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Infractions à la législation en matière de titres-services : un nouveau rappel des obligations de l’entreprise agréée

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 mai 2020, R.G. 2019/AB/309

Mis en ligne le vendredi 16 avril 2021


Cour du travail de Bruxelles, 19 mai 2020, R.G. 2019/AB/309

Terra Laboris

Dans un arrêt du 19 mai 2020, rappelant l’enseignement de la Cour de cassation quant à la portée des dispositions de l’arrêté royal du 12 décembre 2001 concernant les titres-services, la Cour du travail de Bruxelles revient sur les obligations des sociétés agréées et sur la charge de la preuve de la régularité de l’utilisation des titres-services.

Les faits

Une société, active dans le secteur des titres-services, fait partie d’un groupe qui exploite six résidences pour personnes âgées.

Un procès-verbal est rédigé par le Département Travail et Economie sociale de l’Autorité flamande, vu plusieurs infractions (sept) à la réglementation en matière de titres-services. Ces infractions sont précisées en fait et en droit dans un courrier recommandé adressé à la société, demandant également ses intentions en vue d’un éventuel remboursement des titres-services accordés. Un courrier est adressé, en réponse, contestant en droit la position de l’administration. Le montant du remboursement (de l’ordre de 2.165.000 euros) est également contesté.

Suite à la décision du Département Titres-services de l’Autorité flamande pointant les infractions constatées, 20% de cette somme sont réclamés. La limitation à 20% est justifiée par la circonstance qu’une partie des titres octroyés l’ont été à bon droit.

La société introduit une procédure devant le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles, demandant l’annulation de la décision et, à titre subsidiaire, une réduction du remboursement sur des bases concrètes et non forfaitaires.

Le recours a été rejeté par décision du tribunal du 15 mars 2019 et appel a été interjeté.

La décision de la cour

La cour va passer en revue les différents points de discussion, le premier étant relatif au procès-verbal de constat des infractions. La notification du procès-verbal aurait dû, pour la cour, se faire par courrier recommandé. Il s’agit, via celui-ci, de porter à la connaissance de la partie intéressée les infractions reprochées. Le délai de quatorze jours pour la notification prend cours le jour qui suit celui de la constatation de la dernière infraction. A défaut de recommandé, la cour estime, et ce avec le Ministère public, que le procès-verbal peut néanmoins valoir en tant qu’information.

En ce qui concerne les infractions retenues, il s’agit d’exercice d’activités non autorisées, de non-respect de la tenue du registre, de l’absence de division sui generis et du fait que des activités de titres-services étaient accomplies par des travailleurs qui n’avaient pas été engagés dans ce statut.

Pour ce qui est des activités non autorisées, il s’agit de tâches ne figurant pas dans l’arrêté royal du 12 décembre 2001 relatif aux titres-services. Des exemples sont donnés à cet égard, qui incluent divers travaux, qui vont de la livraison de repas chauds à des déménagements, travaux de peinture, etc. Pour cette infraction, la cour retient un manque total de connaissance et de respect de la réglementation applicable, ce qui est considéré comme une circonstance aggravante.

En ce qui concerne le registre, la cour rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 26 juin 2017 (Cass., 26 juin 2017, n° S.15.0125.N), qui a jugé que le système d’enregistrement est indispensable pour permettre un contrôle efficace du respect de la réglementation. La cour rappelle qu’après une première visite d’inspection, la société a eu une « deuxième chance » afin de reconstituer les prestations effectuées par des travailleurs et de déterminer qui avait en réalité effectué les prestations litigieuses. Plusieurs travailleurs étaient en effet concernés et les informations données ne correspondent pas avec la banque de données de Sodexo. Vu l’ensemble des éléments de fait, la cour conclut que l’infraction est bien réelle et que c’est à bon droit qu’aucune circonstance atténuante n’a été retenue.

