Terralaboris asbl

Conditions d’existence d’une division d’entreprise

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 2 avril 2009, R.G. 20.865/06, 20.866/06, 20.867/06, 1.943/07, 1.944/07

Mis en ligne le mardi 11 août 2009


Tribunal du travail de Bruxelles, 2 avril 2009, R.G. n° 20.865/06 ; 20.866/06 ; 20.867/06 ; 1.943/07 ; 1.944/07

TERRA LABORIS ASBL – Alain Vermote

Dans un jugement du 2 avril 2009, le tribunal du travail de Bruxelles a condamné à de fortes indemnités une entreprise hôtelière qui avait licencié l’ensemble de son service maintenance (constitué de 5 travailleurs protégés sur 6) sans demander l’autorisation préalable du tribunal.

Les faits

L’équipe de maintenance d’un grand hôtel de la capitale est composée de cinq ouvriers (tous travailleurs protégés au sens de la loi du 19 mars 1991) et d’un employé, leur supérieur hiérarchique.

La direction informe le conseil d’entreprise, en juin 2005, de son intention de réorganiser la maintenance technique de l’hôtel et de fermer le département interne. Elle fait valoir les inconvénients liés au service de maintenance interne et les remèdes qui y seraient apportés par le recours à l’externalisation.

Le conseil d’administration de la société décide de procéder, en septembre 2005, à la fermeture de ce service et lance la procédure devant la commission paritaire compétente étant la C.P. n° 302 (industrie hôtelière). Celle-ci est ainsi saisie d’une demande de reconnaissance de motifs économiques et techniques sur la base de l’article 3 de la loi du 19 mars 1991. La commission paritaire notifie, deux mois plus tard, qu’elle n’a pas pris la décision de reconnaître l’existence des motifs économiques ou techniques. Quelques semaines après, l’employeur informe les travailleurs protégés de sa décision de mettre fin au contrat de travail avec effet immédiat moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.

Les demandes de réintégration sont introduites dans le délai légal et sont refusées par la société.

Les travailleurs introduisent, en conséquence, une procédure devant le tribunal du travail de Bruxelles.

La position du tribunal

Dans son jugement, celui-ci rappelle les dispositions des articles 2 et 3 de la loi du 19 mars 1991. Il constate d’abord que la commission paritaire n’a pas pu siéger valablement (le banc patronal n’étant pas complet) et que, par voie de conséquence, elle n’a pas reconnu l’existence de raisons d’ordre économique ou technique. Dans ces conditions, à défaut de saisine du tribunal, le licenciement ne pouvait intervenir qu’en cas de fermeture d’entreprise ou d’une division de l’entreprise.

Les questions posées au tribunal sont de trois ordres, étant de savoir si le service de maintenance constituait une division de l’entreprise, s’il a été fermé, au sens de l’article 3 et si le licenciement présente ou non un caractère discriminatoire.

Sur la définition de la division d’entreprise, le tribunal constate que celle-ci n’existe pas dans la loi, seule l’entreprise l’étant, puisqu’il s’agit de l’unité technique d’exploitation. Dans un arrêt du 4 février 2002 (Cass., 4 février 2002, J.T.T. 2002, p. 473), la Cour de cassation a considéré que par division d’entreprise il faut entendre une branche de l’entreprise qui fait preuve d’ne certaine cohérence et qui se distingue du reste de l’entreprise par une autonomie technique, par une activité spécifique durable et un personnel distincts.

A la société défenderesse qui insistait sur le fait que les trois critères sont rencontrés, le tribunal répond qu’un service de maintenance fait partie intégrante de l’exploitation même d’un hôtel, dans la mesure où il n’est pas envisageable d’exploiter celui-ci sans service technique. Même s’il a des compétences spécifiques, ce service touche à l’essence même de l’activité de l’entreprise. En outre, ce service n’a pas été supprimé puisqu’il a été externalisé. Il doit dès lors toujours être assuré, d’autant que les réparations électriques, les réglages et entretiens doivent se poursuivre.

Il n’y a dès lors pas pour le tribunal d’autonomie et certainement pas d’activité spécifique durable distincte du reste de l’exploitation de l’hôtel. Sans exploitation hôtelière, l’existence d’un service de maintenance perdrait d’ailleurs tout son sens et, inversement, la disparition de ce service rend l’exploitation de l’hôtel impossible.
Sont dès lors sans importance le fait que le service est structuré, que ses membres sont coordonnés, que les outils et machines sont disposés dans un local distinct et que le service constitue une entité spécifique de l’entreprise.

Par ailleurs, se référant à l’avis de l’auditeur du travail, le tribunal reprend les travaux préparatoires, qui ne sont, selon lui, certes pas explicites sur une définition de la division d’entreprise mais contiennent cependant des considérations qui opposent la division d’entreprise à l’entreprise elle-même et à son activité principale (Doc. Parl. Sess. Ord. 1990-91, Doc. 1105/1, pp 21 et 22). En l’espèce, ce critère n’est pas davantage rencontré, vu que le service de maintenance fait partie intégrante de l’exploitation de l’entreprise.

Le tribunal rappelle également un arrêt de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 5 juin 2001, JS53266) qui a considéré qu’un service de nettoyage d’un centre scolaire ne constitue pas une division d’entreprise, s’agissant d’une activité secondaire par rapport à l’objet principal de l’employeur. Pour le tribunal, un service de nettoyage peut effectivement être comparé à un service de maintenance. Il en résulte que la société n’entrait pas dans les conditions légales lui permettant de licencier les intéressés sans passer par la censure préalable du tribunal du travail. En conséquence, il condamne la société aux indemnités de protection légale.

Intérêt de la décision

Dans cette affaire (actuellement pendante devant la Cour du travail de Bruxelles), l’employeur a pris un gros risque, en optant pour la solution de l’existence d’une division de l’entreprise, alors même que, si la loi ne contient pas de définition précise de ce qu’il faut entendre par là, il est admis qu’il n’y a pas lieu de confondre une division de l’entreprise avec un service interne, nécessaire à son fonctionnement. Dans son arrêt du 4 février 2002 cité, la Cour de cassation a insisté sur les conditions que doit remplir une activité pour être considérée comme division de l’entreprise : il doit s’agir d’une branche de l’entreprise faisant preuve d’une certaine cohérence (condition n° 1) et se distinguant du reste de l’entreprise (condition n° 2) par trois critères, étant une autonomie technique, une activité distincte durable et un personnel distinct. Le juge du fond doit dès lors constater que l’on se trouve en présence d’une telle activité durable distincte de l’activité principale de l’entreprise et qu’elle est exercée par un groupe de personnel distinct qui dépose de moyens de production distincts pour pouvoir fournir ses prestations.


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