Terralaboris asbl

Nature du pouvoir du juge dans le contentieux relatif aux droits des personnes handicapées

Commentaire de C. trav. Mons, 5 novembre 2008, R.G. 19.669

Mis en ligne le mardi 6 janvier 2009


Cour du travail de Mons, 5 novembre 2008, R.G. n° 19.669

TERRA LABORIS ASBL – Sandra CALA

Dans un arrêt du 5 novembre 2008, la Cour du travail de Mons a rappelé que le juge a un pouvoir de pleine juridiction en cette matière et qu’il peut dès lors réexaminer la situation de la personne handicapée pendant toute la période litigieuse.

Les faits

Une personne souffrant d’arriération mentale sévère bénéficie depuis le 1er février 1994 d’une allocation de remplacement de revenus ainsi que d’une allocation d’intégration. L’allocation d’intégration a initialement été fixée à partir d’une réduction d’autonomie très importante (14 points – correspondant à une catégorie III).

Dans le courant de l’année 2000, le SPF Affaires sociales lui adresse deux demandes de renseignements, à quelques semaines d’intervalle. Il est établi que ces demandes n’ont pas été envoyées par voie recommandée.

L’administration suspecte à ce moment une mise en ménage de l’intéressée et souhaite une mise à jour de son dossier. Etant sans réponse, elle rejettera rétroactivement tout droit aux allocations à partir du 1er avril 1994, et ce par décision du 19 octobre 2000.

Le motif de cette suppression rétroactive pour une période de près de sept ans réside uniquement dans l’absence de réaction aux demandes de renseignements.

En suite de cette décision, l’administration notifie le 23 février 2001 une décision de recouvrement d’indu, s’élevant alors à plus de 1 million d’anciens francs belges. Cette décision est la conséquence de la décision de principe notifiée précédemment.

Postérieurement aux décisions en cause, la personne handicapée se voit désigner un administrateur provisoire.

Celui-ci s’empresse de contester dans les délais les deux décisions (décision de principe et décision de récupération) et formule également une nouvelle demande d’allocations, fin mars 2001. Suite à la demande introduite, l’administration statuera le 26 août 2002, sans toutefois revoir la situation de suppression rétroactive. Elle rejette, par cette décision, le droit à l’ ARR au 1er avril 2001, pour un motif de conditions de revenus. Pour l’allocation d’intégration, elle alloue un montant de l’ordre de 4.500€.

Parallèlement à ces démarches, l’administrateur provisoire introduit une demande de renonciation à l’indu. En conséquence de celle-ci, l’administration renoncera partiellement à celui-ci. La Commission d’aide aux personnes handicapées prendra en fin de compte la décision de renoncer à la restitution d’un solde d’environ 18.000€, la différence ayant été récupérée par l’administration.

Le tribunal du travail de Charleroi confirma la décision administrative, jugement qui entraînait ainsi la confirmation de la suppression du droit aux allocations de remplacement de revenus et d’intégration à partir du 1er avril 1994.

Position des parties en appel

L’administrateur provisoire contesta le jugement, au motif que l’intéressée était atteinte d’une arriération mentale grave et que, si elle n’avait pas donné suite aux demandes de renseignement, elle n’était à l’époque pas pourvue d’un administrateur provisoire qui eut pu le faire pour elle.

Il demandait en conséquence l’annulation des décisions litigieuses (les deux décisions) et la reprise de l’instruction du dossier ab initio, avec, ensuite, notification en bonne et due forme des décisions qui seraient prises.

Position de la Cour

La Cour rappelle le grave déficit de l’intéressée, qui en matière d’allocation d’intégration, a obtenu un total de 14 points. Elle souligne que la cotation de chacun des items repris correspond soit à des difficultés majeures soit à une impossibilité totale et que le diagnostic posé est, de notoriété publique, non susceptible d’une quelconque amélioration. Il est d’ailleurs précisé que l’intéressée ne sait ni lire, ni écrire, ni compter et qu’elle doit continuellement être suivie par sa mère.