Vient ensuite l’examen de l’infraction liée à l’absence de département sui generis, exigé par l’article 2, § 2, a), de la loi du 20 juillet 2001. Cette infraction est également confirmée, ainsi que celle relative à l’exercice d’activités dans le cadre de titres-services par des travailleurs qui n’étaient pas engagés sous ce statut. Les éléments du dossier permettent de confirmer la justesse de la conclusion des services de contrôle. L’infraction est retenue, et ce sans circonstance atténuante.

Sur la restitution, la cour renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Gand du 15 janvier 2018 (C. trav. Gand, 15 janvier 2018, R.G. 2016/AG/311), qui a considéré qu’il s’agit ici d’un cas d’application de la figure juridique du paiement indu. Le remboursement d’un paiement indu est soumis à deux conditions. D’une part il faut un paiement et d’autre part celui-ci doit avoir un caractère indu. C’est l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 12 décembre 1985 (Cass., 12 décembre 1985, Arr. Cass, 1985-86, p. 5637).

Qu’un paiement soit intervenu ne peut être contesté. Quant à son caractère indu, il est avéré dès que le paiement est intervenu sans cause (Cass., 12 décembre 1985, cité).

En l’espèce, la récupération a été limitée à 20% des chèques payés pendant les trois années précédant le contrôle. La société conteste, et ce eu égard à la ventilation entre paiements réguliers et paiements qui ne l’étaient pas, distinction dont la preuve n’est pas fournie par l’Autorité flamande.

La cour rétorque que, eu égard à l’absence de tout enregistrement, la distinction n’a pas pu être opérée entre ce qui fut alloué régulièrement et ce qui ne le fut pas.

Elle renvoie ici à l’arrêt du 26 juin 2017 (Cass., 26 juin 2017, cité), qui a jugé qu’en l’absence de système de registre, il appartient à l’entreprise d’établir que le subside lui a été octroyé régulièrement. La cour souligne que le Ministère public était d’avis également que l’entreprise de titres-services ne satisfaisait pas à l’obligation de preuve qui repose sur elle.

L’Autorité flamande aurait pu, pour la cour, récupérer l’ensemble des titres-services et en limitant cette récupération à 20%, elle a agi de manière raisonnable. La cour souligne encore, avec le Ministère public, que la société n’apporte aucun élément qui permettrait de réduire le pourcentage réclamé.

Intérêt de la décision

Les infractions constatées dans l’espèce soumise à la cour sont régulières. L’on notera l’absence de circonstances atténuantes et la confirmation, en tout cas pour une des infractions, de circonstances aggravantes. La cour a retenu à cet égard l’ignorance et le non-respect de la réglementation applicable.

A deux reprises, la cour du travail renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 26 juin 2017. Cet arrêt est important dans la matière. L’on peut en retenir qu’il résulte de l’article 2quater, § 4, alinéa 1er, 15°, de l’arrêté royal d’exécution du 12 décembre 2001 que le système d’enregistrement utilisé doit permettre de constater quel travailleur individuel a effectué les prestations qui ont été payées par un utilisateur déterminé au moyen de chèques bien déterminés. L’on ne peut dès lors considérer qu’il est satisfait à cette disposition lorsque l’entreprise agréée transmet les titres-services à la société émettrice aux fins de remboursement groupé par mois dans lequel les prestations ont été effectivement effectuées.

L’on peut également renvoyer sur cette question à l’avis du Ministère public.

L’enseignement de cet arrêt porte également, à propos de la même disposition, sur la nature de l’obligation imposée à l’entreprise. Celle-ci s’inscrit en même temps dans son obligation de justification en tant qu’allocataire. En vertu de l’article 57, alinéa 2, des lois coordonnées sur la comptabilité de l’Etat du 17 juillet 1991 (avant leur abrogation en application de la loi du 22 mai 2003), l’allocataire qui demeure en défaut de fournir les justifications visées à l’article 55 est tenu au remboursement à concurrence de la partie non justifiée.

En l’espèce, l’absence de toute justification aurait permis, comme l’a souligné la cour, de considérer que l’entreprise n’avait pas satisfait à son obligation de preuve quant à la justification des titres alloués et la décision de ne réclamer que 20% de la totalité de ces montants (concernant les trois années avant le contrôle) était tout à fait justifiée.


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