Terralaboris asbl

Suspension du contrat du travail ou instauration d’un régime de travail à temps réduit : rappel des principes

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 mai 2009, R.G. 49.355

Mis en ligne le mardi 10 novembre 2009


Cour du Travail de Bruxelles, 25 mai 2009, R.G. n° 49.355

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 25 mai 2009, la Cour du travail de Bruxelles fait le point sur les conséquences sur le contrat de travail du non respect du prescrit de l’article 51 de la loi du 3 juillet 1978.

Les faits

Une travailleuse d’une entreprise de nettoyage est mise en chômage économique partiel pour la période du 9 février au 8 mai 2001. Le lundi lui est annoncé comme étant le jour de prestation garanti.

Ultérieurement, une nouvelle période de chômage économique, celui-ci total, lui est notifiée pour la période du 16 mai 2001 au 15 août 2001. Le secrétariat social de l’employeur a avisé l’ONEm, par notification du 30 avril 2001.

Le 20 juin 2001, l’employeur adresse un courrier recommandé à l’intéressée, lui faisant grief de ne pas s’être présentée pour son jour de prestation garanti au mois d’avril. Il lui annonce, en conséquence, un non paiement de la rémunération pour les journées d’absence. Il dit constater une dégradation de la situation dans le courant du mois de mai et annonce, de ce fait, qu’il a procédé à un autre engagement.

L’intéressée répond aussitôt par courrier recommandé, constatant, pour sa part, qu’elle s’était tenue à disposition de son employeur mais qu’elle avait été empêchée de travailler, celui-ci lui confirmant à chaque appel téléphonique, qu’elle devait rester au chômage économique. Elle conteste ne pas avoir travaillé les lundis et met son employeur en demeure de lui donner du travail. Elle annonce qu’elle se présentera au travail le prochain lundi et que, vu les refus successifs de lui donner du travail, elle devrait constater la rupture du contrat dans le chef de l’employeur.

Ce qu’elle fit, par un courrier recommandé, quelques jours plus tard, constatant qu’elle avait été empêchée d’accéder à son lieu de travail le 25 juin.

Position du tribunal

Le tribunal rendit un jugement le 24 avril 2006, constatant que l’intéressée avait à bon droit dénoncé la rupture du contrat de travail.

Il considéra également que, pour la période du 9 au 15 mai 2001, période de suspension partielle du contrat pour cause de chômage économique, elle ne pouvait réclamer des dommages et intérêts mais que, par contre, pour le mois de juin, la rémunération lui était due, la société n’ayant pas rétabli un régime de travail à temps plein conformément au prescrit de l’article 51, § 7 de la loi du 3 juillet 1978.

Position des parties en appel

L’employeur, appelante, ne conteste pas devoir payer le solde du salaire pour les mois d’avril et mai 2001 mais fait valoir que l’intéressée ne s’est pas présentée au travail. Quant à l’ouvrière, elle expose que la période de chômage économique était terminée et que l’employeur était dès lors tenu de rétablir le régime de travail pendant une semaine au moins.

Sur la rémunération du mois de juin 2001 et la rupture du contrat, l’employeur fait valoir qu’il aurait obtenu la prolongation du chômage économique au-delà de la première période de trois mois, de telle sorte que la travailleuse aurait dû continuer à se présenter au travail les lundis. Il fait également valoir que, le jour auquel l’intéressée a dénoncé la rupture du contrat, elle ne se serait pas présentée à l’entreprise.

La travailleuse se fonde, quant à elle, en ce qui concerne la rupture du contrat sur la modification unilatérale d’un élément essentiel, étant la durée de prestation, de même que l’absence de travail. Elle confirme s’être présentée au travail le jour litigieux.

Position de la Cour

La Cour du travail est saisie d’une question d’application de la réglementation en matière de chômage économique à temps partiel d’abord et à temps plein ensuite.

En vertu de l’article 51 de la loi du 3 juillet 1978, la suspension totale de l’exécution du contrat de travail est autorisée pendant 4 semaines au maximum, de même que l’instauration d’un régime de travail à temps réduit, en cas de manque de travail résultant de causes économiques.

Le texte légal prévoit la procédure à respecter en cas de suspension totale de l’exécution du contrat, étant l’obligation de rétablir le régime de travail à temps plein pendant une semaine complète de travail avant de pouvoir procéder à une nouvelle suspension totale ou d’instaurer un régime de travail à temps réduit. Lorsque l’employeur a opté pour un régime de travail à temps réduit, en suite d’un manque de travail dû à des causes économiques, celui-ci peut être instauré pour une durée de trois mois maximum, s’il comporte moins de trois jours par semaine ou moins d’une semaine de travail sur deux. Une fois atteinte la durée maximum de trois mois, l’employeur est tenu de rétablir le régime de travail à temps plein pendant une semaine complète de travail avant de pouvoir procéder à une nouvelle suspension totale ou à un nouveau régime de travail à temps réduit.