La Cour relève que, nonobstant le contexte décrit ci-avant, l’administration a adressé des demandes écrites de renseignement (non recommandées – ainsi que vu de-dessus).

Elle rappelle la jurisprudence selon laquelle il appartient au Ministère d’apporter la preuve de l’envoi de la lettre de rappel, et, lorsqu’il est en défaut d’établir l’envoi de celle-ci, la décision administrative de rejet d’une demande ou de suppression du droit aux allocations ne peut qu’être annulée. La jurisprudence rappelée est nombreuse et est reprise dans l’arrêt. Elle précise, en outre, que l’administration ne peut se borner à envoyer des recommandés à un assuré social présentant une lourde réduction d’autonomie pour troubles mentaux, psychologiques ou psychiatriques car ceux-ci le placent - comme c’est le cas en l’occurrence - en situation permanente de force majeure ne le mettant humainement et concrètement pas en mesure d’apprécier la portée des courriers qui lui sont envoyés, même si la preuve d’un tel envoi existait. L’administration aurait en effet dû reprendre l’instruction du dossier. En conséquence, pour la Cour, l’on ne peut qu’annuler les décisions prises, le Ministère devant reprendre l’instruction complète du dossier ab initio. Il en va de même de la renonciation partielle, qui est également anéantie par l’effet de l’annulation de la décision de récupération.

Etant saisie d’une contestation portant sur les droits subjectifs de la personne depuis le 1er février 1994, elle relève en outre qu’elle est tenue de vérifier l’ensemble des droits de l’assuré social concerné depuis celle-ci.

Cette position est articulée autour des articles 704, 582,1° et 764,10° du Code judiciaire ainsi que de l’article 17 de la Charte de l’assuré social. En effet, l’introduction de la demande en la matière se fait au moyen d’une requête purement informelle (art. 704), par laquelle l’assuré social peut se borner à contester dans son ensemble la position de l’administration, sans plus. Le Tribunal du travail a une compétence particulière de pleine juridiction (art. 582,1° du Code judiciaire) puisqu’il peut connaître des contestations relatives aux droits des personnes handicapées, matière d’ordre public au sens de l’article 764,10°.

Par ailleurs, l’article 17 de la Charte de l’assuré social impose à l’institution de sécurité sociale, lorsqu’il est constaté une erreur de droit ou matérielle au sens le plus large dans la décision administrative, de prendre d’initiative une nouvelle décision. Celle-ci produira ses effets à la date de prise d’effet de la décision initiale.

Enfin, elle rappelle l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 15 février 2006 (arrêt n° 26/2006) selon lequel les dispositions légales relatives aux allocations de personnes handicapées violent les articles 10 et 11 de la constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la C.D.E.H., en ce qu’elles excluraient tout recours auprès d’une juridiction compétente pour exercer une contrôle de légalité contre une décision de refus de renonciation à la récupération d’allocations indument payées.

En conséquence, la Cour ordonne la reprise de l’instruction complète du dossier ab initio, c’est-à-dire du 1er février 1994.

Intérêt de la décision

Dans cette espèce particulièrement frappante, tant par la situation de l’intéressée - que la Cour du travail qualifie comme étant une situation permanente de force majeure - que par la légèreté du comportement de l’institution de sécurité sociale (deux demandes écrites d’informations, suivies d’une décision de refus rétroactif des allocations pour une période de sept années, entraînant un indu de plus de 25.000€), la Cour du travail revient aux principes de base en cette matière l’autorisant, dans le cadre de son pouvoir de pleine juridiction, à réexaminer les droits de la personne depuis la demande initiale d’allocations.

Plus particulièrement, l’on notera le rappel à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 15 février 2006, relatif au contrôle de légalité de la décision de refus de renonciation à la récupération d’allocations indument payées.


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