Terralaboris asbl

Pouvoirs du juge

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 6 août 2009, R.G. 8.697 et 8.700/2008

Mis en ligne le lundi 14 décembre 2009


Cour du travail de Liège, Section de Namur, 6 août 2009, R.G. n° 8.697 & 8.700/2008

TERRA LABORIS ASBL – Pascal Hubain

Dans un arrêt du 6 août 2009, la Cour du travail de Liège (Sect. Namur) rappelle que dans cette matière le juge dispose d’un pouvoir de pleine juridiction.

Les faits

Suite à un contrôle de l’ONEm dans une brasserie, la présence au travail d’un étudiant est constatée. Celui-ci déclare y être occupé depuis environ un mois à temps très partiel. Aucun contrat écrit n’a été signé.

La déclaration DIMONA est effectuée près d’un an plus tard, reprenant une date d’entrée telle que donnée par l’intéressé et une date de sortie le jour du contrôle de l’ONEm.

Procès-verbal est dressé, reprenant deux infractions étant d’une part le fait pour l’employeur de ne pas avoir communiqué à l’ONSS diverses données (identification à la sécurité sociale, numéro de carte d’identité sociale et date d’entrée) et d’autre part de ne pas avoir rédigé de contrat d’occupation d’étudiant.

L’employeur, interrogé, déclare avoir été dans l’ignorance de dispositions nouvelles en matière de DIMONA pour les « extras » du secteur HORECA.

L’auditorat du travail demande à l’inspection sociale de se rendre à nouveau sur place et une mise en ordre est constatée, aboutissant à un classement sans suite par l’auditorat.

La décision administrative

Le directeur des amendes administratives (SPF Emploi, travail et concertation sociale) dit les infractions établies. Retenant par ailleurs l’unité d’intention, il applique une seule amende. Avec l’application de circonstances atténuantes, étant la régularisation, l’amende est réduite à 40%, soit un montant de 750€.
Recours est introduit par l’employeur devant le tribunal du travail.

Le jugement du tribunal du travail de Namur

Celui-ci admet la matérialité des faits, vu l’information répressive. Il considère que l’ignorance ne peut constituer une erreur invincible et relève que l’infraction visée n’exige pas un élément moral particulier ou dol spécial.

En ce qui concerne la sanction, il accorde le sursis. Les motifs en sont d’une part la régularisation immédiate de la situation par la déclaration DIMONA ainsi que la rédaction d’un contrat d’occupation d’étudiant et d’autre part l’absence de poursuites antérieures.

Le SPF Emploi interjette appel.

Moyens des parties en appel

L’appel principal du SPF Emploi est fondé sur la gravité de l’infraction qui, pour lui, ne peut être sanctionnée, comme l’a fait le tribunal du travail, par une peine purement symbolique.

Appel incident est interjeté par l’employeur, qui fait valoir que l’infraction n’est pas établie. Pour lui, il n’y a pas eu de transgression consciente, et ce vu la modification de la législation à l’époque des faits. N’ayant pas été informé, il déclare avoir continué à agir comme précédemment.

La position de la Cour

La Cour du travail rappelle les principes applicables, étant, en vertu de l’article 1er bis, 1er ter et 1er quater de la loi du 30 juin 1971 relative aux amendes administratives applicables en cas d’infractions à certaines lois sociales, que l’absence de rédaction d’un écrit en cas d’engagement d’un étudiant est susceptible d’entraîner une amende administrative de même que la non-communication des données à l’ONSS. Cette amende administrative peut faire l’objet, en cas de circonstances atténuantes, de réduction mais ne peut pas être inférieure à 40% du minimum des montants visés (ou 80% dans certains cas).

Sur le pouvoir des juridictions du travail, la Cour rappelle que celles-ci peuvent, en cas de circonstances atténuantes, réduire le montant de l’amende (sans que celle-ci puise être inférieure à 40% - ou 80% dans certains cas – des montants visés). En ce qui concerne le sursis, qui peut être accordé par le fonctionnaire compétent, il peut également l’être par les juridictions du travail, puisqu’elles ont les mêmes pouvoirs que ces fonctionnaires sur la question.

