Terralaboris asbl

Une décision médicale prise dans le cadre de l’assurance maladie invalidité peut-elle rétroagir ?

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 18 mars 2008, R.G. 8.442/2007

Mis en ligne le vendredi 19 septembre 2008


Cour du travail de Liège, section de Namur, 18 mars 2008, R.G. n° 8.442/2007

TERRA LABORIS ASBL – Pascal HUBAIN

Dans un arrêt du 18 mars 2008, la Cour du travail de Liège, section de Namur confirme que, sauf force majeure, lorsque la décision de refus d’entrée en invalidité intervient après la période d’incapacité primaire, ce refus ne peut avoir d’effet rétroactif.

Les faits

Le 1er décembre 1997 Mr F., travailleur indépendant, a introduit auprès de son organisme assureur maladie invalidité, une demande de reconnaissance de son état d’incapacité de travail.

Le 7 avril 1998, la mutuelle refuse la prise en charge.

Suite au recours introduit par Mr F. contre cette décision, après plusieurs années, la Cour du travail de Liège, par un arrêt du 17 janvier 2006 reconnaîtra l’état d’incapacité primaire tout en considérant que ce n’est pas à la mutuelle de se prononcer sur l’entrée en invalidité.

Le 7 juillet 2006, le conseil médical de l’invalidité de l’INAMI notifie à Mr F. une fin d’incapacité de travail mais avec effet au 1er décembre 1998, cette date correspondant en fait à l’entrée en invalidité.

A nouveau, Mr F. contestera cette décision devant le tribunal du travail de Dinant.

Le jugement dont appel

Par jugement du 27 juin 2007, le tribunal du travail de Dinant confirme la décision du CMI de l’INAMI pour le motif que Mr F. ne réunit pas les conditions d’indemnisation prévues dans le régime des travailleurs indépendants (article 20 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 instituant un régime d’assurance contre l’incapacité de travail en faveur des travailleurs indépendants).

Le débat portait également sur la rétroactivité de la décision prise par l’INAMI.

Le tribunal du travail de Dinant a considéré que cette rétroactivité était justifiée par une force majeure, soit en l’espèce l’obligation dans laquelle l’INAMI s’est trouvé d’attendre l’échéance de la procédure judiciaire pour décider de l’entrée en invalidité.

La décision en degré d’appel

Mr F. a interjeté appel du jugement, considérant d’une part que la décision ne peut rétroagir et d’autre part qu’il est bien inapte à l’exercice de toute profession quelconque.

La Cour du travail de Liège, section de Namur examinera tout d’abord la question de la rétroactivité de la décision prise par l’INAMI depuis l’entrée théorique en invalidité.

La Cour confirme que seul l’INAMI dispose du pouvoir d’admettre ou de refuser l’entrée en invalidité (article 62 de l’arrêté royal du 20/07/1971 qui renvoie aux articles 94 et 95 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994).

Le médecin conseil de la mutuelle ne peut, quant à lui, que constater la fin de l’état d’invalidité mais non admettre ou refuser l’entrée en invalidité (article 177, § 1er, 3° de l’arrêté royal du 3 juillet 1996).

Ensuite, la Cour du travail confirme que le refus d’entrée en invalidité, qui ne peut, évidemment, intervenir qu’après la période d’incapacité primaire ne peut avoir d’effet rétroactif.

Elle rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 10/01/1983, J.T.T. 1983, p. 162) au sujet de l’illégalité d’une décision de reconnaissance de l’état d’invalidité avec effet rétroactif avec la conséquence que si le CMI de l’INAMI n’a pas pris de décision sur ladite reconnaissance avant l’expiration de la période d’incapacité primaire, l’incapacité de travail est présumée se prolonger et la période d’invalidité prend cours lorsque la période d’incapacité primaire indemnisable est révolue.

Toutefois, selon la Cour du travail de Liège, il existe une exception à cette règle lorsque l’INAMI doit faire face à un cas de force majeure, c’est-à-dire lorsque le CMI s’est trouvé dans l’impossibilité absolue de prendre une décision en temps utile.

Néanmoins, la force majeure doit être appréciée selon des critères très stricts et être exempte de faute dans le chef de l’INAMI.

Or, relève la Cour du travail de Liège, l’INAMI s’oppose systématiquement à sa mise en cause dans les litiges qui opposent un assuré social à son organisme assureur lorsque la décision médicale n’a pas été prise par son CMI.

L’INAMI peut, dès lors, difficilement invoquer une force majeure dans la mesure où la seule mise en cause de la mutuelle résulte d’une volonté délibérée et constante de sa part de ne pas vouloir assister au débat judiciaire portant sur l’incapacité primaire et alors qu’il devra ultérieurement être statué sur l’entrée en invalidité à une date qui peut dépasser largement celle anniversaire de l’entrée en incapacité primaire.

La Cour du travail de Liège relève également qu’il existe une jurisprudence selon laquelle l’assuré social ne justifie pas d’un intérêt à agir contre l’INAMI dès lors que précisément cet organisme ne pourra pas prendre une décision avec effet rétroactif.

La Cour du travail de Liège en déduit que si les délais prévus par la réglementation ne sont pas respectés (notamment quant à la transmission du dossier par l’organisme assureur au conseil médical de l’invalidité), la décision prise par le CMI de refuser l’entrée en invalidité ne peut pas rétroagir.

En effet, aucune force majeure ne peut être reconnue lorsque c’est l’INAMI qui refuse d’être mis à la cause dès lors que, dans le cas contraire, la juridiction aurait pu se prononcer sur l’entrée en invalidité, ce qu’il ne peut en l’absence de l’INAMI, seule institution compétente pour prendre une décision.

La Cour du travail de Liège en conclut que la décision de l’INAMI du 7 juillet 2006 doit être réformée et le droit à l’invalidité être reconnu du 1er décembre 1998 au 6 juillet 2006.

Enfin, en ce qui concerne l’état d’invalidité de Mr F. à dater du 7 juillet 2006 la Cour du travail de Liège s’appuie sur le rapport d’expertise judiciaire pour confirme la décision de fin d’incapacité de travail notifée par l’INAMI mais avec effet au 7 juillet 2006 et non au 1er décembre 1998.

L’intérêt de la décision

La Cour du travail de Liège, rappelle utilement qu’une décision de refus d’entrée en invalidité prise par l’INAMI ne peut avoir d’effet rétroactif.

Cet enseignement doit s’étendre, selon nous, à toutes décisions médicales prises dans le cadre de la législation sur l’assurance maladie invalidité.

La Cour du travail de Liège rappelle néanmoins que cette interdiction de donner un effet rétroactif à une décision médicale trouve exception en cas de force majeure, celle-ci devant néanmoins répondre à des critères strictes.

En clair, l’INAMI ne peut adopter une attitude et son contraire : refuser sa mise en cause dans un litige opposant un assuré social à l’organisme assureur maladie invalidité et en même temps invoquer un cas de force majeure, étant l’impossibilité absolue de prendre une décision en temps utile, pour justifier le caractère rétroactif de celle-ci.


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