Terralaboris asbl

Un étranger, pour qui existe un engagement de prise en charge, peut-il bénéficier de l’aide sociale ou du revenu d’intégration sociale ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 février 2007, R.G. 48.369

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 22 février 2007, R.G. n° 48.369

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 22 février 2007, la cour du travail de Bruxelles s’est penchée sur les conséquences sur le droit au revenu d’intégration sociale ou à l’aide sociale, pour un étranger pour qui un garant a signé un engagement de prise en charge, conformément à l’article 3bis de la loi du 15 décembre 1980.

Les faits

Mme T., de nationalité congolaise, est arrivée en Belgique en 2003, pour un court séjour, initialement, et a introduit ultérieurement une demande d’établissement dans le cadre d’un regroupement familial, avec sa fille, de nationalité belge. Celle-ci a signé successivement deux déclarations de prise en charge, en mars 2003 et en février 2004.

Mme T. recevra, en septembre 2004, une carte d’identité d’étranger.

Suite à ceci, elle a introduit en janvier 2005 auprès du CPAS de sa commune une demande de revenu d’intégration ou d’aide sociale.

Cette demande sera refusée, notamment au motif de la prise en charge et du fait que l’intéressée a des débiteurs alimentaires qui disposent de revenus supérieurs au revenu d’intégration.

De nouvelles demandes seront introduites, ultérieurement, toujours avec le même objet (l’intéressée ayant entre temps déménagé vers un appartement qu’elle occupe seule) et, en fin de compte, un recours sera introduit contre une dernière décision du 14 juillet 2005 ( motivée par l’engagement de prise en charge, le CPAS constatant par ailleurs que l’intéressée ne répond pas aux conditions d’octroi pour bénéficier du revenu d’intégration sociale (art. 3 § 4 de la loi du 26 mai 2002) et qu’elle ne peut pas prétendre à l’aide sociale).

Mme T. bénéficiera, toutefois, ultérieurement du revenu d’intégration au taux isolé à partir du 1er septembre 2006 par nouvelle décision du mois de septembre 2006, octroi subordonné à la condition qu’elle démontre sa disposition à chercher un emploi.

Le recours judiciaire va dès lors porter sur ses droits pour la période du 1er juin 2005 (visée par la décision du 14 juillet 2005) au 31 août 2006.

La position des parties devant le premier juge

Pour Mme T., l’engagement de prise en charge ne peut être utilisé que comme preuve des moyens de subsistance des étrangers qui désirent faire un court séjour en Belgique et cet engagement ne peut être utilisé dans le cadre de la procédure en regroupement familial. L’inscription au registre de la population a comme conséquence que la fille de Mme T. est libérée de son engagement de prise en charge. Subsidiairement, elle fait valoir que le CPAS doit d’abord servir l’aide et ensuite se retourner contre le garant et elle se réfère également aux règles à appliquer lorsque l’intervention du garant s’avère impossible ou trop aléatoire (comme en l’espèce : un seul revenu du travail vu la séparation du couple, revenu sur lequel une saisie est pratiquée).

Pour le CPAS, il y a maintien de l’argumentation relative à la prise en charge et obligation pour la demanderesse d’assumer sa mise en autonomie, celle-ci ne pouvant se faire au détriment de la collectivité.

La position du tribunal

Sur l’engagement de prise en charge, le premier juge considère que, dès que la requérante a obtenu un droit d’établissement en Belgique, elle ne se trouve plus soumise aux dispositions applicables au court séjour (moins de trois mois) et le refus du CPAS ne pouvait se fonder sur l’engagement de prise en charge.

Par ailleurs, sur la mise en autonomie et l’état de besoin, il relève que Mme T. n’établit pas les raisons qui justifieraient son éloignement de l’appartement de sa fille et que les conséquences de la décision prise ne peuvent être reportées sur la collectivité.

La position des parties en appel

Mme T. fait valoir, sur l’engagement de prise en charge, que celui-ci ne peut pas être utilisé dans le cadre d’une procédure de regroupement familial, ce que le premier juge a d’ailleurs admis. Elle fait encore valoir que cet engagement a pris fin depuis février 2006.

Elle plaide en outre le caractère trop aléatoire - voire impossible - de l’intervention de son garant, vu la situation financière de sa fille et estime que ce fait est implicitement corroboré par l’admission de son droit à un revenu d’intégration sociale à partir du 1er septembre 2006. Enfin, l’exécution en nature de l’obligation lui paraît impossible, étant que sa fille ne peut la loger vu l’exiguà¯té de son appartement. Mme T. considère, ainsi, dûment établie la nécessité pour elle de se loger dans un appartement seule, logement dont elle ne peut couvrir les frais.

Quant au CPAS, il conclut essentiellement sur les motifs du déménagement, ainsi que d’autres éléments de fait (la séparation intervenue entre la fille et le beau-fils et la date de fin du bail).

Sur l’engagement de prise en charge, le CPAS considère que celui-ci ne peut avoir pris fin suite au changement de statut de l’intéressée sur le territoire belge et qu’il restait valable pendant toute sa durée, de telle sorte que c’est à l’expiration de celle-ci que le droit de Mme T. au revenu d’intégration sociale a pu être reconnu.

