui ont confirmé que le caractère irrégulier de l’occupation du travailleur ne fait pas obstacle à son indemnisation dans le cadre de la loi du 10 avril 1971.

Encore faut-il, pour que la loi soit applicable, qu’il y ait un lien de subordination. La loi-programme (I) du 27 décembre 2006, relative à la nature des relations de travail, a permis dans certaines hypothèses un allègement de la charge de la preuve en instaurant une présomption. Celle-ci permet de qualifier la relation de travail sur la base de la réunion (ou non) d’un certain nombre de critères. La qualification ainsi obtenue s’impose, et ce nonobstant la volonté des parties, sauf si la présomption est renversée. Des critères spécifiques peuvent être définis, dans des secteurs, professions, catégories ou activités professionnelles déterminés par le Roi. Ils viennent alors remplacer ou compléter les critères généraux. Ces critères portent sur la dépendance socio-économique ou la subordination juridique. Dans le secteur concerné, un arrêté royal est intervenu le 7 juin 2013, entré en vigueur le 7 juillet suivant. Les critères qu’il contient remplacent dès lors les critères généraux.

Le tribunal se livre ensuite à des développements très fouillés en ce qui concerne les éléments de l’espèce, la situation étant rendue plus complexe vu l’existence de deux sociétés ayant le même gérant et étant actives dans le même secteur. Il considère que le lien de subordination doit être retenu, renvoyant aux motifs de la décision de l’O.N.S.S. Il conclut dès lors à l’application de la loi et désigne la société employeur.

Après quoi, il en vient à l’examen de l’existence d’un accident du travail, faisant ici encore un rappel important des règles, étant à la fois les éléments de la définition et les obligations de preuve. Il retient que les explications données par l’intéressé, tout au fil du temps, s’insèrent dans un ensemble de faits cohérents et concordants. Ces faits sont par ailleurs confortés par un témoignage, étant celui de la propriétaire des lieux où les travaux de construction étaient effectués.

S’agissant, par ailleurs, d’un cas où l’employeur n’a pas souscrit d’assurance, conformément à l’obligation qui lui est imposée par l’article 49 de la loi, le tribunal rappelle le rôle de FEDRIS, qui doit accorder la réparation conformément aux dispositions légales. Ce rôle de FEDRIS s’étend à une autre hypothèse, étant celle où l’entreprise d’assurances (et non l’employeur) reste en défaut de s’acquitter.

Dans l’hypothèse où FEDRIS doit prendre le relais, sur le plan de la réparation, elle récupère à charge de l’employeur (ou de l’entreprise d’assurances en défaut) les débours et les capitaux correspondants (le tribunal apportant également les précisions légales des articles 45ter, alinéas 3 et 6, 59quinquies ainsi que 42bis). Renvoi est fait, sur ce mécanisme, à un arrêt de la Cour de cassation du 3 novembre 2008 (Cass., 3 novembre 2008, n° S.08.0007.N), qui a jugé que, si l’employeur, tenu de souscrire une assurance contre les accidents du travail, est en défaut de ce faire, le Fonds des Accidents du Travail (FEDRIS) peut exercer un recours en vertu de l’article 60 de la loi pour récupérer les débours, capitaux et montants visés et qu’il faut entendre par « employeur » la personne qui occupe, en nom propre et pour son propre compte, des travailleurs engagés dans les liens d’un contrat de travail ou des personnes assimilées à ces travailleurs. FEDRIS peut également obtenir la condamnation de l’employeur à une cotisation d’affiliation d’office. Le tribunal accueille dès lors la demande de l’Agence à cet égard.

Un expert est désigné aux fins de donner un avis sur les séquelles de l’accident.

Intérêt de la décision

Deux corps de règles sont abordés dans le jugement commenté, étant d’une part le champ d’application de la loi du 10 avril 1971 et d’autre part la qualification de la relation de travail.

Sur la première question, le tribunal rappelle que la loi s’applique, peu importe le respect d’autres conditions de l’occupation du travailleur, ainsi, en l’espèce, l’occupation de travailleurs de nationalité étrangère. La conclusion vaudrait également dans toute hypothèse de travail non déclaré et la jurisprudence a eu à maintes reprises l’occasion de rappeler la chose.

Le deuxième point examiné par le tribunal est l’existence d’un lien de subordination, qui va être le critère décisif permettant l’application de la loi du 10 avril 1971. Un rappel est fait du mécanisme mis en place par la loi-programme (I) du 26 décembre 2006. En l’espèce, s’agissant de travaux de construction, ceux-ci ont été rapidement visés par le Roi comme secteur devant bénéficier de critères spécifiques. L’arrêté royal du 7 juin 2013, pris en exécution de l’article 337/2, § 3, de la loi-programme en ce qui concerne la nature des relations de travail qui se situent dans le cadre de l’exécution de certains travaux immobiliers, a ainsi remplacé les critères de l’article 337/2, § 1er, par neuf points, affinant les règles générales en les adaptant aux spécificités du secteur.


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