Terralaboris asbl

Le travailleur doit prouver qu’au lieu allégué du travail, il exécutait une obligation liée à son contrat

Commentaire de C. trav. Mons, 22 avril 2008, R.G. 19.368

Mis en ligne le lundi 5 janvier 2009


Cour du travail de Mons, 22 avril 2008, R.G. 19.368

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 22 avril 2008, la Cour du travail de Mons rappelle les principes en matière d’accident sur le chemin du travail, dans un cas d’espèce où il était contesté que le lieu de départ du trajet est le lieu d’exécution du travail. L’accident est en effet survenu en-dehors de l’horaire de travail et alors que la victime était l’époux de la dirigeante de la société employeur.

Les faits

Mme H. est l’administratrice-déléguée d’une société familiale exploitant deux magasins de chaussures, l’un à Tournai et l’autre à Mouscron. L’époux, Monsieur L., bénéfice d’un contrat de travail depuis 1993, comme vendeur et est affecté au magasin de Tournai, où il preste 5 jours par semaine (le magasin étant fermé le lundi). L’horaire de travail est de 37h30 par semaine. Une vendeuse (Mme D.) est employée dans le magasin de Mouscron.

En juillet 2001, la société profite des congés annuels de la vendeuse pour fermer le magasin de Mouscron et y entreprendre des travaux de rénovation, qui devaient s’achever le 31 juillet, date de la reprise de celle-ci. Les travaux sont effectués par Monsieur L., qui les exécute en sus de la tenue du magasin de Tournai en journée.

Le lundi 30 juillet 2001, Monsieur L. met à profit le jour de fermeture du magasin de Tournai pour achever les travaux sur le site de Mouscron. Il prévient cependant, en milieu d’après-midi, que les travaux ne seront peut-être pas achevés pour l’ouverture prévue le lendemain et que Mme D. devra peut-être se rendre à Tournai, afin qu’il puisse finir.

Il travaille jusqu’en fin de soirée dans le magasin de Mouscron et reprend la route vers son domicile vers 23h40. Il est victime d’un accident de la route sur le trajet normal entre le magasin de Mouscron et son domicile. Il décède dans l’accident.

Mme H. remplit une déclaration d’accident du travail le 1er août. Après enquête, l’entreprise d’assurances refuse d’intervenir, estimant qu’il n’est pas établi que l’accident est survenu sur le chemin du travail. L’entreprise d’assurances conteste en effet que le lieu de départ soit le lieu d’exécution du travail.

Une enquête est également menée par le Fonds des Accidents du Travail, sans cependant que l’assureur ne revienne sur sa position.

Mme H. et son fils, ayants droit de la victime, assignent alors l’entreprise d’assurances en paiement des indemnités légales, vu l’accident mortel.

La décision du tribunal

Après avoir ordonné la production de documents (statuts de la société employeur, composition du conseil d’administration au moment de l’accident et liste des actionnaires), le Tribunal du travail estime la demande fondée, reconnaissant les faits comme constitutifs d’un accident du travail.

La position des parties en appel

L’entreprise d’assurances interjette appel du jugement, estimant que la victime ne se trouvait pas sur le lieu d’exécution de son contrat de travail le jour des faits, n’agissant pas sous l’autorité de l’employeur. Il se fonde sur la fermeture des deux magasins le jour des faits.

Les ayants droit de feu Monsieur L. demandent quant à eux la confirmation du jugement.

La décision de la Cour

Sur le plan des principes, la Cour rappelle l’article 8 de la loi du 10 avril 1971, selon lequel le lieu du travail est le trajet normal que le travailleur doit parcourir de sa résidence au lieu de l’exécution du contrat et inversement.

Elle rappelle que

  • le lieu d’exécution du contrat est le lieu où le travailleur se trouve, pour l’exécution du contrat sous l’autorité de l’employeur, soit tout lieu où sa liberté personnelle est restreinte en raison de l’exécution du contrat de travail (en non uniquement en raison du travail à effectuer lui-même), que l’autorité de l’employeur soit effective ou virtuelle.
  • La suspension du contrat doit s’entendre comme toute situation où les parties sont dispensées de leurs obligations et ne peuvent faire valoir leurs droits contractuels. Pendant la suspension du contrat, il n’y a pas autorité de l’employeur, sauf si le travailleur exécute une obligation résultant de son contrat, de la loi ou d’une injonction, même si celle-ci est accessoire.
  • En conséquence, le travailleur doit prouver qu’il exécutait une obligation liée à son contrat sur le lieu de départ ou d’arrivée (présenté comme le lieu d’exécution du contrat).

En application de ces principes, et vu que la contestation est limitée à la question de savoir si le lieu de départ du trajet est ou non le lieu d’exécution du contrat, la Cour précise qu’il appartient aux ayants droit de prouver que la victime était sous l’autorité de l’employeur et exécutait une obligation en lien avec son contrat.

Pour trancher la question, la Cour examine les déclarations de Mme H., qui a précisé que son époux gérait l’aspect technique de l’activité de la société et réalisait lui-même certains travaux. Elle précise s’occuper pour sa part essentiellement du choix des collections et être souvent en déplacement à l’étranger. Elle ne peut préciser la nature du programme suivi par l’intéressé pendant son absence mais savait qu’il devait s’occuper des travaux à Mouscron, afin que le magasin soit prêt pour la réouverture du 31 juillet 2001. Elle précise encore qu’il effectuait les travaux le soir, après la fermeture du magasin de Tournai.

Les heures prestées au-delà de l’horaire normal (et hors du magasin de Tournai qu’il gérait) n’étaient pas rémunérées et à ce sujet, la Cour précise ne pouvoir retenir qu’il exerçait un poste de direction et de confiance. La Cour relève encore que la nature des activités déployées après journée est sans rapport avec celle de vendeur.

Elle retient en conséquence que l’intéressé assurait, parallèlement à sa fonction de vendeur, la gestion technique de la société, dans l’intérêt de son épouse (actionnaire majoritaire et administratrice-déléguée) ou dans le sien propre (l’épouse ayant précisé qu’il se considérait comme le « parton »). Pour la Cour, la preuve qu’il ait agi, le 30 juillet 2001, sur injonction de l’employeur n’est pas établie.

La Cour considère en conséquence que le magasin de Mouscron, lieu de départ du trajet fatal, ne peut être considéré comme le lieu d’exécution du contrat, de sorte que l’accident survenu sur le trajet ne peut être un accident sur le chemin du travail.

Intérêt de la décision

La décision statue sur la preuve à charge de la victime (ici les ayants droit) concernant la nature du lieu qualifié de lieu du travail : elle doit établir qu’il s’agit du lieu où l’employeur est susceptible d’exercer son autorité et qu’elle s’y trouvait en raison du contrat (ce qui implique également d’obéir aux injonctions de l’employeur) ou du travail convenu. Sur ce dernier point, la Cour rappelle que si le travailleur exécute le travail convenu, il exécute le contrat (même si cette exécution se déroule en dehors de l’horaire de travail).

Dans le cas d’espèce, la Cour estime que la preuve n’est pas rapportée. Elle se fonde notamment sur le fait que la victime était occupée à des travaux qui n’ont pas à voir avec la fonction contractuelle, les liens unissant l’employeur à la victime et le pouvoir de gestion qu’elle détenait pour les tâches exécutées le jour de l’accident (et sans rapport avec la fonction contractuelle). Sur ces bases, la Cour estime que le travail effectué ne l’était pas dans le cadre du contrat de travail mais exercé en une autre qualité que celle de salarié.


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