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INAMI : nature de la sanction administrative et incidence en cas de cumul

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 26 juin 2007, R.G. 7.782/2005 (II)

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Liège, sect. Namur, 26 juin 2007, R.G. 7.782/2005

TERRA LABORIS ASBL – Pascal HUBAIN

Dans un arrêt du 26 juin 2007, que nous venons de commenter dans un précédent article pour l’intérêt qu’il présente à propos de la notion de fraude et de ses incidences en matière de prescription, la Cour du travail de Liège s’est aussi prononcée sur la nature des sanctions administratives de l’INAMI. La Cour décide que les sanctions administratives prononcées par celui-ci sont des sanctions de nature pénale auxquelles il faut appliquer le principe « non bis in idem ».

Les faits

Ceux-ci ont été rappelés dans l’article précité. Ils ne présentent, pour cet aspect de l’arrêt, pas d’intérêt particulier. Qu’il suffise de rappeler que l’Inami a notifié à un assuré social une sanction administrative fondée sur l’article 2, 1° de l’arrêté royal du 10 janvier 1969 et deux autres sanctions administratives fondées cette fois-ci sur l’article 2, 4° et 6° du même arrêté.

La position de la Cour

Les sanctions concernées sont visées par l’article 2, 4° et 6 de l’arrêté royal du 10 janvier 1969.

Examinant le cumul par l’Inami de sanctions administratives, la Cour construit son raisonnement comme suit pour arriver à la conclusion qu’il faut appliquer une seule sanction, la plus forte.

Elle fait tout d’abord la distinction entre les sanctions pénales proprement dites et les sanctions de nature pénale au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, citant notamment un arrêt de la Cour de cassation du 11 mars 2002 (Bull. p.701). Si les sanctions administratives sont de nature pénale au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, il y aurait en effet lieu d’appliquer les principes contenus dans ladite convention tel que le principe « non bis in idem ».

La Cour du travail se réfère tout d’abord à l’article 6, 1° de la Convention européenne, après avoir considéré que le droit aux allocations de sécurité sociale fait partie, selon la jurisprudence de la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme, des droits civils au sens de l’article 6, 1° susvisé.

Par contre, pour la Cour du travail, il est moins évident de considérer que les sanctions administratives appartiennent à la notion de droit civil ou doivent être incluses dans le droit pénal au sens de la Convention européenne. Elle commence par rappeler la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur la notion d’accusation en matière pénale, trois critères étant retenus : la qualification juridique de l’infraction selon le droit national, la nature de l’infraction et enfin la nature et la gravité de la sanction.

Pour la Cour, les sanctions administratives que l’INAMI peut prendre à l’égard d’un invalide sont des sanctions qui, financièrement, peuvent être fort lourdes et qui ont un objectif dissuasif répressif. Il faut donc conclure qu’elles sont de nature pénale (comme celles qui visent le chômeur dans la réglementation relative au chômage). En effet, elles n’ont pas pour but de réparer un préjudice causé à l’assurance obligatoire mais bien de sanctionner l’invalide en le privant du droit aux indemnités pendant une certaine période.

Par ailleurs, concernant ces sanctions, les juridictions du travail disposent d’un pouvoir de pleine juridiction, notamment celui de les apprécier au regard de l’article 6, 1° de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Du fait que ces sanctions administratives sont bien des sanctions de nature pénale, la Cour du travail conclut qu’il faut leur appliquer le principe « non bis in idem » en sorte que le contrevenant ne peut être sanctionné deux fois pour le même manquement ou comportement, la notion de délit collectif pouvant être appliquée.

La Cour du travail constate donc que, pour appliquer une seule sanction, il faut que les faits relèvent d’une même unité d’intention, s’agissant d’une notion laissée à l’appréciation du juge du fond et qui est une condition nécessaire de l’existence d’un délit collectif. La Cour se réfère à cet égard à une doctrine autorisée ainsi qu’à une jurisprudence abondante selon lesquelles plusieurs infractions imputées à un prévenu procèdent d’une même intention délictueuse lorsqu’elles sont liées entre elles par la poursuite d’un but unique et par sa réalisation, et constituent dans cette acception un seul fait, à savoir un comportement complexe, le lien entre les différentes composantes du délit collectif n’étant dès lors rien d’autre qu’une identité de mobile, chacun des actes prenant une place déterminée dans le système conçu par l’auteur pour réaliser sa fin.

