Terralaboris asbl

Quelles sont les conséquences d’une autorisation du médecin conseil de la mutuelle sur la reprise d’un travail préalablement autorisé ?

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 20 mars 2008, R.G. 8.063/2006

Mis en ligne le vendredi 19 septembre 2008


Cour du travail de Liège, section de Namur, 20 mars 2008, R.G. n° 8.063/2006

TERRA LABORIS ASBL – Pascal Hubain

Dans un arrêt du 20 mars 2008, la Cour du travail de Liège, section de Namur, décide que le travailleur qui a obtenu du médecin conseil de sa mutuelle l’autorisation de reprendre une activité doit respecter strictement toutes les conditions mentionnées dans ladite autorisation, sous réserve d’une croyance légitime résultant de l’ambiguïté de cette autorisation.

Les faits

Monsieur S. travaille à temps plein dans une entreprise de chauffage, comme ouvrier monteur en chauffage central et sanitaire.

Depuis le 13 janvier 2001, il est reconnu en incapacité de travail par le médecin conseil de sa mutuelle. Le 3 octobre 2002, ce dernier l’autorise à exercer une activité professionnelle mais limitée à « plus ou moins » 16 heures par semaine et dans les conditions suivantes : « monteur en chauffage central et sanitaire, 2 heures par jour, 4 jours par semaine (suivant demande), hors tout effort important ».

Monsieur. S retourne travailler chez son employeur, ce dernier n’acceptant toutefois de le reprendre qu’à mi temps minimum.

Le 16 juillet 2003, l’INAMI mène une enquête auprès de l’employeur, qui confirme que Monsieur S. a bien repris le travail à mi temps mais contrairement à ce que Monsieur S. soutient, l’employeur précise que c’est à la demande de Monsieur S. et non parce que la société ne pouvait engager un ouvrier à temps plein. Le relevé des prestations produit par l’employeur montre qu’en réalité, pour certaines semaines, Monsieur S. a travaillé bien plus qu’un mi temps. L’employeur confirme enfin à l’INAMI qu’il n’a jamais vu l’autorisation de travail du médecin conseil de la mutuelle alors que Monsieur S. prétend le contraire. De son côté, Monsieur S. explique qu’il preste bien 20 heures par semaine mais qu’il a réparti ces 20 heures en fonction de la demande et qu’il lui arrive donc bien de travailler parfois 3 heures, parfois 7 heures par jour. Il rappelle que sa mutuelle connaît son salaire et lui verse d’ailleurs les indemnités en fonction de celui-ci.

Le 12 août 2003, le médecin conseil de l’INAMI a mis fin à l’état d’invalidité de Monsieur S.

Le 7 octobre 2003, sa mutuelle lui a notifié un indu et, le 8 octobre 2003, le médecin conseil de la mutuelle a également mis fin à l’incapacité de travail à dater du 3 octobre 2002.

Le 31 octobre 2003, l’INAMI a pris acte de la reprise non autorisée mais a reconnu l’invalidité selon les dispositions de l’article 101 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, du 3 octobre 2002 au 17 août 2003 car le travail effectué par Monsieur S. restait compatible avec son état de santé et la conservation d’une incapacité de 50% au moins. Le 18 décembre 2003, l’INAMI inflige à Monsieur S. des sanctions administratives de suspension de ses indemnités durant 30 et 66 jours pour avoir repris un travail sans autorisation et pour ne pas l’avoir déclaré à l’organisme assureur. Enfin, le 5 avril 2004, la mutuelle a introduit une action en récupération d’indu à concurrence de la somme de 11.655,15 € correspondant à la période en cause.

Le jugement dont appel

Par un jugement du 9 mars 2006, le tribunal du travail de Namur a fait droit à la demande de la mutuelle mais a ordonné une réouverture des débats pour statuer sur le montant faisant l’objet de la demande de titre exécutoire. Il a également rejeté une demande reconventionnelle introduite par Monsieur S., s’agissant d’une action en dommages et intérêts formulée en raison d’un défaut d’information de la mutuelle. Pour le tribunal, quand un travailleur invalide reprend une activité sans respecter les limites de l’autorisation donnée par le médecin conseil, il faut assimiler cette reprise du travail à l’exercice d’une activité sans autorisation. Concernant les sanctions administratives, le tribunal les maintient dans leur principe et leur hauteur sans faire droit à la demande d’octroi d’un sursis introduit par Monsieur S.

Les arguments des parties devant la Cour

Monsieur S. considère que l’autorisation a été rédigée dans des termes peu clairs et contradictoires, qu’il n’y a eu qu’un léger dépassement (20 heures au lieu de 16), que l’organisme assureur était au courant par les relevés de prestations, que lui-même n’a pas été suffisamment informé par l’organisme assureur et enfin qu’il n’a pas été animé d’une intention frauduleuse en sorte qu’il ne doit pas rembourser tout l’indu réclamé et doit bénéficier du sursis.

La mutuelle demande la confirmation du jugement.

