Terralaboris asbl

En cas d’incapacité de travail, faut-il déclarer les revenus générés par une société pour éviter une sanction administrative par l’INAMI ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 mars 2009, R.G. 47.320

Mis en ligne le mardi 11 août 2009


Cour du travail de Bruxelles, 8e chambre, 12 mars 2009, R.G. n° 47.320

TERRA LABORIS ASBL – Pascal HUBAIN

Dans un arrêt du 12 mars 2009, la Cour du travail de Bruxelles considère que l’assujetti social en incapacité de travail doit déclarer le bénéfice d’une société dont il est actionnaire même s’il n’est pas établi que la société a distribué des dividendes.

Les faits

Monsieur I. est en incapacité de travail depuis le 7 janvier 1983 (dans le régime des travailleurs salariés).

Le 1er décembre 1995, il fait l’objet d’un contrôle de l’Inspection des lois sociales au sujet de la situation de certains travailleurs d’une société de teinturerie-blanchisserie dont il est actionnaire et administrateur.

Au moment du contrôle, Monsieur I. sert des clients.

Lors de son audition, il précise qu’il est indemnisé par sa mutuelle et sait qu’il ne peut pas travailler.

Cinq ans plus tard, un nouveau contrôle est effectué par l’Inspection des lois sociales, toujours sur la situation de travail de certains membres de son personnel.

Monsieur I. est à nouveau entendu et déclare qu’il est administrateur de la société et bénéficie d’indemnités d’invalidité. Il ne travaille pas dans les ateliers de la société, se contentant de superviser et il lui arrive de déplacer des vêtements mais il ne porte aucune charge lourde. Si un client arrive, il lui arrive de le servir mais n’encaisse pas d’argent.

Deux ans plus tard encore, Monsieur I. est cette fois entendu par un contrôleur social principal du service du contrôle médical de l’INAMI.

A cette occasion, il déclare qu’il n’a jamais repris le travail, vient tous les jours et plusieurs fois par jour dans les locaux de la société, n’a aucune activité, étant uniquement actionnaire. Il vient pour passer son temps, ne supervise pas le travail dans les ateliers et ne déplace pas de vêtements et sert parfois des clients mais ne prend pas des colis lourds et n’encaisse pas d’argent.

Le 6 août 2002, l’I.N.A.M.I. notifie à Monsieur I. une décision constatant la fin de son invalidité avec effet au 19 octobre 2000 (date rectifiée au 19 décembre 2000, selon décision du 21 janvier 2003), en raison de son activité d’administrateur et d’actionnaire.

Le 22 novembre 2002, l’INAMI lui notifie une décision d’exclusion du droit aux indemnités d’invalidité pour une période totale de 180 jours, s’agissant en réalité du cumul de trois sanctions administratives (75 jours + 30 jours + 75 jours) consécutives à la reprise d’une activité non autorisée (article 2, 1°, 4° et 6° de l’arrêté royal du 10 janvier 1969 déterminant les sanctions administratives applicables aux bénéficiaires du régime des assurances obligatoires soins de santé et indemnités).

Le 16 avril 2003, la mutuelle de Monsieur I. dépose une requête devant le tribunal du travail de Nivelles en remboursement des indemnités indûment perçues entre le 19 décembre 2000 et le 30 novembre 2002. Il semble que Monsieur I. ait introduit de son côté un recours contre les décisions de l’INAMI et de sa mutuelle.

Le jugement dont appel

Par un jugement du 25 octobre 2005, le tribunal du travail de Nivelles a déclaré très partiellement fondées les demandes de Monsieur I. Il a mis à néant la décision de l’INAMI du 22 novembre 2002 uniquement en ce que l’INAMI lui inflige une des trois sanctions d’exclusion du bénéfice des indemnités (celle fondée sur l’article 2, 1° de l’arrêté royal du 10 janvier 1969) et a confirmé pour le surplus les deux autres sanctions réduites à un total de 105 jours. Il a en effet considéré que les rentrées financières dont a disposé la société, vraisemblablement grâce à l’activité de Monsieur I., ne constituent pas un revenu professionnel découlant d’une activité personnelle mais un revenu dont le résultat net est taxé à l’impôt des sociétés, qui ne connaît pas la notion de revenu professionnel puisque tous les revenus quelconques d’une société sont taxables. Considérant qu’un texte établissant une sanction doit être interprété restrictivement, le tribunal a dès lors jugé que l’INAMI avait infligé à tort à Monsieur I. une sanction administrative sur base de l’article 2, 1° de l’arrêté royal du 10 janvier 1969 et qu’il ne prouve pas l’existence de revenus professionnels.

