Terralaboris asbl

Le juge est-il tenu par la forme de la demande d’aide sociale ou peut-il la modifier ?

Commentaire de C. trav. Mons, 18 janvier 2006, R.G. 19.924

Mis en ligne le vendredi 28 décembre 2007


Cour du travail de Mons, 18 janvier 2006, RG n° 19.924

TERRA LABORIS ASBL – Mireille JOURDAN

Dans un arrêt du 18 janvier 2006, la cour du travail de Mons a rappelé qu’il n’existe pas de normes légales qui déterminent dans quelle mesure et sous quelle forme l’aide peut être accordée. Par conséquent, le juge, à l’instar du CPAS d’ailleurs, peut entièrement remanier la forme de la demande et attribuer l’aide qui lui parait la plus appropriée.

Les faits

Un assuré social bénéficiant d’allocations aux personnes handicapées était régulièrement aidé par le CPAS de sa commune, par le biais d’aides (remboursables ou non), et ce depuis de longues années. Une partie de celles-ci put être récupérée, notamment suite au versement d’arriérés d’allocations. Le CPAS prit ultérieurement la décision de subordonner l’octroi d’un bon de mazout à la prise d’une inscription hypothécaire sur le chalet dont l’intéressé était propriétaire.

Cette question fit l’objet d’un premier recours devant le tribunal du travail de Charleroi, qui condamna le CPAS à prendre en charge les frais de combustible (un 2e bon étant sollicité entre-temps) ainsi qu’une facture d’électricité. Le CPAS s’exécuta. Ultérieurement, vu sa situation manifeste de surendettement, l’assuré social introduisit de nouvelles demandes d’aide au CPAS concernant toute une série d’arriérés de charges. Il modula en outre ces demandes d’intervention en cours d’instance. Il s’agissait essentiellement de factures d’énergie, ainsi que d’arriérés d’emprunt hypothécaire et d’autres frais incompressibles.

La décision du tribunal

Le Tribunal du travail de Charleroi rappela qu’en vertu des dispositions légales, essentiellement l’article 23 de la constitution et les articles 1er et 57 de la loi du 8 juillet 1976, l’unique condition d’ouverture du droit à l’aide sociale est l’exigence de mener une vie conforme à la dignité humaine.

Tout CPAS est donc tenu d’analyser la situation concrète de chaque demandeur et, à cette fin, de faire la balance entre les ressources dont dispose la personne concernée et les charges habituelles non superflues (dites incompressibles) auxquelles elle doit faire face. S’agissant en l’espèce d’un état de surendettement chronique pour des charges non superflues, le tribunal conclut à la nécessité d’organiser une guidance budgétaire et condamne le CPAS à verser une allocation mensuelle non récupérable dont les effets ne sont pas limités dans le temps.

La position des parties

Le CPAS, appelant, fait grief au tribunal d’avoir statué « ultra petita » vu la condamnation sans limitation dans le temps et sans autre restriction, et ce alors que les recours introduits ne visaient nullement l’obtention d’une aide sociale mensuelle régulière mais des aides ponctuelles et précises, parfaitement définies, tant dans leur montant que dans leur nature. Pour le CPAS, il y a là violation du principe dispositif ainsi que de celui inhérent aux droits de défense. Il fait également valoir que le demandeur d’aide bénéficie ainsi d’un titre exécutoire indéfini dans le temps et non susceptible de revision.

Quant au demandeur d’aide, il souligne en ce qui concerne l’étendue du pouvoir du premier juge ainsi que la saisine en droit de la sécurité sociale que, s’agissant d’une matière qui relève de l’ordre public, le juge est investi du devoir d’examiner entièrement la situation concrète et de vérifier en droit et en fait non seulement l’existence mais encore l’étendue précise du droit à l’aide sociale. Pour lui, le juge ne doit pas se cantonner à l’analyse du bien-fondé de la demande telle que formulée mais doit poursuivre plus avant l’examen de la situation de la personne concernée. Il y a lieu pour le juge de déterminer l’aide la plus appropriée permettant de mener une vie conforme à la dignité humaine. En ce qui concerne la portée de la décision déférée, il fait valoir que la décision judiciaire ne posséderait d’autorité que pendant la période où les éléments de faits qui l’ont justifiée demeurent inchangés. Si l’une des conditions ayant justifié l’aide n’était plus présente ou avait disparu, le CPAS pourrait très bien reprendre une nouvelle décision administrative.

