Terralaboris asbl

Contestation d’une décision de guérison sans séquelles : le délai ne court que si la notification de la décision est régulière

Commentaire de C. trav. Mons, 14 mai 2008, R.G. 19.170

Mis en ligne le lundi 5 janvier 2009


Cour du travail de Mons, 14 mai 2008, R.G. 19.170

TERRA LABORIS ASBL – Pascal Hubain

Dans un arrêt du 14 mai 2008, la Cour du travail de Mons rappelle que si le délai de contestation (ou d’introduction d’une action en revision) contre une décision de guérison sans séquelle est un délai « préfix », celui-ci ne court que si la décision est notifiée selon les modalités prévues par la loi. En l’espèce, la décision, qui ne mentionnait pas que la consolidation était acquise sans séquelle, n’a pas fait courir le délai de contestation ou de revision.

Les faits

Madame N. est victime d’un accident du travail du 22 mars 1996, entraînant une entorse du poignet. L’incapacité est prise en charge par l’entreprise par l’entreprise d’assurances.

Celle-ci envoie un courrier pré-imprimé (case à cocher) en date du 7 octobre 1996. Selon les cases cochées, le courrier est une copie d’une lettre envoyée à la mutuelle, qui précise que la guérison est fixée au 2 mai 1996 (date à laquelle le travail peut, d’après l’assurance, être repris).

En novembre 1998, Mme N. est revue par le médecin conseil de l’assureur. A cette suite, celle-ci adresse un nouveau courrier, le 17 décembre 1998, précisant que le travail pouvait être repris le 2 mai 1996, que la décision du 7 octobre 1996 est maintenue et que la consolidation des lésions est acquise sans diminution de la capacité de travail. Cette lettre précise que le délai de contestation est de 3 ans.

Un nouvel examen est pratiqué en mai 1999, suite auquel l’entreprise d’assurances confirme la consolidation au 2 mai 1996, sans incapacité permanente.

En février 2000, le conseil de l’intéressé précise, par courrier, contester la décision et demande si une comparution volontaire peut être effectuée.

A cette suite, un nouvel examen est pratiqué, en mars 2000, suite auquel le médecin de l’entreprise d’assurances estime qu’il y a aggravation, admettant un taux d’IPP de 2%.

Le 31 juillet 2000, l’entreprise d’assurances répond au conseil de Mme N., signalant que le délai préfix de revision est écoulé depuis le 7 octobre 1999.

Mme N. cite alors, par exploit du 12 mars 2001, demandant au Tribunal de reconnaître une aggravation et de fixer le taux d’IPP à 2 %.

La position des parties
L’entreprise d’assurances oppose que la demande est tardive, faisant valoir que le courrier du 7 octobre 1996 constitue le point de départ du délai préfix de revision. L’action ayant été introduite au-delà du 7 octobre 1999, elle est prescrite.

Mme N. se fonde quant à elle sur les mentions du courrier du 17 décembre 1998, invoquant une cause de force majeure (étant induite en erreur par l’entreprise d’assurances quant au délai). A titre subsidiaire, elle estime que la responsabilité civile de l’entreprise d’assurances est engagée, du fait des renseignements erronés communiqués en décembre 1998.

La décision du tribunal

Le Tribunal estime que le point de départ du délai préfix de 3 ans est la lettre du 7 octobre 1996. Constatant que l’action a été introduite au-delà du délai de 3 ans, il la déclare prescrite. Le Tribunal refuse par ailleurs de reconnaître l’existence d’une erreur invincible. Enfin, il rejette l’action fondée sur la responsabilité de l’entreprise d’assurances, estimant que, faute de rapport contractuel entre les parties, Mme N. ne pouvait mettre en cause la responsabilité contractuelle de l’assureur.

La décision de la Cour

La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 72 de la loi du 10 avril 1971, la victime qui se voit notifier une décision de guérison sans séquelle peut agir soit en contestation de la décision soit en invoquant une aggravation. Elle constate que le délai pour agir est le même quelle que soit l’action introduite : 3 ans. Il s’agit d’un délai « prefix », c’est-à-dire qui ne peut être ni interrompu ni suspendu.

Elle rappelle que le délai court à dater de la notification de la décision de guérison sans séquelle, laquelle est régie par l’article 24 et l’arrêté royal d’exécution, dont elle rappelle le prescrit, dans sa version applicable au moment des faits (A.R. du 16 décembre 1987).

En l’espèce, elle constate que l’action introduite est une action en aggravation (et non en contestation), de sorte qu’elle doit examiner si l’action a été introduite dans le délai préfix et si une aggravation pendant ce délai peut être constatée.

Sur le premier point, elle considère que le courrier du 7 octobre 1996 ne constitue pas une notification de guérison sans séquelle conforme à l’article 24, alinéa 1er de la loi du 10 avril 1971 et à l’arrêté royal du 16 décembre 1987. Elle se fonde à cet égard sur le fait qu’il s’agit d’une copie d’un courrier adressé à la mutuelle dont le signataire n’est pas identifié, qu’il n’y a pas de certificat médical (pourtant annoncé comme « joint », alors même que ce certificat est primordial, vu qu’il permet de constater l’état de la victime (et d’apprécier son éventuelle évolution ultérieurement), qu’il n’est pas mentionné que la consolidation des lésions est acquise sans incapacité permanente et que la prise de cours du délai de contestation ne figure pas.

La Cour relève encore que ce n’est que par courrier du 17 décembre 1998 que l’assureur précise que la consolidation est acquise sans incapacité permanente.

La Cour estime en conséquence que l’action, introduite par exploit du 12 mars 2001 n’est pas prescrite.

Sur le fond, et vu la position adoptée par le médecin de l’entreprise d’assurances, la Cour estime qu’il y a bien aggravation, survenue dans le délai (elle retient la date des rapports du médecin conseil). Elle fixe dès lors l’IPP à 2%.

Intérêt de la décision

La décision rappelle les principes applicables à la contestation de la décision de guérison sans séquelle (que ce soit pour faire valoir des séquelles incapacitantes ou pour faire reconnaître une aggravation). Elle rappelle judicieusement qu’il y a lieu d’examiner si la notification de la décision de guérison respecte les règles fixées par l’article 24 de la loi du 10 avril 1971 et son arrêté royal d’exécution. A défaut, le délai ne prend pas cours.


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