Pour qu’une sanction administrative puisse être appliquée, la Cour relève qu’il faut, au préalable, qu’il y ait infraction et, pour constater que celle-ci est établie, seule compte la preuve de la matérialité. Il n’est, pour la Cour, pas exigé d’intention ni de faute au sens où ceci est requis dans les infractions d’imprudence. La Cour cite Mme KEFER (F. KEFER, Le droit pénal du travail, La Charte, 1997, p. 179, n° 143), qui a rappelé qu’il s’agit de punir la simple violation matérielle des dispositions en cause. Seul l’acte lui-même est recherché et est puni dès qu’il est constaté. Peu importent les causes ou la volonté de celui qui l’a dirigée, l’état d’esprit plus ou moins nuisible de l’auteur étant indifférent. Pour l’auteur, ces manquements sont punissables quelle que soit l’intention du coupable. Ce qui est recherché est la sanction d’une manifestation d’indiscipline sociale, et ce même si l’on est en présence d’une imprudence ou d’une négligence.

Se pose, alors, la question de l’imputabilité, l’infraction ne pouvant engager la responsabilité de l’employeur que si l’acte peut lui être imputé. En cas d’infraction réglementaire, en effet, l’erreur et l’ignorance invincible ont été retenues comme exonératoires de responsabilité. Sont ainsi exigées, pour la mise en cause de la responsabilité pénale, la transgression matérielle (sans aucun élément moral) et l’imputabilité (c’est-à-dire la liberté et la conscience de l’auteur de l’acte).

En ce qui concerne l’erreur invincible, c’est celui qui l’invoque qui doit l’établir, étant une erreur insurmontable. Dans ce contexte, l’erreur de droit ou l’ignorance du droit devront être invincibles pour constituer un motif de justification et la Cour rappelle qu’il a été jugé (C. trav. Liège, 20 mai 2005, J.T.T., 2006, p. 187) que la complexité du droit social ne peut à elle seule être invoquée à ce titre. Elle rappelle également qu’il a déjà été jugé (C. trav. Liège, Sect. Neufchâteau, 13 janv. 1999, Chron. D.S., 2001, p. 412) que, si l’employeur s’abstient d’inscrire un étudiant occupé dans le registre du personnel et s’il a omis de rédiger un écrit, il commet deux infractions – en l’absence de cause de justification - et il n’y a pas lieu de rechercher une éventuelle intention frauduleuse.

Sur les pouvoirs du juge, la Cour rappelle qu’en la matière, et ce en vertu d’un arrêt de la Cour constitutionnelle du 30 juin 1999 (C.A., 30 juin 1999, n°76/99, J.T.T., p. 449), le tribunal du travail bénéficie d’une compétence de pleine juridiction, à savoir qu’il va vérifier à la fois la légalité de la sanction et le montant de celle-ci. Dans le respect du minimum légal admis, il a le pouvoir de réduire l’amende s’il existe des circonstances atténuantes et il peut même accorder un sursis. Le juge peut encore réduire ou même dispenser l’employeur de toute amende s’il constate le non respect du délai raisonnable depuis l’inculpation de l’employeur. Elle revient ici à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 15 septembre 2004 (C.A., 15 sept. 2004, n°148/04, J.T., 22004, p. 890, et obs. F. KUTY, « La sanction du dépassement du délai raisonnable par le tribunal du travail saisi du recours introduit par un employeur condamné à une amende administrative »), ainsi qu’à celle de la Cour de cassation (Cass. , 20 mars 2000, Bull. 2000, p. 624) lorsque le délai raisonnable ne peut être reproché à l’employeur.

La Cour reprend également une jurisprudence abondante autorisant le juge à réduire encore ou même à dispenser l’employeur de toute amende. Son pouvoir d’appréciation est cependant fonction du cas d’espèce, le choix d’une amende dérisoire emportant le risque de priver de toute efficacité la mission de contrôle confiée aux inspections.

En l’espèce, la Cour va retenir les deux infractions comme établies et retient les mêmes circonstances atténuantes que le premier juge. Pour la Cour, l’infraction est unique, même répétée sur les quelques jours d’occupation en cause, puisqu’il y avait une même unité d’intention. En outre, elle ne s’est pas répétée après l’enquête et le procès-verbal qui a été dressé. La Cour émende cependant le jugement, n’accordant que le sursis partiel vu la gravité de l’infraction et le sens à garder aux contrôles des services du SPF, pour des raisons d’efficacité. Un sursis partiel portant sur les deux tiers est dès lors admis.

Intérêt de la décision

La décision est très documentée, tant par le renvoi à la jurisprudence qu’à celui à la doctrine. L’arrêt rappelle que seule est à retenir la matérialité de l’infraction en cas de manquement réglementaire et reprend les règles concernant l’imputabilité de l’infraction à l’employeur. Il expose également l’étendue des pouvoirs du juge, pouvoirs identiques à ceux des services de contrôle et qui permettent, dès lors, de moduler la sanction, en accordant, dans le cadre d’un contrôle de pleine juridiction, le sursis total ou partiel.


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