L’unité d’intention peut être constatée par le juge du fond, même s’il s’agit de faits punis en raison de la simple violation matérielle d’une prescription légale, sans même qu’aucune intention doleuse ne soit requise. Ce n’est donc pas parce que les éléments moraux requis pour l’existence de deux délits déterminés diffèrent que ces deux infractions ne pourraient pas constituer un délit collectif en raison de l’unité d’intention de leur auteur.

En l’espèce, la Cour du travail de Liège rappelle que les manquements reprochés à M. B. consistent d’une part dans le fait d’avoir repris une activité sans autorisation du médecin conseil (article 2, 4° de l’arrête royal – suspension pour 30 indemnités journalières) et d’autre part, d’avoir repris une activité sans avoir informé l’organisme assureur et d’avoir perçu les indemnités (article 2, 6° de l’arrêté royal – sanction de 75 indemnités journalières).

Pour la Cour, les deux faits distincts relèvent d’un même manquement sans qu’il soit requis qu’ils requièrent une intention doleuse. Il s’agit de deux infractions matérielles distinctes concomitantes qui manifestent la même intention puisque le fait à l’origine des manquements est la reprise d’activité non autorisée en sorte qu’il y a bien unité d’intention. La Cour en conclut qu’une seule sanction doit être appliquée, la plus forte, soit la sanction de 75 indemnités journalières.

Enfin, la Cour examine d’office la possibilité d’accorder à M. B. un sursis et considère en l’espèce que, ce dernier n’ayant pas été constamment inconscient de ses actes et ayant au contraire exercé l’activité de manière continue pendant des années, il n’y a pas lieu de lui accorder celui-ci.

Intérêt de la décision

Ce deuxième enseignement de l’arrêt de la Cour du travail de Liège est très important.

C’est en effet la consécration de la nature pénale des sanctions administratives prononcées par l’INAMI dans le cadre de l’arrêté royal du 10 janvier 1969 ( voyez par comparaison l’arrêt de la Cour de cassation du 17 mars 1999, Pas.,1997,I,p.149 concernant les amendes administratives appliquées aux kinésithérapeutes et praticiens de l’art infirmier, qui doivent tenir un registre des prestations).

La jurisprudence et la doctrine se sont surtout prononcées sur la nature pénale des sanctions prononcées par l’Onem en vertu des articles 153 à 159 de l’arrêté royal du 25 novembre 1961 (voyez Mireille DELANGE, « Les pouvoirs du juge dans le contentieux de la sécurité sociale », in Questions de droit social, C.U.P. 2002, p. 120 ; Paul PALSTERMAN, « L’application de l’adage non bis in idem en matière de sécurité sociale et particulièrement de l’assurance chômage », Chron. D. S., 1990, p. 317).

La même Cour du travail de Liège, composée identiquement, avait déjà tenu le même raisonnement dans un arrêt du 25 avril 2006 concernant les articles 154 et 155 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage (R.G. n° 7.892/2005, in http://www.juridat.be –voyez également entre autres C. trav. Liège,9e chambre, 8 déc. 2003, R.G.n° 30.747/02)

C’est donc à juste titre que la Cour admet également la nature pénale des sanctions prononcées par l’I.N.A.M.I, ce qui entraîne non seulement l’application du principe ’non bis in idem’ mais aussi d’un ensemble de garanties plus larges telles que le principe de légalité, de non rétroactivité, de l’application des causes de justification, de territorialité, d’imputabilité, de la règle du doute, de la charge de la preuve, de la prescription, du droit d’être jugé dans un délai raisonnable, ainsi que de la participation et de la motivation.

Quant au sursis, il est expressément prévu par l’article 11 de l’arrêté royal du 10 janvier 1969 déterminant les sanctions administratives applicables aux bénéficiaires du régime d’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, au même titre que la récidive (article 8) et le concours de plusieurs manquements (article 9).


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