La Cour énonce, ensuite, que la situation de chômage économique est un régime dérogatoire. Celui-ci présente la particularité de faire supporter au travailleur et à la collectivité (vu les allocations de chômage payées au travailleur dont le contrat est suspendu) les conséquences d’un risque économique qui incombe à l’employeur. Il en découle, pour la Cour, qu’il y a lieu d’observer strictement les conditions de l’article 51.

En l’espèce, il n’est pas contestable que le régime de travail à temps réduit devait normalement prendre fin à la date du 8 mai 2001 et que, à cette date, un régime de travail à temps plein aurait dû être rétabli par l’employeur, et ce pendant une durée d’une semaine au moins. La Cour constate que le rétablissement suppose que pendant cette période l’exécution du contrat de travail soit effectivement reprise (la Cour souligne).

Il s’agit d’une exigence de principe et, en fonction de celle-ci, les absences assimilées au rétablissement d’un régime de travail à temps plein ont fait l’objet d’une définition dans un arrêté royal du 3 mai 1999 (M.B. 23 juin 1999).

Le système légal ainsi instauré fait que si l’employeur n’est pas en mesure de faire exécuter le contrat de travail pendant cette période d’une semaine au moins, à l’échéance de la période de chômage économique, il est susceptible d’être considéré comme ne se trouvant pas dans une telle situation de manque de travail résultant de causes économiques. Il s’agit au contraire d’une situation d’absence de toute perspective de travail, dont la Cour considère qu’elle ne justifie pas, légalement, le maintien d’une suspension du contrat de travail et l’indemnisation d’un chômage temporaire.

Par ailleurs, la nécessité de la reprise effective du travail se justifie également pour permettre au travailleur de conserver un lien avec l’entreprise. Pour la Cour, ceci est d’autant plus avéré dans l’hypothèse présente, où un seul travailleur a été touché par la décision de chômage économique et que celui-ci travaille sur un site extérieur à l’entreprise, qu’il a peu d’ancienneté (moins de trois semaines) et que les conditions légales n’ont pas été strictement observées par l’employeur, celui-ci ayant négligé ses obligations en matière de délivrance des C3.2. : retard dans la délivrance, erreur dans les mentions y apportées.

Elle en conclut qu’aucune hypothèse visée par l’arrêté royal du 3 mai 1999 n’est présente, de telle sorte que l’absence de travail ne peut être assimilée à un rétablissement effectif et que la société aurait dû permettre à l’intéressée d’exécuter son contrat. Elle ne peut dès lors prétendre que la travailleuse ne se serait pas présentée au travail.

En ce qui concerne les chefs de demande, la Cour réforme le jugement en ce qu’il n’a pas accordé de dommages et intérêts pour la période du 9 au 15 mai 2001, le tribunal ayant à tort considéré que le chômage économique n’aurait débuté qu’en mars et que le travail ne devait pas encore être rétabli à la date du 9 mai. La Cour accorde également la rémunération du mois de juin, sur la base de l’article 51, § 7, alinéa 2 de la loi du 3 juillet 1978, selon lequel l’employeur qui ne se conforme pas aux dispositions limitant la durée du régime de travail à temps réduit est tenu de payer la rémunération normale pour la période excédant ces limites.

Enfin, sur la rupture du contrat de travail, la Cour retient la modification importante d’un élément essentiel du contrat de travail, constitutive d’un acte équipollent à rupture et considère, en conséquence, surabondant de déterminer si oui ou non la travailleuse se serait présentée au travail le 25 juin.

La Cour fait encore état d’un arrêt de la Cour de cassation (7 mai 2007, J.T.T., 2007, p. 339, obs. C. Wantiez) selon lequel lorsque le travailleur a mis l’employeur en demeure de revenir sur une modification, avant de constater la rupture du contrat, la rupture intervient non pas à la date de cette modification mais à celle fixée par le travailleur.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour du travail fait un rappel très minutieux des règles en matière de suspension totale du contrat de travail pour manque de travail découlant de causes économiques, ainsi que de l’instauration du régime de travail à temps réduit. Il retient expressément que, s’agissant d’une situation dérogatoire à l’exécution normale du contrat de travail, les dispositions légales doivent être interprétées de manière stricte et que, en conséquence, le rétablissement implique une reprise effective du travail. A défaut, le bénéfice de ce mécanisme de suspension ne peut être accordé.

L’arrêt rappelle également très utilement l’arrêt de la Cour de cassation du 7 mai 2007, qui a fixé la date de rupture du contrat, lorsque le travailleur dénonce une modification unilatérale d’une condition essentielle du contrat de travail.


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