Terralaboris asbl

Une enquête sociale de résidence confiée à la police est jugée contraire tant à l’esprit qu’au texte de la loi relative au droit à l’intégration sociale. Elle doit par conséquent être écartée des débats

Commentaire de Trib. trav. Liège, 13 mai 2008, R.G. 368.640 et 370.604

Mis en ligne le jeudi 6 novembre 2008


Tribunal du travail de Liège – 13 mai 2008 – R.G. 368.640 et 370.604

TERRA LABORIS ASBL – Sandra CALA

Les faits de la cause

Séparé de son épouse, le demandeur vit avec sa fille et perçoit le revenu d’intégration au taux personne avec charge de famille.

Le CPAS prend une décision de retrait avec effet au 1er mai « pour complément d’enquête », soupçonnant le demandeur d’effectuer du travail non déclaré et d’être absent de chez lui, en sorte qu’il lui serait impossible d’assumer l’éducation de sa fille. Cette décision est ensuite confirmée.

A l’appui de sa décision, le CPAS invoque que le demandeur n’était pas présent au domicile lors de la visite de l’assistante sociale, que son épouse aurait déclaré avoir récupéré l’hébergement principal de sa fille et que, selon une enquête de police sollicitée par l’assistante sociale, il semblerait que le demandeur ne serait chez lui que les week-ends pour recevoir sa fille car il travaillerait la semaine.

Décision du tribunal

Le tribunal va considérer que les éléments invoqués par le CPAS ne constituent pas la preuve des faits qu’il allègue.

Il rappelle que, selon l’article 19, §1 de la loi du 26 mai 2002 relative au droit à l’intégration sociale, « le Centre procède à une enquête sociale (…) en vue du retrait du revenu d’intégration… ». Ce texte est considéré comme la pierre angulaire de toute méthodologie du travail social. L’A.R. du 11 juillet 2002 pris en exécution de l’article 19 § 1 de la loi de 2002 exige d’ailleurs que les enquêtes soient du ressort exclusif des personnes qualifiées, c’est-à-dire les assistants sociaux (art.5).

Cependant, en l’espèce, il n’existe aucune enquête sociale, le tribunal retenant à propos de l’enquête de police que confier, comme en l’espèce, une enquête sociale de résidence à la police locale (en se contentant d’ailleurs d’en recueillir les résultats simplement par téléphone et sans trace écrite) est purement et simplement prohibé tant par l’esprit que par la lettre de la loi. Par l’esprit d’abord parce que le travail social vise à aider les personnes qui en ont besoin avec des méthodes d’aide aux personnes alors que, en revanche, le but poursuivi par les autorités de police est un contrôle social qui use d’autres méthodes adaptées à ses missions. En d’autres mots, police et service social sont deux institutions distinctes et la première n’est pas le bras séculier du second. Par le texte ensuite, puisque le monopole des enquêtes sociales est confié à des professionnels du travail social par l’article 19 § 1 de la loi du 26 mai 2002 et l’article 5 de l’ A.R. du 11 juillet 2002.

Le tribunal rappelle que, depuis longtemps, la Cour du Travail de Liège a estimé que tous les rapports de police communale qui se substituent à une enquête sociale doivent être purement et simplement écartés des débats, hormis le cas où ils sont établis dans le cadre d’une instruction pénale et communiqués avec l’autorisation de l’Auditeur du Travail ou du Procureur du Roi (voir C. Trav. Liège, 24 septembre 1991, J.L.M.B., 1991, p. 1357 ss. et note d’observation).

Aussi, le tribunal considère qu’il y a lieu d’écarter l’enquête de police.

Pour le surplus, il ne reste plus rien au dossier du CPAS comme élément de preuve du travail du demandeur et de la résidence principale de sa fille chez son épouse, le tribunal relevant que les deux visites au domicile du demandeur ne sont pas consignées, l’heure étant inconnue. La première visite n’a même pas fait l’objet d’un avis de passage ni été suivie d’une convocation. Le CPAS oublie que la fille du demandeur est scolarisée et ne doit évidemment pas être gardée à la maison toute la journée. Il eut été plus simple que le travailleur social du CPAS se rende sur le lieu de travail supposé du demandeur pour y vérifier sa présence. Il eut aussi été très simple de se renseigner auprès de l’école sur la personne qui allait déposer et rechercher l’enfant et, enfin, il eut été élémentaire, après une visite infructueuse à domicile, d’avertir du second jour de visite.

Intérêt de cette décision

Le tribunal rappelle que la tenue d’une enquête sociale est obligatoire préalablement à toute décision d’octroi, de revision, de retrait ou de suspension (art.19. de la loi du 26 mai 2002) et exerce un contrôle strict sur les conditions dans lesquelles l’enquête sociale a été effectuée. Il est rappelé que l’enquête sociale doit être réalisée par des personnes qualifiées à cet effet (art. 5 de l’A.R. du 11 juillet 2002). L’enquête de police sollicitée par le C.P.A.S. ne peut dès lors être considérée comme une enquête sociale, ce qui répond également à l’esprit de la loi, le recours à la police n’étant pas adapté à la mission sociale dévolue au C.P.A.S.

Cette décision n’est pas isolée puisque, comme rappelé par le jugement, la Cour du travail de Liège s’est régulièrement prononcée dans le même sens (C. trav. Liège, 24 sept. 1991, J.L.M.B., 1991, p. 1357 ss. et note d’observation, voir également C. trav. Liège, 26 févr. 2003, R.G. 30649/02, Justel et C. trav. Gand, 22 novembre 1993, Chron. Dr. Soc., 1995, p.83).


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