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La récupération d’indu face à un prestataire de soins qui n’a pas perçu lui-même le remboursement de prestations payées indûment

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 24 avril 2007, R.G. 7.703/2004

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Liège, sect. Namur, 24 avril 2007, R.G. 7.703/2004

TERRA LABORIS ASBL – Sandra CALA

Dans un arrêt du 24 avril 2007, la Cour du travail de Liège a eu à connaître de l’action en récupération dirigée par des organismes assureurs à l’égard d’un prestataire de soins qui n’avait pas perçu les interventions de l’assurance soins de santé pour son propre compte. La Cour a examiné l’application de l’article 164 (modifié par la loi du 20 décembre 1995) à des faits litigieux survenus sous l’empire de l’ancienne législation. Il faut rappeler que la modification légale a aggravé la situation du prestataire de soins, celui-ci se trouvant dorénavant tenu solidairement avec l’institution qui a perçu les honoraires, alors que le texte précédent n’autorisait la récupération qu’à charge de la personne qui les avait perçus.

Les faits

Les actions en récupération sont dirigées contre une bandagiste agréée, Mme C., travaillant en qualité d’associé actif pour une société. Elle est rétribuée par le versement d’un forfait mensuel.

Entre janvier et septembre 1993, en raison d’une incapacité de travail, elle va faire effectuer des prestations par une aide (stagiaire non agréée) qui, après son licenciement, déposera une plainte aboutissant à une enquête de l’I.N.A.M.I. et entraînera la comparution de la bandagiste agréée devant la chambre restreinte du service de contrôle médical de l’Institut. Cette chambre restreinte ainsi que la commission d’appel lui reprocheront notamment d’avoir, en qualité de bandagiste agréée conventionnée, rédigé et présenté au remboursement des attestations de fournitures alors que celles-ci n’ont été fournies ni par elle-même, ni par un autre dispensateur agréé.

Devant la juridiction du travail appelée à examiner les requêtes en récupération d’indu, Madame C. a, par citation en intervention et garantie, mis à la cause la société qui a perçu les honoraires.

La décision du tribunal du travail

Le tribunal considère que les décisions de la chambre restreinte et de la commission d’appel ont autorité de chose décidée, empêchant la remise en cause des griefs retenus. Seule la constatation de l’indu est de la compétence du tribunal du travail.

Le tribunal applique ensuite l’article 164 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités pour retenir la responsabilité solidaire de la prestataire de soins, écartant les dispositions antérieures et la jurisprudence y attachée. Le tribunal relève que la récupération s’impose même en l’absence de fraude.

Position de l’appelante

Dans le cadre de son appel, Mme C. fait valoir qu’il convient d’appliquer l’ancien article 97 de la loi du 9 août 1963 (applicable à l’époque des faits litigieux), de sorte que la récupération ne peut être poursuivie qu’à charge de la société.

La décision de la Cour du travail

La Cour du travail examine la législation applicable à la récupération de l’indu mis à charge du prestataire de soins et raisonne comme suit :

  • les actions en récupération d’indu ayant été entamées après l’entrée en vigueur de la loi coordonnée du 14 juillet 1994, c’est bien l’article 164 alinéa 2 de cette loi qui est applicable au moment de l’introduction de la demande ;
  • par contre, se pose la question de la rétroactivité de la loi dès lors que la situation du prestataire de soins qui n’a pas perçu les prestations pour son propre compte s’est aggravée depuis la modification de l’article 164 par la loi du 20 décembre 1995.

La Cour relève en effet que, à l’époque où les faits se sont produits, il était prévu que les prestations, dans le cadre du tiers payant, devaient être remboursées par le donneur de soins ou par la personne morale ou physique qui les avait perçues pour son propre compte. Ce texte ne pouvait être interprété autrement qu’en faisant supporter le remboursement par la personne (prestataire de soins ou institution) qui avait perçu les honoraires.

Or, par la loi du 20 décembre 1995 modifiant l’article 164, le législateur a permis aux organismes assureurs de s’adresser aussi bien au prestataire de soins qu’à l’institution, tenus solidairement responsables, même si le prestataire de soins n’a pas perçu pour son propre compte les sommes versées par l’organisme assureur pour les prestations effectuées.

Pour la Cour, il s’agit donc de résoudre le problème de l’application de la loi dans le temps, étant précisé que le législateur n’a pas prévu que la loi nouvelle ne s’appliquerait qu’aux manquements commis après son entrée en vigueur.

La Cour relève qu’il a été considéré que l’action diligentée contre le prestataire échappe au mécanisme de la répétition d’indu puisque le prestataire n’a pas perçu les prestations et qu’elle ne s’écarte pas fondamentalement du droit de la responsabilité civile. Aussi, c’est sur la base non de la répétition d’indu mais de la responsabilité civile que le prestataire qui a recours au tiers payant – même s’il n’a pas perçu les honoraires pour son propre compte -peut être poursuivi.

Elle conclut que le fondement légal de la récupération à charge du prestataire dans le régime du tiers payant tel qu’organisé par l’article 164 modifié par la loi du 20 décembre 1995 relève de la récupération d’indu s’il a perçu lui-même les remboursements tandis qu’il est à rechercher dans le régime de la responsabilité dans le cas contraire.

Retenant que les actions en récupération se fondent sur une loi nouvelle qui prévoit la responsabilité solidaire du prestataire qui n’a pas perçu lui-même le remboursement pour des faits antérieurs à son entrée en vigueur, la Cour estime qu’il y a lieu d’ordonner une réouverture des débats dans la mesure où deux questions se posent :

  • la situation n’est-elle pas née et définitivement accomplie sous l’empire de l’ancienne loi, la Cour du travail se référant notamment à des arrêts de la Cour de cassation du 9 septembre 2004 (C 2003-492F), du 21 mai 2004 (C 2003-151-F), du 20 mai 2000 (Bull., 2000, p. 979). Si c’est le cas, la loi nouvelle serait inapplicable ;
  • dès lors que le fondement de la demande est à trouver dans le droit de la responsabilité, la Cour s’interroge sur le fait qu’il faudrait avec H. DE PAGE considérer que les lois relatives à la responsabilité ne peuvent jamais, fussent-elles même d’ordre public, s’appliquer à des faits générateurs de responsabilité nés avant son entrée en vigueur.

Les parties sont dès lors invitées à s’expliquer sur ces questions.

L’intérêt de la décision

Cette décision aborde une matière qui n’est pas fréquente, étant des actions en récupération de prestations de l’assurance soins de santé payées indûment, actions qui se fondent sur l’article 164 alinéa 2 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994.

La loi prévoit en effet actuellement une responsabilité solidaire du prestataire de soins même s’il n’a pas perçu pour son propre compte les sommes versées par les organismes assureurs pour les prestations effectuées.

Par ailleurs, se pose la question de l’application de cette disposition à des faits antérieurs à son entrée en vigueur alors que, sous l’ancienne législation, pareille responsabilité n’était pas prévue, seule la personne percevant les honoraires étant tenue au remboursement.

A l’égard d’un prestataire qui n’a pas lui-même perçu le remboursement, la Cour analyse l’action dirigée à son encontre non pas comme une récupération d’indu mais comme se fondant sur le droit de la responsabilité civile, de sorte que ce sont les règles de ce régime qui doivent trouver à s’appliquer et notamment en ce qui concerne l’application de la loi dans le temps.


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