Pour le surplus, il a ordonné une réouverture des débats pour permettre aux parties de s’expliquer sur les décomptes successifs adressés à Monsieur I. concernant l’indu couvrant la période du 19 décembre 2000 au 30 novembre 2002.

L’INAMI a interjeté appel de ce jugement et la mutuelle a également introduit un appel incident.

La position des parties devant la Cour du travail

Monsieur I. a déclaré à l’audience s’en référer à la sagesse de la Cour.

L’INAMI a limité son appel à l’annulation par le tribunal du travail de la sanction administrative fondée sur l’article 2, 1° de l’arrêté royal du 10 janvier 1969.

L’INAMI a fait valoir que :

  • le fait d’avoir déclaré des revenus fiscalement, via l’impôt des sociétés, n’évite pas à l’assuré social l’obligation d’informer sa mutualité des revenus perçus par son activité indépendante,
  • la notion de « revenu professionnel » au sens de 230 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 (pour l’exercice d’une activité préalablement autorisée) est différente de celle, beaucoup plus large, de « tout revenu professionnel » prévue par l’article 2, 1° de l’arrêté royal du 10 janvier 1969. Monsieur I. n’a pas déclaré « tout revenu professionnel »,
  • la notion de revenu professionnel en assurance maladie invalidité doit se comprendre comme tout revenu qu’un titulaire se procure par une activité personnelle salariée ou indépendante ainsi que toutes les indemnités, allocations ou rentes, compensant la perte de ce revenu,
  • par revenu d’une activité indépendante, il faut se référer à l’article 23, § 1er, 1°, 2° et 4° du Code des impôts sur les revenus, ce qui vise notamment les bénéfices des entreprises industrielles, commerciales ou agricoles,
  • Monsieur I. a évidement perçu les bénéfices de l’entreprise de blanchisserie dont il est actionnaire et administrateur, que ce soit directement ou indirectement,
  • même si Monsieur I. prétend ne pas avoir été rétribué pour ses fonctions dans la société, comme actionnaire, il a ou a pu percevoir des dividendes,
  • certes, il ne possède que cinq actions dans la société mais son épouse en détient 1.225 sur 1.250 et elle a été nommée présidente du conseil d’administration de la société,
  • il y a eu une augmentation du capital de la société en 2001 pour permettre à la blanchisserie-teinturerie d’étendre ses activités en sorte qu’il est indéniable que la société a engendré des bénéfices et que directement ou indirectement Monsieur I. en a bénéficié,
  • le bénéfice réalisé par la société constitue des revenus professionnels qui bénéficient aux individus, s’agissant de revenus au sens du code des impôts sur les revenus,
  • exercer une activité non autorisée à titre indépendant (la gestion d’une société de blanchisserie) pendant son incapacité de travail est tout aussi grave qu’exercer une activité salariée, s’agissant d’une fraude sociale justifiant la sanction maximum de 180 indemnités journalières vu l’importance de l’activité constatée.

Enfin, par son appel incident, la mutuelle demande à la Cour de condamner Monsieur I. à lui rembourser une somme totale de 19.528,52 €.

La position de la Cour du Travail

La cour du travail rappelle tout d’abord les textes à appliquer et plus particulièrement l’article 2, 1° de l’arrêté royal du 10 janvier 1969 déterminant les sanctions administratives applicables aux bénéficiaires du régime de l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités qu’elle restitue comme suit :

« Est exclu du droit aux indemnités d’incapacité de travail :

1° à raison d’une indemnité journalière au moins et de septante-cinq au plus, le titulaire, bénéficiant d’indemnités d’incapacité de travail qui n’a pas déclaré à son organisme assureur le revenu professionnel découlant d’une activité personnelle salariée ou indépendante visée à l’article 232 de l’arrêté royal du 4 novembre 1963 portant exécution de la loi du 9 août 1963 instituant et organisant un régime d’assurance obligatoire contre la maladie et l’invalidité, l’allocation ordinaire ou complémentaire prévue par la loi du 27 juin 1969 relative à l’octroi d’allocations aux handicapés, visée à l’article 231 de l’arrêté royal du 4 novembre 1963... »

La cour du travail de Bruxelles résume ensuite le litige comme suit : Monsieur I. a-t-il bénéficié de revenus professionnels dont il aurait du déclarer l’existence à son organisme assureur maladie invalidité ?

