Terralaboris asbl

Comment évaluer la nouvelle incapacité de travail d’une personne ayant précédemment été victime de deux accidents du travail ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 juin 2007, R.G. 45.760

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 28 juin 2007, R.G. n° 45.760

TERRA LABORIS ASBL - Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 28 juin 2007, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que, pour évaluer l’incapacité de travail en assurance maladie invalidité, il faut prendre en compte l’ensemble des lésions et troubles fonctionnels présentés par le titulaire au moment de l’interruption du travail.

Les faits

Monsieur A.K., électricien de 47 ans, a été victime de deux accidents du travail en 1970 et 1985, réparés par l’assureur loi de son employeur (IPP de 15 et 12%).

Le 8 janvier 1988, il a été reconnu par sa mutuelle incapable de travailler à plus de 66%.

Le médecin-conseil de sa mutuelle a mis fin à l’incapacité de travail après plus d’un an d’indemnisation.

Monsieur A.K. a constaté la décision administrative de sa mutuelle devant le tribunal du travail de Bruxelles, considérant qu’il reste incapable de travailler à plus de 66% selon les critères de l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994.

Par jugement du 20 décembre 2002, le tribunal du travail a, avant dire droit, désigné un expert judiciaire en lui demandant d’évaluer l’incapacité de travail de Monsieur A.K. à la date litigieuse « abstraction faite du dommage déjà réparé en accident du travail ».

Vu l’ambiguà¯té d’une telle mission et suite aux observations formulées par le conseil de Monsieur A.K. quant à l’objet de la mission d’expertise, les parties ont demandé à l’expert judiciaire de tenir compte de deux hypothèses distinctes, dans l’évaluation de l’incapacité de travail :

  • en excluant les accidents du travail de 1970 et de 1985 ;
  • en prenant en considération l’ensemble des lésions et troubles fonctionnels présentés par Monsieur A.K., en ce compris les accidents du travail.

L’expert judiciaire a alors conclu à une incapacité de travail inférieure à 66% si l’on exclut les deux accidents du travail mais supérieure à 66% si l’on prend en considération l’ensemble des lésions et troubles fonctionnels présentés par Monsieur A.K. à la date litigieuse.

Dans son jugement du 25 juin 2004, le tribunal du travail a alors retenu l’avis de l’expert judiciaire en tenant compte des séquelles desdits accidents du travail tout en précisant néanmoins qu’il faut tenir compte des rentes perçues pour la réparation des accidents du travail, dans le calcul des indemnités à payer par la mutuelle en application de l’article 136 § 2 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994.

La mutuelle de Monsieur A.K. a interjeté appel du jugement.

La position des parties

D’une part, la mutuelle considère que l’expert a passé outre à la mission confiée par le tribunal, en prenant déjà position dans le corps même de son rapport alors qu’il aurait simplement du donner son avis dans chacune des hypothèses et le tribunal aurait du se baser sur la première et non la deuxième hypothèse, faute d’aggravation suffisante de l’état de santé de Monsieur A.K. et alors qu’il était déjà indemnisé pour les deux accidents du travail. D’autre part, pour la mutuelle, en dehors d’une banale lombalgie, sur discopathie pluri étagée, aucune autre pathologie n’a pu être mise en évidence et la situation orthopédique de Monsieur A.K. semble bien stabilisée. Son médecin-conseil considère par conséquent que Monsieur A.K. est capable, comme électricien, de reprendre une activité professionnelle dans le secteur du montage électrique.

Enfin, la mutuelle considère que si l’on englobe l’état antérieur de Monsieur A.K., cela reviendrait à estimer que lorsqu’un travailleur, porteur d’un handicap, commence ou reprend une activité professionnelle, sa capacité de gain pour cet emploi sera, non pas de 100% mais de 100% moins l’état antérieur, ce qui serait contraire à l’article 100 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994.

De son côté, Monsieur A.K. estime que, pour déterminer sa réduction de capacité de gain, il faut prendre en considération l’ensemble des lésions et troubles fonctionnels qu’il présente au moment de l’interruption du travail et pas seulement les lésions et troubles fonctionnels nouveaux ou l’aggravation qui est la cause directe de l’interruption du travail. C’est uniquement au stade de la réparation de son dommage, c’est-à-dire du paiement des indemnités d’incapacité de travail, qu’il conviendra ou non de tenir compte de la réparation déjà accordée pour les deux accidents du travail ( article 136 § 2 alinéa 1er de la loi coordonnée le 14 juillet 1994). C’est dès lors à juste titre que l’expert judiciaire a pris en considération l’ensemble des lésions et troubles fonctionnels, en ce compris ceux résultant des accidents du travail.

