Terralaboris asbl

Maladie professionnelle et Convention Européenne des droits de l’homme

Commentaire de Trib. trav. Liège, 11 août 2009, R.G. 380.571

Mis en ligne le mercredi 14 octobre 2009


Tribunal du travail de Liège, 11 août 2009, R.G. n° 380.571

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un jugement du 11 août 2009, le tribunal du travail de Liège considère, à propos de la réparation d’une maladie professionnelle due à des vibrations mécaniques, qu’il s’agit d’un droit patrimonial protégé par la Convention Européenne des droits de l’homme.

Les faits

Suite à des vibrations mécaniques auxquelles il a été exposé professionnellement, un travailleur a des lésions au rachis lombaire. Celles-ci sont admises comme affection à la colonne lombaire, depuis plusieurs années, la dernière décision, datant du mois de juillet 2003, ayant été prise sous le code 1.605.012.

L’intéressé introduit une demande en révision le 23 novembre 2007 dans le cadre du code 1.605.012. Le 23 juin 2008, le Fonds des maladies professionnelles dit la demande fondée mais maintient le taux d’incapacité précédemment reconnu (24% soit 12+12).

Position des parties devant le tribunal

Le demandeur conteste la décision et se fonde sur un rapport médical faisant état d’une incapacité purement physique de 20%, sans préjudice des facteurs socio-économiques.

Il fait valoir – argument intéressant – qu’il y a lieu d’écarter l’arrêté royal du 25 février 2007, celui-ci étant illégal. Il faut en effet rappeler que suite aux modifications intervenues par l’arrêté royal du 27 décembre 2004, certaines maladies de la liste ont disparu, chose susceptible de rompre le principe d’équité. Cette situation a amené le législateur à intervenir par un arrêté du 25 février 2007.

La demande ayant été introduite dans le système fermé, il sollicite à titre subsidiaire, son instruction dans le système ouvert.

Quant au Fonds des maladies professionnelles, il postule purement et simplement le débouté de la partie demanderesse.

Position du tribunal

Le tribunal rappelle d’abord l’arrêt du 11 septembre 2006 de la Cour de cassation (Pas., p. 1690), qui a considéré que si, pour la réparation d’une maladie professionnelle, l’existence d’une incapacité physiologique est requise, le taux de celle-ci ne constitue toutefois pas nécessairement l’élément déterminant pour apprécier le taux d’incapacité permanente globale.

En ce qui concerne l’instruction de la demande dans le système fermé, le tribunal rappelle l’évolution des modifications réglementaires, étant les deux arrêtés royaux ci-dessus.

Il examine ensuite longuement l’argument du demandeur sur l’illégalité de l’arrêté royal du 25 février 2007. Cet argument est fondé sur un arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, 20 avril 2009, R.G. 35.519/08) relatif à une affection dorsale (code 1.605.01). Dans cet arrêt, la Cour soulève en outre la possibilité de saisir la Cour Constitutionnelle d’une question portant sur la violation éventuelle des articles 10 et 11 de la Constitution et ce vu le texte de l’article 36, alinéa 1er, seconde phrase, des lois coordonnées sur les maladies professionnelles.

Le fondement de l’argumentation du demandeur en ce qui concerne l’illégalité de l’arrêté royal du 25 février 2007 est une différence de traitement dans l’indemnisation légale en cas d’aggravation d’une incapacité causée par une maladie professionnelle lorsqu’il s’agit d’une affection dorsale provoquée par des vibrations mécaniques. En effet, en cas de maladie professionnelle reconnue, la revision intervient généralement à la seule condition pour la victime de démontrer l’existence d’une aggravation de l’incapacité permanente. Dans le cas d’une affection dorsale due à des vibrations mécaniques, les conditions de la revision sont soumises à des exigences supplémentaires, fixées par ledit arrêté, étant qu’il ne peut y avoir revision en cas d’aggravation que si l’affection et l’exposition au risque prises en compte pour ladite indemnisation correspondent à la maladie visée par le nouveau code 1.605.03 inscrit sur la liste par l’arrêté royal du 27 décembre 2004.

Après avoir repris de manière détaillée le rapport au Roi, le tribunal retient que celui-ci fait état de trois postulats, étant que

  • tout le monde peut admettre qu’en cas de changement de réglementation l’on peut établir une différence entre différentes catégories de personnes et que ceux qui étaient bénéficiaires d’une indemnisation sous l’empire des anciennes dispositions doivent la conserver ;
  • tout le monde doit également admettre que l’indemnisation ne peut plus être augmentée lorsque la maladie en cause ne figure plus sur la liste ;
  • ne pas l’admettre créerait une différence encore plus grande entre les victimes d’avant et d’après la suppression sur la liste de la maladie en cause.

Examinant ces affirmations, le tribunal considère que les 2e et 3e postulats sont loin d’être évidents et pertinents, étant au contraire un « raccourci un peu simple » qui aboutit à un nivellement par le bas des droits sociaux fondamentaux, parmi lesquels figurent la prévention et la réparation des risques professionnels. Cette réparation ainsi que le droit à l’indemnisation de l’aggravation d’une maladie reconnue constituent, comme le rappelle le tribunal, un droit patrimonial protégé par l’article 1er du protocole n° 1 de la Convention Européenne des droits de l’homme et le principe de non discrimination de l’article 14 de la Convention s’applique à tel droit subjectif social.

En conséquence, et sur la base des arrêts Koua Poirrez (CEDH, 30/09/2003) et Tabitha (CEDH, 12/10/2006), le tribunal conclut que la différence de traitement énoncée manque de justification objective et raisonnable. Il écarte donc, eu égard aux principes de proportionnalité, d’équité, d’égalité et de non discrimination, la disposition litigieuse. Il se fonde également sur une violation des articles 10, 11 et 159 de la Constitution, reprenant l’arrêt de la Cour de Cassation du 4 décembre 2006 (S060066F) selon lequel les cours et tribunaux ne peuvent appliquer les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux qu’autant qu’ils sont conformes aux lois. Pour la Cour suprême, les juridictions contentieuses ont, en vertu de l’article 159 de la Constitution, le pouvoir et le devoir (souligné par le tribunal) de vérifier la légalité tant interne qu’externe de tout acte administratif sur lequel une demande, une défense ou une exception est fondée. Ce contrôle de légalité n’est pas limité aux irrégularités manifestes.

Intérêt de la décision

Ce jugement est décisif sur la question : les modifications réglementaires apportées à l’indemnisation de ce type de maladie professionnelle doivent être écartées en tant qu’elles se heurtent à des règles supérieures, dont celles de la Convention Européenne des droits de l’homme.


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