La cour du travail de Bruxelles se réfère alors intégralement à un précédent arrêt, de la même chambre, prononcé le 16 février 2006 (R.G. 43.767) ainsi qu’à un arrêt de la cour du travail de Mons du 21 mars 2003 (R.G. n° 13723) dont elle reproduit de très larges extraits.

Dans l’espèce dont a eu à connaître la Cour du travail de Bruxelles, dans son arrêt du 16 février 2006, il s’agissait d’une société familiale dont l’assujetti social en incapacité de travail était l’actionnaire principal avec son épouse et qui avait engrangé des bénéfices au cours de la période litigieuse, bénéfices qui avaient pourtant été directement réinjectés dans la société. Dans cette affaire, il était également apparu que des rémunérations ordinaires avaient été versées à la société à deux reprises sans qu’il ne soit précisé en faveur de qui ces rémunérations ont été allouées mais en tout cas à l’un de ses gérants, à savoir l’assujetti social lui-même ou son épouse. La cour du travail de Bruxelles en avait déduit que l’assujetti social avait bien bénéficié de revenus tirés de son activité en sorte que les conditions d’applications de l’article 2, 1° de l’arrêté royal du 10 janvier 1969 étaient réunies.

Reproduisant ensuite de larges extraits de l’arrêt de la cour du travail de Mons, la cour du travail de Bruxelles décide qu’il faut apprécier le sens à donner à l’expression « tout revenu professionnel » qu’elle déduit de l’article 2, 1° de l’arrêté royal du 10 janvier 1969. Par « revenu », avait jugé la cour du travail de Mons, il y a lieu d’entendre au sens usuel, la somme perçue par une personne ou une collectivité soit à titre de rente soit à titre de rémunération de son activité (Petit Larousse illustré, 1984, p. 879). Par ailleurs, l’impôt sur le revenu est l’impôt calculé d’après le revenu annuel des contribuables (idem, p. 879).

Par revenu d’une activité professionnelle indépendante, il a lieu d’entendre, selon la cour du travail de Mons, le montant des revenus visés à l’article 20, 1° et 3° du Code des impôts sur les revenus.

Considérant que la jurisprudence tirée de ces deux arrêts peut être transposée au cas d’espèce, la cour du travail de Bruxelles fait sien le raisonnement développé par l’INAMI et déclare fondé son appel, limité au rétablissement de la sanction administrative prononcée sur pied de l’article 2, 1° de l’arrêté royal du 10 janvier 1969.

Enfin, la cour du travail de Bruxelles déclare l’appel incident de la mutuelle fondé, Mr. I. étant définitivement condamné à rembourser une somme de 19.528,52 €.

L’intérêt de la décision

Le commentateur reste perplexe concernant la version exacte à appliquer de l’article 2, 1° de l’arrêté royal du 10 janvier 1969.

La version initiale précisait qu’ « est exclu du droit aux indemnités d’incapacité de travail, à raison d’une indemnité journalière au moins et de septante cinq au plus, le titulaire, bénéficiaire d’indemnités d’incapacité de travail, qui n’a pas déclaré à son organisme assureur le revenu professionnel découlant d’une activité personnelle salariée ou indépendante visée à l’article 232 de l’arrêté royal du 4 novembre 1963 portant exécution de la loi du 9 août 1963 instituant et organisant un régime d’assurance obligatoire contra la maladie et l’invalidité, l’allocation accordée en application des lois coordonnées relatives aux estropiés et mutilés ou la majoration d’allocation visée à l’article 231 de l’arrêté royal du 4 novembre 1963 précité » ( MB du 5 avril 1969,p.3066 et 3067).

L’article 1er de l’arrêté royal du 18 mai 1971 (MB du 25 mai 1971, p. 6699) a ensuite remplacé les mots « l’allocation accordée en application des lois coordonnées relatives aux estropiés et mutilés ou la majoration d’allocation » par les mots « l’allocation ordinaire ou complémentaire prévue par la loi du 27 juin 1969 relative à l’octroi d’allocations aux handicapés ».

Sur le site internet du Moniteur belge, la version consolidée de l’article 2, 1° de l’arrêté royal du 10 janvier 1969 reprend toujours la version de l’article 2, 1° de l’arrêté royal du 10 janvier 1969 après sa modification par l’arrêté royal du 18 mai 1971.

