Terralaboris asbl

Petit rappel des conditions d’octroi des allocations familiales au père, en cas de séparation

Commentaire de C. trav. Mons, 7 janvier 2009, R.G. 20.507

Mis en ligne le vendredi 17 avril 2009


Cour du travail de Mons, 7 janvier 2009, R.G. n° 20.507

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 7 janvier 2009, la Cour du travail de Mons réforme un jugement du tribunal du travail au motif d’une mauvaise application de l’article 69 des lois coordonnées du 19 décembre 1939.

Les faits

Un couple non marié a deux enfants pour lesquels il touche les allocations familiales dans le régime des travailleurs salariés. En date du 16 février 2004, le père se voit confier la garde de ses deux enfants à temps plein, la mère ayant dû être hospitalisée suite à un gros problème de dépendance à l’alcool. Le père dépose alors une requête au tribunal de la jeunesse, en date du 8 mars 2004, afin de se voir confier l’hébergement principal des enfants. Il s’informe dans le même temps auprès de l’O.N.A.F.T.S., signalant qu’il a la garde des deux enfants, vu l’hospitalisation de leur mère.

Si les documents sont rentrés assez rapidement à l’O.N.A.F.T.S., la domiciliation des enfants avec leur père n’intervient que le 6 mai 2004.

En conséquence, l’O.N.A.F.T.S. paie les allocations à la mère du 1er mars au 31 mai 2004 et, ensuite, au père.

Celui-ci introduit une requête devant le tribunal du travail de Mons demandant à avoir la qualité d’allocataire.

La position du tribunal

Le premier juge déclare la demande recevable et fondée, et ce en se référant à l’article 69, § 1er, alinéa 3 de lois coordonnées sur les allocations familiales du 19 décembre 1939 qui prévoit que, lorsque les parents ne s’accordent pas sur l’attributaire des allocations familiales, ils peuvent demander au tribunal de désigner celui-ci, et ce dans l’intérêt de l’enfant. Pour le tribunal, la circonstance que les enfants n’étaient pas domiciliés avec le père ne fait pas obstacle à la désignation de celui-ci en tant qu’allocataire, dès lors qu’il est démontré à partir des éléments du dossier que celui-ci élève effectivement les enfants.

La position des parties en appel

L’O.N.A.F.T.S. interjette appel de cette décision, considérant que le premier juge a, à tort, privilégié la localisation effective des enfants dans le ménage du père plutôt que le respect des conditions posées par la disposition légale, conditions qui sont au nombre de deux et sont cumulatives : le père doit avoir introduit une demande expresse afin de se voir attribuer la qualité d’allocataire et il doit avoir le même domicile que ses enfants.

Pour l’O.N.A.F.T.S. il faut privilégier la sécurité juridique et éviter tout problème de preuve inhérent aux contestations entre époux, dans l’hypothèse où l’enfant est élevé principalement chez son père. L’O.N.A.F.T.S. considère dès lors avoir à bon droit payé les allocations familiales au père à partir du 1er du mois qui suit la domiciliation des enfants avec lui, soit le mois de juin 2004.

Quant au père, il expose les faits depuis la séparation du 16 février 2004 ainsi que l’ensemble des démarches qu’il a effectuées. Il soutient – et n’est pas contredit sur cette question – avoir élevé seul les enfants et avoir pourvu seul à leurs frais d’entretien et à leur charge d’éducation depuis la séparation du 16 février 2004. Il sollicite dès lors la confirmation du jugement, au motif que l’intérêt des enfants commande bien évidemment que les allocations familiales soient versées au parent qui pourvoit à leurs frais d’entretien au quotidien, ainsi que l’autorise, selon lui, l’article 69, § 1er, alinéa 3 des lois coordonnées du 19 décembre 1939. Ce sont ces éléments modificatifs dans la situation des enfants (c’est-à-dire la date à partir de laquelle ils ont effectivement été hébergés par lui seul) qui doivent constituer la date d’effet du changement d’allocataire.

La mère est également à la cause et abonde dans le sens de l’O.N.A.F.T.S., précisant que le premier juge a fait une application rétroactive des dispositions légales visées, ce qui est source d’insécurité juridique tant pour les allocataires qui puisent leur qualité dans la loi que pour les caisses d’allocations familiales chargées de verser les prestations.

