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Le souhait pour une mère que son enfant soit élevé en Belgique dans de meilleures conditions financières et affectives peut constituer une impossibilité absolue de retour dans le pays d’origine

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 août 2008, R.G. 49.954

Mis en ligne le mardi 6 janvier 2009


Cour du travail de Bruxelles, 25 août 2008, R.G. n° 49.954

TERRA LABORIS SBL

Dans un arrêt du 25 août 2008 la Cour du travail de Bruxelles rappelle quelques principes importants en matière d’octroi d’aide sociale à une mère, de nationalité étrangère, en séjour illégal.

Les faits

Une dame de nationalité marocaine, divorcée et en séjour illégal en Belgique, donne naissance à un garçon en août 2004. Un citoyen belge – en réalité le beau-frère de l’intéressée – s’avère, suite à une analyse génétique par prélèvement sanguin, être le père de l’enfant.

Vu que le père était disposé à reconnaître l’enfant et que celui-ci allait acquérir la nationalité belge, la mère s’est déclarée dans l’impossibilité absolue de retourner dans son pays.

La paternité a, ultérieurement, été établie judiciairement, l’Officier de l’Etat civil de la commune de résidence faisant cependant des difficultés en vue de la transcription du jugement.

Le tribunal de la jeunesse entérine, ultérieurement, l’accord des parents sur l’hébergement égalitaire de l’enfant, situation qui aboutira à la suppression de la pension alimentaire payée volontairement précédemment, et ce à partir du 1er août 2007.

La mère avait, entre-temps, introduit une demande auprès du CPAS de Bruxelles et celui-ci, par décision du 3 novembre 2006, avait refusé l’aide sociale équivalente au revenu d’intégration au taux « famille à charge ». La motivation de cette décision était, bien sûr, le caractère illégal du séjour, qui ne devait déboucher que sur le droit à l’aide médicale urgente.

Position du tribunal

Le premier juge octroya une aide sociale équivalente au revenu d’intégration au taux prévu pour une personne ayant charge de famille. Une pension alimentaire étant à l’époque payée, il en déduisait le montant de celle-ci, et ce à partir du 1er février 2007.

Position des parties devant la Cour

Le CPAS maintient devant la Cour la motivation de sa décision, étant le caractère illégal du séjour.

L’intéressée, par ailleurs, forma appel incident demandant l’octroi de l’aide sociale financière rétroactivement, à partir du 3 novembre 2006 (date de la demande). Se pose, ainsi, un problème supplémentaire, relatif aux arriérés d’aide sociale.

Position de la Cour

La Cour commence par rappeler les principes contenus dans l’article 57 de la loi du 8 juillet 1976 organique des CPAS et particulièrement le § 2, qui est relatif aux étrangers séjournant illégalement dans le royaume.

Il découle de cette disposition que la mère ne pourrait prétendre pour elle-même qu’à l’aide médicale urgente et que son fils devrait pouvoir bénéficier d’une aide matérielle étant, pour la Cour, celle dispensée dans les centres d’accueil FEDASIL, et ce aussi longtemps qu’il n’aurait pas acquis la nationalité belge. La Cour rappelle que la jurisprudence a apporté un tempérament à la limitation de l’aide sociale et à l’aide médicale urgente pour les étrangers qui se trouvent dans l’impossibilité absolue de retourner dans leur pays d’origine pour des raisons de santé (C. const. 30 juin 1999) et que la Cour de cassation a élargi cette dérogation à des motifs autres que des motifs médicaux (Cass., 18 décembre 2000, R.G. n° S.98.0010.F).

Relevant que le premier juge a considéré que cette impossibilité absolue existe de par la procédure intentée par la mère en vue de faire reconnaître son fils par son père, elle conclut comme le premier juge que cette impossibilité se poursuit même au-delà de cette homologation (acquise entre-temps), la mère pouvant légitimement souhaiter « garantir à son enfant les moyens d’être élevé par ses père et mère, dans de meilleures conditions financières ». A cet extrait du jugement qu’elle reprend, la Cour y ajoute « et dans des conditions affectives plus épanouissantes pour cet enfant ».

Elle décide ainsi d’écarter l’application de l’article 57 § 2, l’aide financière pouvant être allouée à la mère pour elle-même et non en sa qualité de représentante légale de son enfant mineur. Sur ce point la Cour relève qu’il y a un intérêt évident à modifier la qualité de la personne juridique bénéficiaire de l’aide sociale puisque cette modification n’est pas sans conséquences pour le CPAS, vu l’intervention de l’Etat belge dans l’hypothèse où l’aide est allouée à la mère en son nom propre.

La Cour va ainsi confirmer le jugement en ce qui concerne le montant de l’aide sociale, étant celui du revenu d’intégration pour une personne ayant charge de famille, au montant applicable, sous déduction de la contribution alimentaire, pour la période pendant laquelle elle a été payée.

Reste encore la question du point de départ de l’aide sociale et, sur celui-ci, la Cour rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation du 17 décembre 2007 (Cass., 17 décembre 2007, R.G. n° S.07.0017.F) selon laquelle aucune disposition légale ne prévoit que l’aide sociale ne peut être rétroactive. L’octroi des arriérés est dès lors possible. Reprenant également sa propre jurisprudence, la Cour du travail précise cependant que l’aide a un but essentiellement préventif, étant de permettre de mener une vie conforme à la dignité humaine. Elle peut également consister en une réparation sous forme de dommages et intérêts pour permettre au demandeur de s’acquitter de dettes contractées dans le passé pour se procurer les moyens lui permettant de mener une vie conforme à la dignité humaine et qui auraient dû être mis à sa disposition par le CPAS.

En l’espèce, la Cour conclura à l’absence de droit aux arriérés vu l’inexistence de dettes nées depuis le début de la période litigieuse.

Intérêt de la décision

Plusieurs points importants sont ici rappelés :

  • l’évolution jurisprudentielle relative à l’impossibilité absolue de retour dans le pays d’origine ;
  • l’intérêt de solliciter une aide pour la mère en son nom propre et non en sa qualité de représentant légale de son enfant mineur ;
  • les conditions du droit aux arriérés.

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