Terralaboris asbl

Inapplicabilité du principe communautaire de libre prestation de services en l’absence d’élément d’extranéité

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 juin 2009, R.G. 50.785

Mis en ligne le vendredi 2 octobre 2009


Cour du travail de Bruxelles, 18 juin 2009, R.G. n° 50.785

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 18 juin 2009, la Cour du travail de Bruxelles a rappelé, pour la période antérieure à la loi du 27 avril 2007 (dont les effets sont entrés en vigueur le 1er janvier 2008), les débats relatifs à l’application du principe d’égalité de traitement et de libre prestation de services dans l’hypothèse d’un sous-traitant non enregistré.

Les faits

Une société de génie civil fait appel pour des travaux à une Sprl belge non enregistrée. Elle opère les retenues légales de 15% lors de chaque paiement et verse le produit de cette retenue directement à l’ONSS. Il s’agit de factures pour une période de l’ordre de 10 mois environ.

Trois ans plus tard, l’ONSS informe la société de la faillite du sous-traitant, ce qui laisse subsister un solde débiteur d’environ 7.000€, pour la période correspondant à la sous-traitance de travaux.

L’ONSS, se fondant sur l’article 30bis de la loi du 27 juin 1969, relatif à a responsabilité solidaire, considère que responsabilité de la société doit être retenue à raison de 50%, montant qu’elle plafonne, cependant, au solde restant dû.

La société va contester la dette, notamment au motif de prescription.

Citation est enfin lancée, par l’ONSS.

La position des parties devant la Cour du travail

L’ONSS, appelant du jugement du tribunal du travail de Bruxelles du 16 janvier 2008, qui l’a débouté, considère que l’article 30bis ne peut pas être écarté pour non-conformité au droit européen. Subsidiairement, il conteste la prescription.

La société considère, par ailleurs, que le premier juge devait refuser l’application de l’article 30bis et ce vu la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, et ce même en l’absence d’éléments d’extranéité. Sur la prescription, elle fait valoir que plus de six ans se sont écoulés entre l’intentement de l’action et le dernier trimestre pour lequel les cotisations sont dues et que ne figurent pas au dossier les éléments utiles relatifs à la preuve de l’interruption de la prescription.

La position de la Cour

La Cour rappelle, en premier lieu, que l’article 30bis trouve son origine dans la loi-anticrise du 4 août 1978, étant une mesure destinée à combattre les pratiques frauduleuses des pourvoyeurs de main d’œuvre.

Il s’agit, dans le cas d’espèce, de trancher une hypothèse antérieure à la modification législative introduite par la loi-programme du 27 avril 2007 (M.B. 8 mai 2007), qui en a modifié les deux volets (fiscal et social), mettant actuellement sur le même pied les entreprises belges ou étrangères.

L’article 30bis prévoyait, avant sa modification par la loi du 27 avril 2007, l’obligation de retenir, en cas d’appel à un entrepreneur non enregistré, 15% du montant des factures hors TVA et de les verser à l’ONSS, obligation existant également en matière fiscale. En sus de cette obligation de retenue, la disposition retenait la responsabilité solidaire en raison des dettes fiscales du cocontractant non enregistré à raison de 35% du prix des travaux et, pour ce qui est des dettes sociales, 50%. Les retenues effectuées venant en déduction de ces montants.

La Cour constate que le premier juge a rejeté la demande, au motif qu’il y avait lieu d’écarter l’application de l’article 30bis : pour le tribunal cette disposition est contraire aux obligations européennes de garantir la libre prestation de services. Tel est l’enseignement de l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 9 novembre 2006 (Rec. 2006, 10.653) par lequel la Cour de justice a considéré que l’obligation de retenir 15% de la somme due pour travaux effectués, en cas d’appel à un entrepreneur étranger non enregistré en Belgique est un manquement aux articles 49 et 50 du Traité. La Cour de justice a statué en matière fiscale. Pour le premier juge, la non-conformité au droit européen doit également valoir pour le volet social, puisqu’il est en tous points identique, voire plus contraignant.

