Terralaboris asbl

Sommes dont le non-paiement est sanctionné pénalement : recours contre le gérant de la société

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 23 juin 2009, R.G. 355/08

Mis en ligne le vendredi 2 octobre 2009


Tribunal du travail de Bruxelles, 23 juin 2009, R.G. n° 355/08

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un jugement du 23 juin 2009, le tribunal du travail de Bruxelles rappelle qu’un gérant de société peut être condamné personnellement à des sommes dues en exécution du contrat de travail, si leur est applicable l’article 56 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives et les commissions paritaires.

Les faits

Un ouvrier entre, en septembre 2004, au service d’une société A. Le 31 mars 2005, il est mis fin au contrat d’un commun accord. Le 1er avril 2005, le travailleur entre au service d’une société B. Le sieur X, contre qui le travailleur se retournera en paiement de sommes, est gérant et fondateur de la société A. Il est également depuis le 1er janvier 2002 gérant de la société B. Le dossier ne permet pas de déterminer s’il est associé dans celle-ci.

Le travailleur est licencié le 1er février 2006.

Son organisation syndicale intervient, ultérieurement, aux fins de réclamer des sommes, dont notamment l’indemnité spéciale prévue par la convention de secteur (électriciens) en cas de licenciement multiple. Le 18 avril 2006 la société A. tombe en faillite.

Le travailleur assigne, ultérieurement, le 31 décembre 2007, la société B. (dont la dénomination a été modifiée entretemps) ainsi que le sieur X. Il réclame notamment application de la convention collective de travail du secteur (149.1) du 24 juin 2003 relative à la sécurité d’emploi, ainsi que des primes pour travaux dangereux et insalubres et une prime de fin d’année.

La position du tribunal

Par jugement du 23 juin 2009, le tribunal du travail de Bruxelles fait droit à la demande de l’intéressé.

Le jugement reprend, en premier lieu, ce qu’il faut entendre par licenciement multiple au sens de la convention de secteur, étant le licenciement d’un nombre déterminé d’ouvriers, soit en chiffres soit en pourcentage, et ce dans un délai de 60 jours calendrier. Une procédure est prévue, visant l’information préalable du conseil d’entreprise, l’obligation dans un délai de quinze jours après celle-ci pour les parties d’entamer des pourparlers au niveau de l’entreprise sur les mesures pouvant être prises en la matière et, à défaut de solution, le recours au bureau de conciliation de la commission paritaire à l’initiative de la partie la plus diligente. La convention collective prévoit également les mesures à prendre en cas d’absence de conseil d’entreprise.

Le tribunal constate en l’espèce que le gérant reste résolument en défaut d’établir le nombre de personnes occupées, le nombre de licenciements ainsi que d’autres informations permettant de vérifier la régularité du licenciement eu égard aux dispositions sectorielles. Il en conclut que les éléments de fait dont il dispose constituent des présomptions selon lesquelles la procédure aurait dû être suivie. En conséquence, l’indemnité de secteur, qui est le double de l’indemnité de rupture, est due. Il s’agit en l’espèce d’une indemnité de 10 semaines.

Mais c’est également sur la question de la prescription de la demande et de la mise à la cause du gérant que le tribunal va réserver des développements importants.

En ce qui concerne la mise à la cause du gérant, le jugement rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 7 novembre 1997 (C.96.0272/F), selon lequel lorsqu’une partie contractante agit par un organe, un préposé ou un agent pour l’exécution de son obligation contractuelle, celui-ci ne peut être déclaré responsable sur le plan extracontractuel que si la faute mise à sa charge constitue un manquement à l’obligation générale de prudence et que si cette faute a causé un dommage autre que celui résultant de la mauvaise exécution du contrat. Dans cet arrêt, la Cour de cassation énonce que le principe de la quasi-immunité de l’agent d’exécution (consacré par son arrêt du 7 décembre 1973 (Arr. Cass. 1974, p. 395) n’est pas applicable au préposé et à l’agent d’exécution mais également à l’organe d’une société.

Diverses décisions de la Cour suprême ont confirmé, ultérieurement, que tel est le cas lorsque la faute du mandataire de la société ou du prépose constitue un délit (voir notamment Css., 16 février 2001, Pass., 2001, I, p 301). Le tribunal rappelle également l’arrêt du 22 janvier 2007 (S.050095N) qui a posé le principe selon lequel la demande en paiement d’arriérés de rémunération au titre de réparation en nature du dommage causé par l’infraction de « non paiement de salaire dû » peut être formée non seulement contre l’employeur mais également contre un préposé ou un mandataire qui s’est rendu coupable de cette infraction, au sens de l’article 42 de la loi sur la protection de la rémunération.

Il constate que sur la base de l’article 56 de la loi du 5 décembre 1968, invoqué par le demandeur, existait une obligation dans le chef de l’employeur de payer les primes réclamées. Si le gérant n’avait pas personnellement d’obligation légale ou conventionnelle à cet égard, il devait, en tant que gérant, veiller au respect des conventions collectives, par la société. Il y a donc délit, du fait de ce non-respect et le gérant apparaît comme la seule personne ayant la compétence et l’autorité pour décider et surveiller le respect de la réglementation par la société.

Le tribunal cite encore une abondante jurisprudence de la Cour de cassation, ainsi que la doctrine relative à l’imputabilité des infractions de droit pénal social à une personne physique. Le tribunal rappelle que l’article 5 du Code pénal (inséré par la loi du 4 mai 1999) dispose en son alinéa 2 que lorsque la responsabilité de la personne morale est engagée exclusivement en raison de l’intervention d’une personne physique identifiée, seule la personne qui a commis la faute la plus grave peut être condamnée. Si la personne physique identifiée a commis la faute sciemment et volontairement, elle peut être condamnée en même temps que la personne morale responsable. Dans son arrêt du 4 mars 2003, la Cour de cassation a interprété ces termes comme signifiant « librement et consciemment ». En l’espèce, il est vraisemblable que le demandeur n’a jamais réclamé les primes et que le gérant en ignorait l’existence. Mais ces causes d’excuse n’empêchent pas qu’ils doivent être considérés (la société et lui) comme responsables sur le plan civil pour le dommage causé.

Enfin, rappelant la doctrine sur l’évolution de la théorie de l’organe et sur les restrictions apportées à l’immunité de responsabilité de l’agent d’exécution (dont DIEUX, X., « La responsabilité civile des administrateurs ou gérants d’une personne morale à l’égard des tiers : une révolution de velours », Mélanges John Kirkpatrick, 2004, p. 429 et VAN OMMESLAGHE, P., « La théorie de l’organe, évolutions récentes » Liber Amicorum Michel Coipel, 2004, p. 775) le tribunal conclut que la responsabilité civile du gérant peut être mise en cause. Le tribunal rappelle que les travaux parlementaires de la loi du 4 mai 1999 ont notamment pris l’exemple des délits en matière d’environnement (où la responsabilité civile est réglée dans la pratique par le recours à une assurance).

Tant la société que le gérant sont, dès lors, responsables du dommage causé au demandeur. Cette conclusion va régler la question de la prescription, s’agissant d’une action fondée sur l’article 2262bis, § 1er, 2° du Code civil (Cass., 14 janvier 2008, S.07.0050.N).

Intérêt de la décision

Cette décision contient une analyse fouillée de la question de la responsabilité des gérants et administrateurs de société au regard des obligations de celle-ci en matière de droit pénal social.

Le recours à l’article 42 de la loi sur la protection de la rémunération permet en effet d’agir à l’encontre de celui-ci, dans les limites des règles de l’article 56 de la loi du 5 décembre 1968.


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