Terralaboris asbl

Non publication des horaires en cas d’occupation à temps partiel : gare aux conséquences pour le travailleur bénéficiant d’allocations de chômage !

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 janvier 2007, R.G. 46.768w

Mis en ligne le jeudi 14 août 2008


Cour du travail de Bruxelles, 10 janvier 2007, R.G. 46.468W

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 10 janvier 2007, la Cour du travail de Bruxelles estime en effet que dans ce cas de figure, la présomption de travail à temps plein (sanction du non respect par l’employeur de ses obligations) peut être invoquée par l’ONEm à l’encontre du chômeur, celui-ci, présumé avoir été travailleur à temps plein et n’ayant pas été privé de travail pendant la période où il a bénéficié d’allocations de garantie de revenu.

Les faits

Mme C. prestait, en qualité d’ouvrière, dans un restaurant, situé à Ottignies. Elle prestait à temps partiel (20 heures/semaine) et bénéficia, pour les heures habituelles de non activité, d’allocations de garantie de revenus servies par l’ONEm.

L’employeur n’a pas respecté les obligations imposées par la loi programme du 22 décembre 1989, étant plus particulièrement les obligations liées à la publicité des horaires des travailleurs à temps partiel. Cette infraction a été constatée par l’Inspection des lois sociales.

A cette suite, l’ONEm prit, le 25 juillet 1995, une décision, notifiant à l’intéressée une décision d’exclusion des allocations de chômage pour la période du 1er avril 1993 au 31 mars 1994 et la récupération des allocations perçues pendant cette période. L’ONEm se fonde sur l’absence de publication des horaires et sur la présomption de travail à temps plein instaurée par la réglementation, considérant que Mme C. a presté à temps plein pendant la période.

Celle-ci introduisit un recours à l’encontre de cette décision, devant le Tribunal du travail de Nivelles.

La décision du tribunal

Le Tribunal fit droit au recours, se fondant sur l’arrêt de la Cour d’arbitrage du 1er avril 1998 (n°40/98), qui a estimé que la présomption irréfragable mise en place par la réglementation en cas de non respect par l’employeur des mesures de publication des horaires viole le principe constitutionnel d’égalité et de non discrimination dans l’interprétation selon laquelle les travailleurs acquièrent un droit à la rémunération.

Le Tribunal en concluait que l’intéressée n’avait pas droit à la rémunération sur la base d’un temps plein, de sorte que la décision de l’ONEm n’était pas justifiée.

La position des parties

L’ONEm interjeta appel du jugement. Il estime en effet qu’en temps qu’organisme de sécurité sociale, il est en droit de se prévaloir de la présomption instaurée par l’article 171 de la loi du 22 décembre 1989 (qui prévoit qu’à défaut de publicité des horaires prévus aux articles 157 à 159 de la loi, les travailleurs sont présumés avoir effectué leurs prestations à temps plein).

Examinant les arrêts de la Cour d’arbitrage, l’ONEm estime que ceux-ci ne remettent pas en cause sa position, la Cour n’ayant censuré la disposition que dans l’interprétation selon laquelle le travailleur peut l’invoquer à l’encontre de l’employeur pour obtenir le paiement de la rémunération sur la base d’un temps plein ainsi que celle selon laquelle la présomption, à l’égard du travailleur, serait irréfragable.

Sur la seule base de la présomption d’occupation à temps plein, l’ONEm estime que l’intéressée doit être considérée comme n’ayant pas été privée de travail et que c’est à celle-ci de faire la preuve contraire.

Dans le cas d’espèce, l’ONEm estime que cette preuve n’est pas rapportée par la travailleuse et demande en conséquence à la Cour du travail de rétablir la décision annulée par le premier Juge.

Mme C. invoque quant à elle que la présomption de l’article 171 ne concerne pas les travailleurs et ne peut dès lors être invoquée à son encontre par l’ONEm.

Elle avance par ailleurs divers éléments tendant à établir la conformité des prestations de travail avec la durée du travail convenue et sollicite d’être autorisée à rapporter cette preuve par toute voie de droit, témoignages y compris.

