Terralaboris asbl

Concubinat et contrat de travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 mai 2009, R.G. 38.645

Mis en ligne le mercredi 28 octobre 2009


Cour du travail de Bruxelles, 28 mai 2009, R.G. n° 38.645

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 28 mai 2009, la Cour du travail de Bruxelles, reprend les conditions permettant de dégager l’existence d’un lien de subordination entre conjoints ou concubins dans l’exercice d’une activité professionnelle.

Les faits

Un travailleur indépendant, exerçant une activité de restauration, occupe plusieurs personnes dont sa concubine. Celle-ci ayant un passé professionnel dans le secteur, elle est engagée dans le cadre d’un contrat de travail à temps plein puis à temps partiel. Elle arrêtera de travailler ultérieurement, après la naissance de son enfant. Le couple va ultérieurement se marier et l’épouse va acquérir la qualité de conjoint aidant.

Suite à un contrôle de l’ONSS, l’assujettissement est supprimé, les rémunérations versées n’étant pas considérées comme telles et les cotisations sociales étant remboursées.

L’employeur introduit un recours devant le tribunal du travail de Nivelles.

La position du tribunal

Le tribunal du travail de Bruxelles fait droit à la requête, ainsi qu’à l’intervention volontaire formée par la travailleuse. Il considère que l’ONSS ne pouvait considérer d’office, c’est-à-dire sans qu’une action judiciaire n’ait été introduite, qu’il y avait simulation du contrat de travail, et que celui-ci ne lui était, partant, pas opposable.

La position des parties en appel

L’ONSS interjette appel de cette décision en faisant valoir des arguments portant à la fois sur son pouvoir de décision d’office de refus d’assujettissement et d’autre part sur les éléments de fait du dossier excluant la subordination.

Sur le premier point, il objecte que, le tribunal du travail de Nivelles s’étant fondé sur un arrêt de la Cour du travail de Liège du 17 septembre 1997, cet arrêt a été cassé par arrêt de la Cour de cassation du 7 décembre 1998 (Pas., 1998, I, p. 505). La Cour suprême a ainsi confirmé le pouvoir de l’ONSS de procéder à une annulation d’office.

Sur le fond, il fait valoir divers arguments dont le fait qu’aucun contrat écrit n’aurait été signé entre les intéressés, qu’il n’y aurait aucun horaire, qu’aucun document probant ne serait produit concernant la réalité du paiement de la rémunération et qu’aucun livre de caisse n’aurait été tenu, etc. Il découle, pour l’ONSS, que l’ensemble de ces éléments, auxquels il faut ajouter les conditions de prestation, ne permettent pas de retenir l’existence d’un lien de subordination, rien ne démontrant que l’intéressée ait été sous les ordres et l’autorité de son compagnon, qui lui aurait donné des instructions précises. Il fait également valoir que tous deux avaient l’accès à la profession et que la nature de leurs relations (liens affectifs et familiaux) laissait supposer l’existence d’une collaboration entre concubins plutôt que celle d’un lien de subordination. Il fait enfin valoir que la charge de la preuve de l’existence du contrat de travail incombe à la partie qui s’en prévaut. Il s’agit de l’application des articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire, lui-même n’étant pas tenu d’apporter la preuve d’un fait négatif, étant l’inexistence d’un contrat de travail.

Quant à « l’employeur », il admet, sur le premier point, les arguments de l’ONSS, étant la jurisprudence de la Cour de cassation en son arrêt du 7 décembre 1998. Quant au fond, il retient qu’il n’a pas été abordé par le premier juge et que la Cour doit, en conséquence, se prononcer sur celui-ci. Il fait valoir que le contrat de travail existe bel et bien, un lien de subordination devant être retenu. Il fait valoir quelques décisions (anciennes) de jurisprudence, relevant qu’en cas de doute quant à l’existence ou non d’un tel lien, la qualification donnée par les parties à leur convention sera déterminante sauf erreur ou dol ou encore si l’exécution donnée au contrat est incompatible avec la qualification que lui ont donnée les parties.

Il considère que celles-ci ayant donné à leur collaboration le caractère de contrat de travail, c’est à l’ONSS d’établir le contraire. Pour « l’employeur », l’existence d’un contrat de travail écrit n’est nullement exigée et d’autres éléments peuvent confirmer ladite qualification (déclarations trimestrielles à l’ONSS, établissement de documents sociaux).

En plus de la contestation des arguments de fait développés par l’ONSS, il ajoute encore qu’il est seul propriétaire du bien immobilier et du fonds de commerce, que la nature des prestations de sa compagne (prise de commandes, accueil, tenue des additions, service à table) impliquait des instructions d’une autre personne et que, enfin, le passé professionnel faisait apparaître qu’elle avait été commis de salle salariée, profession qu’elle avait poursuivie.

La position de la Cour du travail

Sur les pouvoirs de l’ONSS, la Cour confirme qu’il y a lieu de faire droit à la position de l’Office et ce vu l’arrêt de la Cour de cassation du 7 décembre 1998, qui a fixé les pouvoirs de ce dernier à cet égard en se fondant sur les articles 5 et 9 de la loi du 27 juin 1969 revisant l’arrêté loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs salariés, ainsi que sur les articles 22 et 40 de la même loi. En vertu de ces dispositions, l’ONSS est un établissement public chargé par la loi de percevoir des cotisations de sécurité sociale et il peut refuser le bénéfice de celle-ci à ceux qui n’en remplissent pas les conditions. Partant, il peut décider d’office de l’existence ou de l’inexistence du contrat de travail visé à l’article 1er de la loi.

Il ne peut par conséquent pas être exigé de celui-ci de soumettre aux Cours et tribunaux, préalablement à sa décision, toute contestation qu’il soulève.

Par ailleurs, sur le fond, évoquant les éléments y relatifs, la Cour souligne en premier lieu ne pas très bien percevoir l’intérêt à poursuivre la reconnaissance du statut de salarié, litige en l’espèce se mouvant, non pas comme souvent dans le cadre de « faux indépendant » mais de « faux salarié ».

Toujours est-il que la Cour considère devoir suivre la thèse de l’ONSS, étant qu’il n’est pas établi qu’un lien de subordination ait existé, pour la période concernée. Elle relève en outre qu’après son mariage et lorsqu’elle a repris ses prestations, l’épouse l’a fait dans le cadre du statut de conjoint aidant et que rien n’établit une modification de ses fonctions, à partir de cette période.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle le pouvoir qu’a l’ONSS de mettre à néant l’assujettissement d’un travailleur à la sécurité sociale des travailleurs salariés, pouvoir qui lui est conféré par la loi du 27 juin 1969.

S’il conclut, en l’espèce, à l’absence de lien de subordination, rien n’empêche, selon les circonstances de l’espèce, l’existence d’un tel lien. Il y a lieu à cet égard de rappeler que dans un jugement du 8 mars 2002 (R.G. 25.668/93) le tribunal du travail de Bruxelles avait retenu dans l’hypothèse d’un contrat de travail entre époux que les modalités d’exécution de la convention telles qu’elles résultaient du dossier étaient compatibles avec un contrat de travail : il y a dès lors lieu de reprendre, ici comme dans les autres dossiers impliquant un problème de qualification, les critères habituels permettant de retenir ou non l’existence d’un lien de subordination.


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