Mais l’article 1er de arrêté royal du 23 juin 1978 (MB du 29 juin 1978) a remplacé l’article 2, 1° de l’arrêté royal du 10 janvier 1969 par le texte suivant :

« Est exclu du droit aux indemnités d’incapacité de travail, à raison d’une indemnité journalière au moins et de septante-cinq au plus, le titulaire bénéficiant d’indemnités d’incapacité de travail qui, dans le but de percevoir indûment des indemnités, n’a pas déclaré à son organisme assureur tout revenu professionnel, l’allocation ordinaire ou complémentaire prévue par la loi du 27 juin 1969 relative à l’octroi d’allocations aux handicapés visée à l’article 231 de l’arrêté royal du 4 novembre 1963 portant exécution de la loi du 9 août 1963 instituant et organisant un régime d’assurance obligatoire contre la maladie et l’invalidité ».

Le nouveau texte implique donc une condition de fraude (« dans le but de percevoir indûment des indemnités »), vise « tout » (et non plus « le ») revenu professionnel et ne se réfère plus expressément à l’article 232 de l’arrêté royal du 4 novembre 1963 ( voyez sur ces questions, C. trav. Mons, 3 avril 1992, Bull. INAMI, 1992/5, p.338 ; C. trav. Liège, 11e ch., Sect. de Neufchâteau, 13 novembre 2002, J.T.T. 2003, p.12 ; C. trav. Mons, 6e ch., 21 mars 2003, R.G. n° 13.723 ; contra C. trav. Mons, 5e ch., 8 juin 2006, R.G. n° 19.1999 qui se réfère toujours à l’ancienne version de l’article 2, 1° de l’arrêté royal du 10 janvier 1969).

Bien qu’elle se réfère au texte visant « le » revenu professionnel, la Cour du travail de Bruxelles fait sienne la jurisprudence de l’arrêt du 16 février 2006 de la même chambre, dans lequel précisément la Cour relevait que l’article 2, 1° de l’arrêté royal utilise le terme « tout revenu professionnel » ce qui donne, selon elle, à ce terme une acception beaucoup plus large que la notion de « revenu professionnel » lorsqu’il s’agit de calculer le montant de l’indemnité pouvant être allouée à un assuré social qui exerce une activité préalablement autorisée par le médecin conseil de son organisme assureur.

Mais si on relit attentivement l’arrêt de la Cour du travail de Mons du 21 mars 2003 auquel se réfère aussi la Cour du travail de Bruxelles, force est de constater que le raisonnement suivi est différent :

  • les conditions de « professionnel » et « dans le but de » sont de stricte interprétation, les dispositions ayant un caractère d’ordre public et à tout le moins impératif,
  • il y a bien lieu de comprendre le « revenu professionnel » de l’article 2, 1° de l’arrêté royal du 10 janvier 1969 au sens de l’article 232 de l’arrêté royal du 4 novembre 1963, et ce pour le motif que par ailleurs le texte se réfère aussi à l’article 231 pour le cumul avec une allocation pour handicapés ( et ce même si le nouveau texte ne s’y réfère plus expressément)

Quoi qu’il en soit, l’article 232 précité (devenu article 230 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996) concerne le titulaire qui bénéfice d’un revenu professionnel découlant d’un travail préalablement autorisé dans certaines conditions.

L’alinéa 2 de l’article 232, §1er précise ensuite ce qu’il faut entendre par revenu professionnel, étant tout revenu visé à l’article 23, §1er, 1°, 2° et 4° du Code des impôts sur les revenus 1992 qu’un titulaire se procure par une activité personnelle ainsi que toute indemnité, allocation ou rente compensant la perte de ce revenu.

A priori, les rentrées financières d’une société ne constituent donc pas un revenu professionnel découlant d’une activité salariée personnelle ou indépendante de l’assujetti social lui-même.

Il en irait autrement si la société prenait la décision de distribuer un bénéfice à ses actionnaires ou de rémunérer un associé actif ou un administrateur.

Qu’il nous soit dès lors permis de partager plutôt le raisonnement suivi par le tribunal du travail de Nivelles qui avait relevé que, certes, il est plus que vraisemblable que l’activité de Monsieur I. a permis à sa société de disposer de rentrées financières mais que ces rentrées ne constituent par un revenu professionnel découlant d’une activité personnelle mais des revenus dont le résultat net est taxé à l’impôt des sociétés qui ne connaît pas la notion de revenus professionnels puisque tous les revenus quelconques d’une société sont taxables.

S’agissant de textes établissant des sanctions, ils s’interprètent restrictivement.

Enfin, contrairement à la Cour du travail de Bruxelles, le tribunal du travail de Nivelles s’était, semble-t-il, également posé la question de la hauteur de la sanction et du cumul.

A cet égard, nous renvoyons à notre brève publiée le 17 décembre 2007 (INAMI : Nature de la sanction administrative et incidence en cas de cumul).


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