La décision de la cour

La cour commence par relever que l’intéressé bénéficie d’un revenu de 625€ par mois et qu’il doit faire face à des charges incompressibles d’un montant de 1.102,76€ mensuels. Le déficit mensuel chronique de son budget est ainsi de l’ordre de 477,76€. Un tel constat implique que l’intéressé n’est effectivement plus en mesure de mener une vie conforme à la dignité humaine. La situation analysée fait apparaître un état de besoin qui implique non seulement cette impossibilité de vivre dignement mais encore et partant un droit à l’aide sociale indépendamment de toute erreur, ignorance, négligence ou faute commise.

La cour rappelle que conformément à l’article 57 de la loi du 8 juillet 1976 l’aide sociale peut être n’importe quelle aide. Citant l’arrêt de la cour d’arbitrage du 17 septembre 2003 (n° 112/2003), elle énonce qu’il appartient aux centres concernés et, en cas de conflit, au juge de statuer sur l’existence d’un besoin d’aide, sur l’étendue de celui-ci et de choisir les moyens les plus appropriés d’y faire face. Le juge peut dès lors remanier la forme de la demande, pouvoir qui appartient aussi aux instances compétentes du CPAS. La compétence du juge est une compétence de pleine juridiction, conformément au prescrit des articles 1er, 57 et 60 de la loi du 8 juillet 1976 et est prévu par le code judiciaire en ses articles 581,8°,d) et 764,10°, ce dernier prévoyant que la matière relève spécifiquement de la sphère de l’ordre public. Il en résulte que le principe dispositif s’inscrit d’office dans le cadre fixé par ces dispositions.

Le CPAS peut, aux termes de l’examen de la demande, prendre une mesure même aux antipodes de ce qui est suggéré ou demandé. Il en va de même pour le juge. En outre, le relevé d’office de certains moyens de droit inhérents aux dispositions les plus fondamentales du droit à l’aide sociale et le fait de ne pas rouvrir les débats sur la question ne violent pas les droits de la défense, et la cour de rappeler un arrêt du 13 octobre 2005 de la CEDH (J.T. , 2005, p.677) qui considère, à raison de la proximité des moyens soulevés d’office d’avec la discussion des parties, qu’il n’est pas toujours nécessaire de soumettre de tels moyens à contradiction.

Dans le cas d’espèce, la cour redéfinit, selon son appréciation des faits de la cause, l’aide la plus adéquate pour remédier à l’hémorragie financière constante découlant du déséquilibre budgétaire mensuel de l’intéressé et fixe l’aide à une aide financière mensuelle provisoire, celle-ci étant conditionnée par une guidance budgétaire à laquelle le CPAS peut mettre fin à tout moment si la situation de fait qui a présidé à l’octroi de l’aide devait connaître une quelconque évolution. Les arriérés d’emprunt sont pris en charge mais en tant qu’aide récupérable et avec garantie hypothécaire. Le CPAS est également invité, vu sa position d’interlocuteur privilégié des distributeurs d’énergie, à envisager une action préventive ayant pour objectif d’aider le demandeur à mieux utiliser l’énergie et à mieux maîtriser sa consommation.

Intérêt de la décision

La décision rendue est très intéressante à plus d’un titre :

  1. d’abord dans le type de réponse qu’elle donne dans une situation de surendettement chronique où une personne à très faibles revenus n’est pas en mesure de faire face à ses dépenses incompressibles mais où elle est malgré tout propriétaire d’une modeste habitation dont elle doit poursuivre le remboursement de l’emprunt ;
  1. elle détermine elle-même la forme la plus appropriée de l’aide, même si celle-ci n’est pas ce qui a été demandé ;
  1. rappelant que l’aide sociale n’est pas définie dans ses formes par la loi, elle en tire deux conséquences sur le plan procédural, étant la compatibilité avec le principe dispositif et le respect du droit de défense du relevé d’office de certains moyens de droit qui lui permettent d’aboutir à la situation retenue, et ce vu son pouvoir de pleine juridiction.

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