La position de la Cour

La Cour constate que, dès son inscription au registre de la population, l’intéressée pouvait bénéficier du droit au revenu d’intégration sociale, mais que - celui-ci ayant un caractère subsidiaire - lui restait applicable l’obligation d’épuiser les autres moyens de se procurer des ressources. La contestation portera ici sur l’obligation éventuelle de Mme T. de se procurer des ressources auprès de sa fille, les autres conditions d’octroi (dont celle de démontrer sa disposition à trouver un emploi) n’étant pas contestées.

La Cour doit ainsi examiner les effets de l’engagement de prise en charge et la possibilité pour l’intéressée d’épuiser un droit aux aliments auprès de sa fille.

Sur le plan des principes, la Cour relève que l’engagement de prise en charge souscrit en exécution de l’art. 3bis de la loi du 15 décembre 1980 instaure un garant qui va s’engager à l’égard de l’étranger, de l’Etat belge et de tout CPAS compétent à prendre en charge pendant un délai de deux ans les soins de santé, les frais de séjour et de rapatriement de l’étranger. Il est, avec celui-ci, solidairement responsable du paiement de ces frais. Il ne pourra être exonéré de sa responsabilité que s’il apporte la preuve que l’étranger a quitté le territoire « Schengen » et il ne peut se désister de son engagement que si un nouvel engagement est souscrit et accepté par les autorités.

Il s’ensuit que l’existence d’un tel engagement de prise en charge fait obstacle à l’octroi de l’aide sociale (sauf s’il était impossible au demandeur d’aide de faire effectivement exécuter cet engagement) et également au revenu d’intégration.

La Cour relève encore que c’est cet engagement de prise en charge qui a permis à l’intéressée d’entrer sur le territoire et qu’elle n’a pas été admise, pour cette entrée, dans le cadre d’une demande de regroupement familial (celle-ci étant intervenue ultérieurement).

La Cour ne va ainsi pas suivre Mme T., qui soutenait notamment que l’attestation de prise en charge était légalement limitée à la durée du court séjour. Pour la Cour, ceci ne résulte d’aucune disposition légale et cet engagement ne tombe pas dès lors qu’une demande de regroupement familial serait introduite. Elle relève encore que, dans un cas de regroupement familial, la loi prévoit que l’étranger vient s’installer ou s’installe avec le membre de sa famille et que, en l’espèce, Mme T. a considéré devoir s’installer dans un logement séparé.

Quant aux faits, la Cour notera que n’est pas apportée la preuve de l’impossibilité pour la fille, garant, d’exécuter en nature (cohabitation) ou par équivalent (aide financière) l’engagement qu’elle avait volontairement souscrit. Mme T. n’établissant pas l’impossibilité raisonnable d’exiger de sa fille l’exécution de cet engagement, la Cour considère que l’appel n’est pas fondé, en ce qui concerne l’octroi d’une aide sociale pour la période couverte par la durée de cet engagement.

Par contre, pour celle qui suivra l’expiration de celle-ci, la Cour examine alors la possibilité pour Mme T. de recourir à ses débiteurs alimentaires, en l’occurrence sa fille. Elle rappelle qu’il incombe d’abord aux enfants de subvenir aux besoins de leurs parents, la collectivité ne devant les prendre en charge que si les enfants sont dans l’impossibilité d’y pourvoir.

Le mécanisme légal prévoit en effet que le CPAS a trois possibilités, étant

  • d’imposer au demandeur de faire valoir ses droits à l’égard des personnes qui lui doivent des aliments (loi du 26 mai 2002, art. 4, § 1er)
  • d’agir au nom et en faveur de ce demandeur pour faire valoir ses droits à l’égard de ses débiteurs d’aliments (art. 4, § 3)
  • ou d’octroyer le revenu d’intégration sociale et d’en poursuivre ensuite le remboursement à charge de ceux qui sont débiteurs d’aliments (art. 26 de la même loi).

Le CPAS ayant opté pour la décision d’octroyer le revenu d’intégration à partir du 1er septembre 2006 (et de se retourner contre le débiteur d’aliments), la Cour aboutit à la conclusion que cette situation était identique dès la fin de la période couverte par l’engagement de prise en charge, soit février 2006. Elle alloue, par conséquent, le revenu d’intégration au taux isolé pour cette période, sans préjudice pour le CPAS d’en recouvrer le montant (complet ou partiel) à charge de la fille de Mme T., débitrice d’aliments.

Intérêt de la décision

Cette décision présente un double intérêt, étant d’une part de

  • clarifier les effets sur le droit au revenu d’intégration sociale ou à l’aide sociale d’un engagement de prise en charge souscrit dans le cadre de la loi du 15 décembre 1980 et en rappeler la portée ;
  • rappeler que, dès l’expiration de celui-ci, l’intéressé a comme obligation de faire valoir ses droits à tout autre revenu que celui du revenu d’intégration sociale, dont ses droits en matière d’aliments. En l’occurrence, le garant s’identifiant avec ce débiteur, c’est celui-ci que la loi désigne, dans les deux cas. Dès lors, toutefois, que le CPAS a décidé d’octroyer le revenu d’intégration sociale, il lui restera à se retourner contre ce débiteur en vertu de l’art. 26 de la loi du 26 mai 2002.

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