La décision de la cour

Sur le plan des principes, la Cour du travail rejeta l’argumentation de Mme C. et estime que l’ONEm peut effectivement se prévaloir à l’égard du travailleur de la présomption, laquelle peut cependant, en application de l’enseignement de la jurisprudence de la Cour d’arbitrage, être renversée par le travailleur, en établissant que le travail a été effectué conformément à la durée du travail convenue.

La Cour estime ainsi que l’argumentation de l’ONEm est conforme aux dispositions légales et réglementaires applicables ainsi qu’à la Constitution (principe d’égalité et de non discrimination).

Examinant ensuite si Mme C. renverse la présomption, la Cour du travail relève que l’ONEm n’a pas rencontré les éléments avancées par elle, tandis que celle-ci, défaillante lors de l’audience où la cause a été prise en délibéré, n’a pas déposé les éléments de son dossier (notamment les témoignages écrits dont elle faisait état dans ses écrits de procédure).

La Cour ordonne en conséquence une réouverture des débats, afin que Mme C. puisse produire les éléments de son dossier et l’invite par ailleurs à apporter diverses précisions sur les attestations produites (cadre et circonstances de leur établissement).

Intérêt de la décision

Cette décision met en lumière les risques auxquels sont confrontés les travailleurs à temps partiel lorsque l’employeur néglige ses obligations en la matière (notamment, la publicité des horaires de travail).

Il faut rappeler que la réglementation du travail à temps partiel impose à l’employeur diverses obligations, dont celles de publicité des horaires. Eu égard aux fraudes, courantes dans ce type d’occupation, le législateur a prévu une sanction à charge de l’employeur, par l’instauration d’une présomption (initialement irréfragable, c’est-à-dire non renversable) d’occupation des travailleurs à temps plein.

La Cour de cassation a par ailleurs précisé que cette présomption ne concerne pas le contrat conclu entre l’employeur et le travailleur à temps partiel et que la présomption n’a été établie qu’en faveur des institutions de sécurité sociale. Elle ne peut dès lors pas profiter au travailleur et n’est aucunement susceptible de jouer en sa faveur dans ses rapports avec son employeur (Cass., 4 octobre 1999, Pas., 1999, I, 501). Le travailleur ne peut dès lors invoquer cette présomption pour obtenir le paiement de la rémunération sur la base d’un temps plein.

Cependant, et comme l’illustre la décision de la Cour du travail de Bruxelles, l’ONEm s’est vu reconnaître, par la jurisprudence, la possibilité d’invoquer cette présomption à l’égard du chômeur lui-même, qui devrait dès lors établir que l’occupation s’est effectivement réalisée dans le cadre limité de la durée du travail convenue avec l’employeur. Aussi, le manquement par l’employeur à ses obligations légales dans le cadre de l’occupation de travailleurs à temps partiel a des répercussions très néfastes sur les droits du travailleur à temps partiel aux allocations de chômage.

Dans la mesure où, dans l’extrême majorité des cas, ces conséquences sont complètement ignorées par le travailleur/chômeur, il est fort probable que celui-ci ne se soit pas ménagé la preuve de l’étendue de ses prestations et se retrouve dès lors démuni pour faire face à la charge de la preuve qui repose sur lui dans le cadre du litige avec l’ONEm, litige qui peut d’ailleurs se nouer bien après la fin des relations contractuelles, et éventuellement à un moment où l’employeur a « disparu » (par ex. en cas de faillite).

Relevons enfin que dans un litige opposant l’ONSS à l’employeur sur l’application de cette présomption, la Cour de cassation a estimé que la preuve contraire consiste à démontrer que les travailleurs à temps partiel n’ont pas effectué de prestations à temps plein dans le cadre d’un contrat de travail à temps plein et ne porte ainsi pas sur l’étendue des prestations réellement effectuées dans le cadre d’un contrat de travail à temps partiel (Cass., 3 févr. 2003, R.G. S.02.0083.N). Cette jurisprudence doit trouver application au cas du chômeur (voir en ce sens, C. trav. Liège, 2 déc. 2003, R.G. 6295/98).


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