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Des circonstances stressantes particulières, se greffant sur un contexte professionnel anxiogène, constituent un événement soudain

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 juin 2008, R.G. 48.749

Mis en ligne le mardi 6 janvier 2009


Cour du travail de Bruxelles, 9 juin 2008, R.G. n° 48.749

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 9 juin 2008, la Cour du travail de Bruxelles considère que des éléments particuliers, ayant augmenté l’état de stress et d’énervement de la victime, circonstances se greffant sur un contexte professionnel déjà stressant, constituent des circonstances particulières qui doivent être admises au titre d’événement soudain. L’infarctus, survenu quelques jours après, a donc pu être causé par ces circonstances.

Les faits

Monsieur F. est occupé par une entreprise du secteur du nettoyage, en qualité de district manager.

Le mois de décembre 2001 fut particulièrement stressant, l’intéressé étant confronté à d’importantes difficultés liées à la fonction occupée. Un important contrat a été perdu et l’intéressé a été confronté à une action de grève de la part des travailleurs sous sa responsabilité, suite à la reprise du chantier par une autre entreprise. Il a été astreint à des prestations irrégulières importantes. Ces difficultés ont par ailleurs conduit à une précarisation de sa situation au sein de la société.

Monsieur F. est victime d’un infarctus, le 8 janvier 2002, alors qu’il conduisait ses enfants à l’école avant de se rendre à son travail.

Il compléta lui-même un formulaire de déclaration ’accident du travail’ et adressa divers courriers à son employeur, expliquant que, selon lui, l’infarctus dont il avait été victime le 8 janvier, résultait du contexte professionnel.

L’employeur adressa à son entreprise d’assurances la déclaration patronale le 11 décembre 2002.

Celle-ci refusa de reconnaître les faits comme constitutifs d’accident du travail par courrier du 12 décembre 2002.

Monsieur F. introduisit en conséquence une procédure devant le tribunal du travail de Bruxelles aux fins que soit reconnue l’existence d’un accident du travail ayant entraîné l’infarctus.

La décision du tribunal

Le tribunal refusa de reconnaître l’existence d’un événement soudain, se fondant sur le contexte professionnel et relevant que l’intéressé avait subi diverses situations stressantes réparties sur plusieurs semaines, voire sur plusieurs mois. Il s’agit de la perte d’un chantier, de complications liées à la reprise du personnel de l’employeur et de tensions subies du fait de menaces sur la pérennité de l’emploi.

Le Tribunal se fonde également sur des consultations antérieures auprès du médecin traitant au cours desquels des signes d’angoisse et de fatigue avaient été relevés, de même que sur le profil physique de l’intéressé (obèse, fumeur et présentant des antécédents médicaux).

La position de la Cour

La Cour commence par réénoncer les principes applicables en l’espèce, à savoir que l’intéressé doit établir l’existence d’un événement soudain, lequel est un élément brutal, déterminé dans le temps et dans l’espace et ayant pu causer ou aggraver la lésion.

La Cour rappelle d’une part que les circonstances particulièrement stressantes subies par la victime peu de temps avant l’accident peuvent être constitutives d’un événement soudain et d’autre part que la lésion ne doit pas être concomitante à l’événement soudain, celle-ci pouvant apparaître ultérieurement. La Cour, se fondant sur un arrêt de la Cour de cassation du 13 octobre 2003, considère que le stress qui perdure et qui est inhérent à la fonction exercée par la victime ne peut être considérée comme un événement soudain, sauf à isoler un élément particulier qui a pu produire la lésion. Enfin, sur le plan de la preuve, si la déclaration de la victime ne constitue pas en soi une preuve, celle-ci peut être retenue si elle n’est pas contredite par d’autres éléments du dossier (la Cour citant ici C. trav. Mons, 7 juin 2000, R.G.A.R., septembre 2001, n° 7).

Examinant ensuite les éléments de l’espèce à la lumière de ces principes, la Cour du travail constate qu’au cours du mois de décembre 2001, l’intéressé a été soumis à une série de situations stressantes, susceptibles de lui faire craindre la perte de son emploi. La Cour reprend ainsi les aléas quant à la perte du chantier et à la grève du personnel.

Elle relève par ailleurs l’existence d’une réunion, fin 2001, en présence de la directrice des ressources humaines, réunion suite à laquelle l’intéressé a exprimé le sentiment d’avoir été trahi, la direction faisant des difficultés pour lui fournir un nouveau secteur d’activités. Les derniers événements sont antérieurs de deux à trois semaines à la survenance de l’infarctus.

La Cour du travail estime qu’il s’agit d’éléments particuliers ayant augmenté l’état de stress, de fatigue et d’énervement de l’intéressé, par rapport au contexte professionnel antérieur, déjà lui-même anxiogène et que ces circonstances constituent l’événement soudain qui a pu provoquer l’infarctus du 8 janvier 2002.

Elle réforme en conséquence le jugement et désigne un médecin expert, à qui elle confie, sur le plan du renversement de la présomption de causalité, une mission spécifique, étant de dire si, sans la survenance des événements décrits, la lésion se serait produite de la même manière, avec la même intensité, au même moment.

Intérêt de la décision

Cette décision confirme une jurisprudence déjà existante quant à la prise en considération des circonstances stressantes vécues par l’intéressé au travail. Celle-ci s’est établie le plus souvent dans les cas d’infarctus, faisant suite à un contexte professionnel bien particulier.

L’arrêt confirme que les circonstances retenues au titre d’événement soudain doivent être distinguées d’un contexte professionnel qui perdure et qui inhérent à la fonction de l’intéressé. Par contre, des événements précis peuvent être retenus.

Si le stress est permanent et continu, il ne peut être retenu. Par contre, si des circonstances précises viennent se greffer sur le stress ’habituel’, inhérent à la fonction, il y a matière à reconnaissance d’un événement soudain.


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