La décision de la Cour

La Cour rappelle tout d’abord qu’en principe pour bénéficier des indemnités d’incapacité de travail, le travailleur doit avoir cessé toute activité et ne peut exercer un travail que si celui-ci est préalablement autorisé par le médecin conseil de la mutuelle. Cependant, il ne suffit pas de demander l’autorisation, encore faut il s’y tenir strictement. Selon l’article 230 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 portant exécution de la loi coordonnée, cette autorisation précise la nature, le volume et les conditions d’exercice de l’activité et est consignée dans le dossier médical et administratif, étant enfin notifiée au titulaire. L’autorisation est donc accordée sous condition et, pour la Cour du travail, s’écarter de ces conditions revient en fait à exercer une activité sans autorisation.

En l’espèce la Cour du travail reconnaît que Monsieur S. a reçu une autorisation « puisqu’elle prévoit une durée d’exercice de l’activité limitée à « plus ou moins » 16 heures semaine, à raison de 2 heures par jour, 4 jours par semaine (suivant demande), conditions impossibles à réaliser. Monsieur S. a donc pu croire qu’il pouvait exercer une activité pendant 16 heures semaine, à répartir sur 4 jours.

Par contre, la Cour considère qu’il faut bien s’en tenir à ce maximum de 16 heures par semaine. Or, même si l’on tient compte de ce maximum, Monsieur S. a travaillé au moins 20 heures, selon ses propres déclarations. Par conséquent, l’autorisation n’a pas été respectée et la décision de remise au travail avec effet à la date du 3 octobre 2002 doit être confirmée.

En ce qui concerne la récupération de l’indu, la Cour rappelle qu’il a été fait application en l’espèce de l’article 101, alinéa 1er de la loi coordonnée du 14 juillet 1994. Cette disposition permet en effet au travailleur reconnu incapable de travailler, qui effectue un travail sans autorisation préalable du médecin conseil mais dont l’incapacité de travail est restée réduite d’au moins 50 % du point de vue médical, de ne rembourser les indemnités perçues que pour les jours ou la période durant lesquels ou laquelle il a accompli ce travail non autorisé. La question qui se pose en l’espèce est de savoir si Monsieur S. doit rembourser les indemnités perçues pour des « périodes » ou pour « des jours ».

Pour la Cour, la récupération ne doit viser que les seuls jours prestés et ne peut viser la période que si les jours prestés ne peuvent être déterminés avec précision.

Elle propose un décompte et ordonne une réouverture des débats pour que les parties s’expliquent sur celui-ci.

La Cour du travail rappelle ensuite que l’article 101, aliéna 3 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 permet au comité de gestion du service des indemnités de l’INAMI de renoncer en tout ou en partie à la récupération de l’indu, dans les cas dignes d’intérêt et à l’exclusion de ceux où il y a eu une intention frauduleuse.

La Cour du travail rappelle l’enseignement de l’important arrêt de la Cour de cassation du 4 décembre 2006 (J.T.T., 2007 p.228) selon lequel « l’existence de manœuvres frauduleuses ne peut se déduire ni de la considération que le débiteur pouvait se renseigner quant à l’étendue de ses obligations à l’égard de son organisme assureur, ni de la constatation qu’il n’a pas déclaré la la poursuite d’une activité »

La Cour du travail considère que le caractère frauduleux des actes posés n’apparaît pas, dès lors que le montant des indemnités était calculé par la mutuelle sur la base des revenus de l’activité de son affilié. Elle estime toutefois que les juridictions du travail sont incompétentes pour se prononcer définitivement sur ce point, dès lors qu’aucune demande de renonciation n’a encore été introduite auprès de l’INAMI, s’agissant d’un préalable administratif.

Enfin, en ce qui concerne les sanctions administratives, la Cour développe une très intéressante argumentation au terme de laquelle elle considère que les sanctions administratives que l’INAMI peut prendre à l’égard d’un invalide sont des sanctions de nature pénale avec toutes les conséquences que cela peut entraîner et notamment l’application du principe non bis in idem.

Nous avons déjà commenté longuement un précédent arrêt identique de la Cour du travail de Liège du 11 février 2008 (R.G. 33.947/06) sur cette question. Nous n’y reviendrons donc plus.

L’intérêt de la décision

La Cour du travail de Liège rappelle opportunément la nécessité de s’en tenir strictement au contenu de l’autorisation de reprise d’un travail par le médecin conseil de la mutuelle, sous peine d’être assimilé au travailleur qui a repris un travail sans autorisation. Elle nuance toutefois le rappel de la règle lorsque cette autorisation est elle-même ambiguë, pouvant alors laisser croire au travailleur en incapacité de travail qu’il peut exercer une activité, selon son interprétation légitime de l’autorisation.

C’est également à juste titre que la Cour rappelle la portée de l’article 101 de la loi coordonné le 14 juillet 1994 permettant de limiter la récupération de l’indu aux jours durant lesquels le travailleur a accompli le travail non autorisé, la période n’étant visée que si les jours ne peuvent être déterminés.

Enfin, la Cour du travail de Liège respecte le préalable administratif en refusant de se prononcer sur la renonciation à la récupération de l’indu, s’agissant de cas dignes d’intérêt mais considère qu’elle peut déjà juger s’il y a ou non intention frauduleuse, s’agissant d’une question préalable à la demande de renonciation.

Elle trace dès lors utilement la limite entre les pouvoirs de l’administration et ceux du pouvoir judiciaire en cette matière.


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