La position de la Cour

La Cour rappelle qu’en cas d’absence d’exercice conjoint de l’autorité parentale, la mère est allocataire prioritaire à la condition que l’enfant ne soit pas élevé exclusivement ou principalement par un autre allocataire.

Pour la Cour il faut distinguer deux situations, étant d’une part celle de l’enfant qui est malgré la séparation effectivement élevé par ses parents (hypothèse dans laquelle le législateur a donné la priorité à la mère) et d’autre part celle de l’enfant qui est élevé exclusivement ou principalement par un allocataire autre que ses parents (la qualité d’allocataire étant alors attribuée à la personne physique ou morale qui élève effectivement l’enfant).

A coté de cette règle générale, il existe d’autres situations : la possibilité de changement d’allocataire sur simple demande introduite auprès de la Caisse, la désignation d’un allocataire par le tribunal du travail ou encore la possibilité de verser les allocations sur un compte ouvert au nom des deux parents.

En l’occurrence, il faut vérifier le respect des conditions mises au changement d’allocataire sur simple demande introduite auprès de la Caisse.

La Cour expose que les travaux préparatoires (étant l’article 19 de la loi du 25 janvier 1999 qui est venu modifier l’article 69, § 1er, alinéa 3 des lois coordonnées) indiquent tout d’abord que l’inscription de l’enfant à la même adresse que le père constitue une condition pour la modification de l’allocataire, aucun autre moyen de preuve de la résidence n’étant recevable. Avant cette modification législative, le père, qui souhaitait avoir cette qualité, devait soit obtenir une décision du tribunal du travail le reconnaissant allocataire dans l’intérêt de l’enfant, soit faire opposition devant le juge de paix au paiement des allocations à la mère, toujours dans l’intérêt de l’enfant.

L’article 69 § 1er alinéa 3 tel que modifié par la loi du 25 janvier 1999 a dès lors facilité la chose tout en imposant, cependant, l’exigence de l’inscription de l’enfant à l’adresse du père.

La Cour rappelle également que le changement d’allocataire opéré par application de l’article 69 produit ses effets le 1er jour du mois qui suit celui du changement et que cette règle est d’ordre public et donc de stricte interprétation.

La position de l’O.N.A.F.T.S. doit dès lors être suivie.

Cependant, la Cour se pose la question de savoir si la demande dont la juridiction est saisie ne peut pas également être interprétée comme tendant à voir attribuer au père la qualité d’allocataire dans l’intérêt de l’enfant, ce qui est une hypothèse expressément envisagée par l’article 69, § 1er, alinéa 3. Le père dispose en effet de la possibilité d’obtenir du tribunal du travail qu’il le désigne en qualité d’allocataire lorsque la domiciliation ne correspond pas à la résidence effective et qu’il élève ses enfants, dans la réalité. Il s’agirait alors d’une demande introduite devant les juridictions du travail en vue d’obtenir le changement d’allocataire. Même dans cette hypothèse, la Cour confirme que le point de départ ne peut pas être rétroactif, le changement ne pouvant produire ses effets que le premier jour du mois qui suit le prononcé du jugement. La Cour se fonde sur la même disposition que ci-dessus, disposition d’ordre public et de stricte interprétation. Elle ajoute que, dans cette hypothèse, la solution serait encore beaucoup plus défavorable au père puisque le jugement est intervenu le 12 décembre 2006 et que le point de départ serait ainsi reporté au 1er janvier 2007.

La Cour confirme, en conclusion, qu’il y a lieu de réformer le jugement en ce qu’il a alloué au père les allocations familiales pour la période précédant le mois qui suit l’inscription dans les registres de la population à l’adresse du père.

L’intérêt de la décision

La Cour du travail a ici l’occasion de rappeler les effets de la loi du 25 janvier 1999, qui est venue modifier les conditions permettant au père séparé d’avoir la qualité d’allocataire. À cet égard la condition d’inscription est déterminante, comme le rappelle la Cour.

Par ailleurs, elle invoque une deuxième possibilité, qui est celle de demander aux juridictions du travail d’accorder au père la qualité d’allocataire dans l’intérêt de l’enfant. Si ceci est, bien sûr, autorisé, la Cour relève l’effet négatif de ce choix, étant qu’il ne peut entraîner le paiement des allocations qu’à partir du mois qui suit la date du prononcé du jugement.


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