Terralaboris asbl

L’agression d’un policier en dehors de l’exercice de ses fonctions peut être un accident du travail

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 6 juillet 2009, R.G. 58.796/03

Mis en ligne le jeudi 3 septembre 2009


Tribunal du travail de Bruxelles, 6 juillet 2009, R.G. 58.796/03

TERRA LABORIS ASBL – Sandra Cala

Dans un jugement du 6 juillet 2009, le Tribunal du travail de Bruxelles, saisi d’une question préjudicielle posée par la Cour d’appel de Bruxelles, a considéré qu’est un accident du travail l’agression d’un policier survenu en dehors de l’exercice des ses fonctions mais du fait de celles-ci.

Les faits

Un policier se fait agresser par deux individus, alors qu’il rend visite à une amie. Il est hospitalisé et est mis en incapacité de travail. La déclaration d’accident du travail fait état de ce que l’agression est due à des raisons professionnelles. Ce policier, agent statutaire, est en effet intervenu dans le cadre d’une enquête à l’initiative de l’inspection des lois sociales dans un établissement avec lequel les intéressés ont des liens.

Un dossier pénal est ouvert et les deux agresseurs sont poursuivis du fait de coups et blessures ayant causé une maladie ou une incapacité de travail. Un jugement est rendu par le tribunal correctionnel, qui condamne les intéressés. Dans le cadre de cette procédure, ETHIAS est partie, en tant que partie civile. Elle réclame en effet remboursement de ses débours en faveur de la Commune employeur du brigadier. La Cour d’appel est alors saisie, un des deux intéressés ayant interjeté appel, et elle confirme le jugement en ce qu’il a déclaré la prévention établie. Sur le volet civil, constatant que les parties sont diamétralement opposées sur l’origine de la bagarre, la Cour d’appel a demandé au Tribunal du travail s’il y a accident du travail, au sens légal.

Par ailleurs, ETHIAS assigne le policier, lui demandant d’intervenir dans le litige qui l’oppose aux deux agresseurs et, en ordre subsidiaire, en cas de réponse négative à la question préjudicielle, de lui rembourser ses débours majorés des intérêts compensatoires, des intérêts judiciaires et des dépens.

Position du Tribunal

Le Tribunal va ainsi trancher la question du caractère professionnel ou privé de la bagarre.

Les deux défendeurs considèrent, en effet, à titre principal, qu’il n’y a pas accident du travail au sens de la loi du 3 juillet 1967 et, à titre subsidiaire, à supposer que le Tribunal réponde par l’affirmative à cette question, ils plaident que l’accident aurait dans ce cas été intentionnellement provoqué par le policier.

Ils font valoir l’autorité de chose jugée de l’arrêt de la Cour d’appel, étant qu’il est acquis que le brigadier n’était, au moment de la dispute, pas au travail.

Le Tribunal conclut sur cette question que le policier n’était pas présent dans la procédure pénale ni en tant que prévenu ni en tant que partie civile (puisqu’il avait été indemnisé). L’autorité de la chose jugée des juridictions pénales ne peuvent donc le lier. Il ne peut se voir opposer les constatations qui sont contenues dans ces décisions.

Le Tribunal rappelle ensuite la règle particulière de l’article 2, alinéa 3, 2e de la loi du 3 juillet 1967, étant qu’est considéré comme accident du travail, dans le secteur public, l’accident subi par un membre du personnel en dehors de l’exercice de ses fonctions mais qui est causé par un tiers du fait de celles-ci. Il relève en l’espèce que l’un des deux défendeurs avait fait valoir, dans un courrier adressé par son conseil peu avant les faits, qu’il avait l’impression d’être filé par ledit policier, qui aurait entrepris à son égard des démarches d’intimidation et même de harcèlement. Le policier avait pour sa part situé ces interventions dans le cadre d’une enquête de l’inspection des lois sociales. Le Tribunal s’appuie également sur la circonstance que le Commissaire de police de la Commune, qui était au courant des missions professionnelles du policier, avait considéré que l’agression était directement liée à l’activité professionnelle et qu’elle ne se serait pas produite si ce dernier n’avait pas été agent de police. Le Tribunal retient l’intervention du Commissaire de police comme étant un élément objectif susceptible d’éclairer utilement le contexte de l’incident. Il rejette par ailleurs des déclarations de proches des intéressés, au motif de relations personnelles, rendant leur déclaration subjective. En conséquence, le Tribunal du travail retient un lien direct entre les missions antérieures réalisées par le brigadier et l’agression. Il y a dès lors lieu à application de l’article 2, alinéa 3, 2e, s’agissant de faits causés par un tiers du fait des fonctions exercées.

Enfin, sur le caractère intentionnel, le Tribunal rappelle que celui-ci serait présent s’il était établi que le policier avait eu l’intention de provoquer l’accident. A supposer qu’une gifle ait été donnée à l’un des deux défendeurs (ce que ceux-ci plaident), le Tribunal retient que, même si celle-ci avait été donnée, les conséquences de la dispute et l’ampleur des lésions qu’il a subies ne peuvent être considérées comme le résultat d’une intention dans son chef.

Intérêt de la décision

Cette décision du Tribunal du travail de Bruxelles est l’occasion de rappeler que les juridictions du travail sont seules compétentes pour qualifier des faits déterminés d’accident du travail. La Cour d’appel devait dès lors, comme elle l’a fait, poser une question préjudicielle au Tribunal du travail, avant de statuer sur les intérêts civils.

Par ailleurs, le jugement commenté contient également un rappel de la notion d’accident causé intentionnellement. Il ne suffit pas, selon la jurisprudence de la Cour de cassation (Cassation, 25 novembre 2002, Chron. Dr. Soc., 2003, p. 320) de vouloir la bagarre, encore faut-il vouloir l’accident.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be