La position de la Cour

La Cour du travail considère tout d’abord que l’expert judiciaire n’a pas passé outre à la mission qui lui a été confiée par le tribunal et par les parties et n’a pas pris position dans son rapport d’expertise. Bien au contraire, l’expert judiciaire a envisagé les deux hypothèses, comme les conseils juridiques des deux parties le lui avaient demandé et a donné son avis dans chacune de celles-ci.

La Cour rappelle ensuite la définition de l’incapacité de travail au sens de l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. Tout d’abord, l’on ne peut pas reconnaître une incapacité de travail si, au moment de l’interruption de l’activité, l’état de santé du travail concerné ne s’est pas aggravé par rapport à celui qu’il présentait au moment où il avait commencé à travailler (aggravation d’une affection préexistante ou survenance d’une nouvelle lésion). Il faut par ailleurs qu’il existe un lien de causalité entre le début ou l’aggravation des lésions ou des troubles fonctionnels et la cessation de toute activité (l’exigence du lien causal a été introduite par l’arrêté royal n° 22 du 23 mars 1982 modifiant l’ancien article 56 de la loi du 9 août 1963 devenu l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994). Toutefois, dans son arrêt de principe du 1er octobre 1990, la Cour de cassation a clairement décidé que, pour déterminer la réduction de la capacité de gain, c’est-à-dire évaluer l’incapacité de travail, il y a lieu de considérer l’ensemble des lésions et troubles fonctionnels présentés par le titulaire au moment de l’ interruption du travail et pas seulement des lésions ou troubles fonctionnels nouveaux ou l’aggravation qui est la cause directe de l’interruption de travail ( Cass. 1er octobre 1990, Chr.D.S.1991,p.111).

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la Cour confirme tout d’abord que, pour que le raisonnement de la mutuelle puisse être suivi, elle devrait établir que l’état de santé de Monsieur A.K. est redevenu celui qu’il présentait entre 1987 ( consolidation de l’accident du travail de 1985) et le 7 janvier 1998 inclus, c’est-à-dire au cours d’une période de dix ans environ au cours de laquelle les séquelles des accidents dont il avait été victime rendaient son travail plus pénible mais non impossible.

Or, l’expert judiciaire a bien confirmé qu’outre les séquelles des deux accidents du travail, Monsieur A.K. a encore présenté d’autres affections (oesophagite de grade I bien tolérée, une cervicalgie légère à modérée, une aggravation de la lombalgie, une légère dépression).

L’expert a alors considéré que ces affections, jointes aux séquelles de l’accident du travail (arthrose fémoro-patellaire débutante au niveau des genoux et aggravation du remaniement arthrosique de l’articulation scapulo-humérale gauche) engendrent bien une incapacité de travail selon les critères de la loi.

La Cour relève que l’expert considère même que cette incapacité de travail est définitive.

Elle en conclut que c’est à bon droit que le premier juge a retenu la deuxième hypothèse de l’avis de l’expert judiciaire tout en précisant qu’il conviendra de faire application de l’article 136 § 2 de la loi coordonnée lorsqu’il s’agira d’indemniser Monsieur A.K.

Intérêt de la décision

L’évaluation de l’incapacité de travail ne doit pas être confondue avec le dommage réparé en assurance maladie invalidité. Or, la mission d’un expert judiciaire en cette matière concerne la première et non le second.

C’est également à juste titre que la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’enseignement de la Cour de cassation concernant l’évaluation de cette incapacité de travail. Pour autant qu’un lien causal existe entre le début ou l’aggravation des lésions ou troubles fonctionnels et la cessation de toute activité, il convient de prendre en considération l’ensemble des lésions et troubles fonctionnels présentés par l’assujetti social, en ce compris l’état antérieur.

Notons enfin que puisque les deux accidents du travail totalisaient 27% d’incapacité de travail, il y avait toujours place pour reconnaître une nouvelle incapacité de travail de 66% en assurance maladie invalidité dans un cas où les 66% sont obtenus en tenant compte de toutes les affections médicales, y compris donc l’état antérieur.


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