Pour la Cour du travail, l’arrêt de la CJCE du 9 novembre 2006 ne suffit cependant pas pour écarter l’application de l’article 30bis, dans l’hypothèse où il n’y a aucun élément d’extranéité. En effet, l’article 49 du Traité CE prévoit l’interdiction de restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de la Communauté à l’égard des ressortissants des Etats membres établis dans un pays autre que celui du destinataire du service (étant un pays de la Communauté autre que celui-ci).

La Cour reprend les considérants utiles de l’arrêt (28, 30, 31 et 32) et constate que la CJCE ne se prononce pas sur la validité de l’article 30bis en tant qu’il en est demandé l’application aux entreprises qui font appel à un entrepreneur belge non enregistré en Belgique.

Dans le cas d’espèce, il faut constater une différence de traitement entre deux catégories de commettants ou deux catégories de maitres d’œuvre établis en Belgique et qui font appel à un prestataire de services non enregistré, selon qu’il est belge ou ressortissant d’un autre pays de la Communauté. Pour la Cour, l’absence d’éléments d’extranéité fait que la première catégorie ne peut invoquer l’arrêt de la Cour de justice pour se soustraire à la responsabilité solidaire, alors que la seconde le peut.

Elle revient, alors, vers la Cour constitutionnelle, qui a considéré dans un arrêt du 19 mars 2009 (arrêt n° 56/2009) que cette différence de traitement découle des dispositions du Traité CE lui-même. Le principe communautaire de libre prestation de services s’applique exclusivement à l’égard des ressortissants des Etats membres établis dans un pays de la communauté autre que celui du destinataire et non aux situations qui relèvent exclusivement de l’ordre juridique interne d’un pays déterminé.

Reprenant les termes de l’arrêt du 9 novembre 2006 qui relevait que la responsabilité solidaire de l’article 30bis est particulièrement lourde et que son application cumulée avec la règle des 15% a même été jugée disproportionnée par rapport à l’objectif de la mesure (d’autant qu’elle s’applique de manière automatique et inconditionnelle), la Cour annonce que la même appréciation, étant la disproportion, pourrait en Belgique mener à la conclusion qu’il y a une distinction illégitime entre les commettants selon qu’ils font appel ou non à un entrepreneur (établi en Belgique) non enregistré. Cependant, la Cour constitutionnelle a, sur cette question, une jurisprudence constante, concluant au caractère non discriminatoire de la mesure (arrêt n° 56/2009 ci-dessus et également arrêts 46/2002, 126/2002, 188/2002 et 86/2007).

En conséquence, l’application du principe d’égalité de traitement ne peut pas non plus être invoqué pour permettre au juge d’écarter, dans le cas tranché, la responsabilité solidaire. Les deux arguments, étant d’une part la non-conformité du droit belge au droit européen et d’autre part le principe d’égalité de traitement, doivent être rejetés.

La Cour fait dès lors droit à la demande de l’ONSS.

En ce qui concerne, enfin, la prescription, l’ONSS établit l’existence d’actes interruptifs à l’égard du sous-traitant et la Cour les considère comme valables, vu que les poursuites contre l’un des débiteurs solidaires interrompt la prescription à l’égard de tous (Code civil 1206).

Intérêt de la décision

L’arrêt reprend les termes d’un débat actuel qui dépasse l’article 30bis (dans son ancienne mouture) étant que selon la jurisprudence de la CJCE il ne peut être apporté des restrictions au principe de la libre circulation des biens et services et de la liberté d’établissement sauf pour raison impérieuse d’intérêt général.

En l’absence d’élément d’extranéité, cette jurisprudence ne trouve pas à s’appliquer puisqu’il s’agit alors d’une question purement interne à un Etat.

En matière de recours à un sous-traitant non enregistré, l’article 30bis de la loi du 27 juin 1969 revisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs a été complètement remplacé par l’article 55 de la loi-programme du 27 avril 2007, qui règle désormais la procédure d’enregistrement et de radiation et organise les relations entre cocontractants et l’ONSS en cas de dettes sociales.


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