Terralaboris asbl

Nouvelle mesure d’instruction la plus appropriée

Commentaire de C. trav. Mons, 19 mars 2008, R.G. 20.706

Mis en ligne le mercredi 5 novembre 2008


Cour du travail de Mons, 19 mars 2008, R.G. n° 20.706

TERRA LABORIS ASBL – Sandra Cala

Dans un arrêt du 19 mars 2008, la Cour du travail de Mons a, à l’occasion de la contestation d’un rapport d’expertise donnant un avis sur la perte d’autonomie du demandeur, recouru à une nouvelle expertise confiée à un collège d’experts.

Les faits

Le demandeur sollicitant l’octroi d’une allocation d’intégration, le tribunal du travail de Tournai désigna un expert, étant le Dr L., et ce par jugement du 19 avril 2005. Sa mission était de déterminer si, à la date litigieuse et ultérieurement, l’intéressé était atteint d’une réduction d’autonomie d’au moins 2 points à mettre en relation avec ses possibilités de se déplacer, d’une incapacité de 80% au moins et d’une invalidité permanente découlant des membres inférieurs occasionnant un taux d’invalidité de 50% au moins.

La position du tribunal

Dans son rapport, l’expert avait conclu à l’absence de réduction des possibilités de déplacement, d’incapacité permanente de 80% et d’invalidité permanente découlant des membres inférieurs de 50%.

Le tribunal entérina ce rapport, ce qui eut pour effet le maintien de l’acte administratif.

Le demandeur interjeta appel.

La position des parties en appel

L’assuré social reprochait en substance au jugement l’entérinement du rapport d’expertise vu qu’il avait déposé lui-même plusieurs rapports de deux médecins orthopédistes, datant respectivement du 9 juillet 2004, du 29 juin 2006, du 16 mai 2007 et du 17 septembre 2007.

Il réclamait, par conséquent, non un complément d’expertise confié au même expert mais une autre expertise, permettant de prendre en compte son argumentation médicale.

L’Etat demandait, quant à lui, la confirmation du jugement, considérant que l’expertise était motivée et que les documents médicaux produits n’apportaient rien de fondamentalement nouveau. Ils ne constitueraient que la réitération d’une position médicale connue de l’expert et par ailleurs contredite par celui-ci de manière circonstanciée.

La position de la Cour

La Cour rappela les principes en matière de contestation d’expertise. Il s’agit essentiellement d’un arrêt de la Cour de cassation du 17 février 1984 (Pas., I., p. 704), qui a considéré que la circonstance qu’une partie n’a fait part d’aucune observation à l’expert n’a pas pour conséquence de la priver ultérieurement du droit de soumettre à l’appréciation du juge ses griefs concernant le rapport d’expertise. Elle y a précisé que le juge a le pouvoir d’apprécier en fait s’il est suffisamment éclairé par l’expertise ordonnée et par les autres éléments de la cause pour statuer sur les griefs formulés postérieurement au dépôt du rapport de l’expert judiciaire.

La Cour du travail rappelle également la doctrine (LURQUIN P., Traité de l’expertise en toutes matières, Vol. I, Bruylant 1985, p. 176), selon qui il faut mais il suffit que la partie qui sollicite soit la nullité soit l’écartement soit encore le remplacement de l’expert, voire simplement la désignation d’un autre, rapporte la preuve qu’il pourrait effectivement être porté atteinte à ses droits s’il lui était interdit de produire des éléments de nature à modifier les conclusions du rapport.

La Cour en déduit que, dès lors que se pose la question de l’opportunité d’entériner ou non une expertise à caractère médical, il est capital pour une partie qui estime pouvoir contester le rapport déposé par l’expert d’étoffer ses remarques ou ses objections médicales de manière circonstanciée.

Le rôle du juge d’appel est dès lors de vérifier si, non seulement l’expertise ordonnée en premier degré a conduit à des conclusions justes et bien vérifiées, mais également si les éléments médicaux avancés pour contester les conclusions sont nouveaux et pertinents pour que soit ordonnée la nouvelle expertise sollicitée.

Examinant les éléments de l’espèce, la Cour rappelle le déroulement de l’expertise et relève néanmoins que les remarques et observations médicales ont été formulées après le dépôt des conclusions et que, pendant l’expertise elle-même, le médecin de recours n’a fait valoir aucune de celles-ci.

La Cour va dès lors examiner les remarques postérieures, qui n’ont pas été rencontrées par l’expert et qui sont susceptibles de contenir les éléments médicaux nouveaux et pertinents, selon l’appelant. Elle va dès lors étudier les rapports médicaux ultérieurs au dépôt du rapport d’expertise et constater d’une part qu’il n’y a pas simple réitération ou maintien d’une thèse médicale rencontrée par l’expert mais que l’on se trouve, dans le cas du rapport du 29 juin 2006, devant un document très élaboré, rédigé par un spécialiste en orthopédie et évaluation du dommage corporel, celui-ci insistant sur l’inguérissabilité d’une maladie - réalité scientifique indiscutable - qui n’aurait pas été perçue par l’expert judiciaire. En ce qui concerne un rapport ultérieur, du 17 septembre 2007, un autre spécialiste aboutit à la constatation d’une perte d’autonomie importante en incluant, notamment, les 2 points dont question ci-dessus, relatifs aux possibilités de se déplacer. Le deuxième expert conclut également à la fois à une incapacité permanente de 80% et à une invalidité de plus de 50% découlant exclusivement des membres inférieurs.

La Cour ne peut qu’en conclure qu’elle se trouve en présence de documents qui font plus que réitérer de manière motivée une position médicale qui aurait dûment été rencontrée par l’expert judiciaire, dans la mesure où ces rapports contiennent fondamentalement des éléments médicaux nouveaux et formulent objectivement une critique motivée à l’égard du rapport d’expertise. En outre, l’évaluation qu’ils contiennent en rapport avec l’objet de la mesure d’expertise ordonnée est tout à fait détaillée.

La Cour va donc, sur la base de ces constatations, ordonner une nouvelle mesure d’expertise, qu’elle confie à un collège composé de deux orthopédistes.

Intérêt de la décision

Cette décision de la Cour du travail de Mons tranche une problématique fréquente, étant la contestation des conclusions d’un rapport d’expertise, après le dépôt de celui-ci.

La Cour rappelle les principes en la matière, tels qu’énoncés par la doctrine et la Cour de cassation et, in specie, examine si elle se trouve en présence d’éléments nouveaux et pertinents, éléments dont elle rappelle qu’ils ne seront pas pris en compte s’ils ne sont que la réitération d’une position médicale dûment rencontrée par l’expert judiciaire.


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