Terralaboris asbl

L’inaction procédurale peut être un abus de droit

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 juillet 2008, R.G. 50.209

Mis en ligne le mardi 6 janvier 2009


Cour du travail de Bruxelles, 11 juillet 2008, R.G. n° 50.209

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 11 juillet 2008, la Cour du travail de Bruxelles suspend le cours des intérêts pendant près de vingt ans, étant la durée de l’inaction procédurale du demandeur (une caisse d’assurances sociales) dans la procédure judiciaire.

Les faits

Une caisse d’assurances sociales pour travailleurs indépendants assigne une dame C. par citation du 18 septembre 1986, aux fins d’obtenir paiement d’arriérés de cotisations pour les années 1982 et 1983.

L’affaire fera l’objet d’un jugement du tribunal du travail de Wavre, jugement prononcé le 29 juin 2007, soit plus de 20 ans plus tard.

Le jugement a quo

Dans son jugement rendu le 29 juin 2007, le tribunal du travail constate que la demande est irrecevable parce que prescrite, au motif que la caisse est dans l’incapacité de fournir une copie de l’original de la citation lancée en 1986. Elle est en conséquence condamnée aux dépens.

Position des parties devant la Cour

La Caisse interjette appel et transmet, dans le cadre de son appel, ladite copie de la citation introductive d’instance. Celle-ci porte la date du 18 septembre 1986. La caisse demande en conséquence de déclarer l’appel recevable et fondé. Elle sollicite en outre la condamnation de Madame C. aux intérêts judiciaires et aux dépens en ce compris l’indemnité de procédure.

L’intéressée fait valoir à titre principal la prescription de l’action et, à titre subsidiaire, le dépassement du délai raisonnable. Sur une partie de la période concernée, une activité ayant été exercée malgré tout, elle sollicite le bénéfice de termes et délais. Sur les intérêts judiciaires, elle se fonde sur l’inaction procédurale de la caisse, qui constitue une atteinte à la légitime confiance qui avait pu s’installer dans son chef et, également, un abus de droit. Elle demande condamnation de la caisse aux frais et dépens.

Position de la Cour

La Cour examine d’abord la question de prescription et rappelle les termes de l’article 2244 du Code civil selon lequel une citation en justice interrompt la prescription pour la demande qu’elle introduit. Elle rappelle ensuite la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle lorsqu’il y a interruption par citation, celle-ci – sauf disposition légale dérogatoire – se prolonge pendant tout le cours de l’instance (Cass., 24 avril 1992, Pas. I, p. 745 ; Cass., 13 septembre 1993, J.T.T., p. 841). Elle constate qu’il n’y a pas de disposition légale dérogatoire en la matière et conclut qu’il y a donc eu interruption de la prescription des cotisations éventuellement dues pour les années 1982 et 1983 par la citation du 18 septembre 1986.

En ce qui concerne le fond, elle relève que l’intéressée a contesté la demande dès le début de la procédure et que l’affaire a été renvoyée au rôle à l’audience d’introduction. Elle n’a été réactivée que suite à une demande de la caisse formulée en janvier 2007. Seules sont apparemment intervenues entretemps des lettres adressées à un avocat et non suivies de réaction.

Quant à la question de savoir si les cotisations sont dues, la Cour rappelle les règles en matière de preuve, étant qu’il appartient à la caisse d’établir la preuve de l’exercice de l’activité professionnelle pendant la période concernée. Il résultera des éléments de fait que l’année 1983 ne peut être admise.

Sur les intérêts, la Cour doit rencontrer l’argumentation de l’intéressée, qui fait valoir à la fois une atteinte à sa confiance légitime et un abus de droit. Elle juge à cet égard que, dans la mesure où l’affaire n’avait pas connu de suite pendant aussi longtemps, celle-ci pouvait légitimement croire que les cotisations avaient été abandonnées. Or, les intérêts de retard ont pour objet de réparer le dommage qui découle du retard dans le paiement d’une dette de somme. Il s’agit d’intérêts alloués suite au retard imputable à la faute du débiteur. Cette règle peut toutefois ne pas s’appliquer lorsque, comme en l’espèce, une caisse d’assurances sociales s’est longtemps abstenue par une inaction procédurale, qualifiée par la Cour de déraisonnable, de faire fixer le montant de la créance contestée, ce qui laisse le débiteur dans l’ignorance de savoir si la réclamation existe encore ou non. La sanction de ce comportement, qui constitue pour la Cour un abus de droit, peut consister à réduire à des proportions raisonnables le montant des intérêts de retard réclamés. Ceux-ci seront donc suspendus entre la date de la citation et celle de demande de la fixation judiciaire (18 janvier 2007).

La Cour va rouvrir les débats afin de préciser les montants.

Intérêt de la décision

Cette décision n’est pas la première à statuer sur la suspension du cours des intérêts dans un tel cas. Elle rappelle, cependant, que l’inaction procédurale peut constituer un abus de droit et que, conformément aux règles en matière d’abus de droit, la sanction peut être la réduction de l’exercice du droit à des proportions raisonnables.


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