Terralaboris asbl

Conditions de l’abus de droit en cas de licenciement

Commentaire de Trib. trav. Namur, 24 février 2009, R.G. 07/132.151/A

Mis en ligne le mercredi 23 décembre 2009


Tribunal du travail de Namur, 24 février 2009, R.G. n° 07/132.151/A

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un jugement du 24 février 2009, le tribunal du travail de Namur a rappelé les principes en la matière et a conclu à l’existence d’un abus, l’employeur ayant commis en l’espèce plusieurs fautes qui ont entraîné un dommage pour le travailleur, étant notamment la perte d’une chance de pouvoir conserver son emploi.

Les faits

Un employé, devenu responsable d’un point de vente d’une chaîne de magasins se voit licencié moyennant paiement d’une indemnité compensatoire, et ce après un échange de correspondance entre son conseil et la direction de la société, relatif à des difficultés internes au sein du magasin dont il est gérant (direction considérée par le personnel comme trop autoritaire, accusations diverses portées contre lui, …). Peu avant le licenciement, son conseil avait protesté contre les accusations proférées et avait, dans son courrier, demandé à l’employeur que la lettre lui adressée soit considérée comme plainte au sens de l’article 30 du règlement de travail réglant la protection contre la violence, le harcèlement moral et le harcèlement sexuel.

Après le licenciement, l’intéressé va solliciter sa réintégration au sein de la société dans le délai légal et cette réintégration sera refusée.

La procédure devant le tribunal

Une demande est introduite devant le tribunal du travail demandant la correction de l’indemnité compensatoire de préavis mais surtout l’indemnité de protection contre le licenciement visée par la loi du 11 juin 2002 (art. 32tredecies, §4) ou, à défaut de celle-ci, une somme équivalente en réparation de l’abus de droit commis lors du licenciement.

Sur la question de l’indemnité de protection, la Cour rappelle les dispositions pertinentes de la loi du 4 août 1996 qui fixent les modalités de dépôt de la plainte motivée : celle-ci doit être faite au sein de l’entreprise, auprès de la personne de confiance ou du conseiller en prévention interne ou externe ou en dehors de l’entreprise auprès de l’inspection médicale du travail ou par le biais d’une action en justice.

Le tribunal rappelle qu’il s’agit d’une disposition d’ordre public et que, la protection étant également dérogatoire au droit commun, le travailleur ne peut en bénéficier si les conditions légales ne sont pas remplies. Ceci est notamment le cas si l’employeur n’a pas installé au sein de l’entreprise les organes destinés à recevoir les plaintes, qu’il s’agisse de la personne de confiance ou du conseiller en prévention.

Si en l’occurrence le courrier de l’avocat est circonstancié et peut être considéré comme une plainte motivée pour harcèlement, sur base de la loi du 4 août 1996 - d’autant que la référence est faite à la disposition du règlement de travail qui a intégré les mesures en la matière - , le tribunal relève cependant que la disposition du règlement de travail n’est pas conforme à la loi dans la mesure où elle prévoit la possibilité de déposer plainte auprès du chef du personnel de l’entreprise. Ceci n’étant pas prévu dans la loi du 4 août 1996, il ne peut y être dérogé par règlement de travail. N’ayant pas été déposée conformément au cadre légal requis, la plainte n’entraîne dès lors pas de protection contre le licenciement.

Le tribunal va cependant examiner également la question sous l’angle de l’abus de droit, demande formulée titre subsidiaire.

Il rappelle les principes en la matière étant qu’aucune disposition n’existe en ce qui concerne l’abus de droit de licencier un employé dans la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. Il faut dès lors se référer aux principes dégagés par la doctrine et la jurisprudence, selon lesquels sont susceptibles d’entraîner un abus de droit (i) l’exercice du droit avec l’intention de nuire, (ii) l’exercice fautif (à savoir léger ou imprudent) du droit de licencier, (iii) le détournement de la finalité économique et sociale du licenciement et (iv) les circonstances entourant celui-ci. Dans ce mécanisme, l’existence de la faute, du dommage ainsi que du lien de causalité doit être établie par le travailleur. Il a donc la charge d’une triple preuve.

En ce qui concerne la faute, celle-ci doit être distincte du simple fait de ne pas avoir tenu compte des règles applicables en cas de résiliation d’un contrat de travail. La faute doit dès lors être distincte de la non observation de celle-ci (délai de préavis, indemnités, etc.). Il faut qu’il y ait un usage anormal du droit. Peut ainsi être visé l’exercice imprudent du droit de licencier vu les circonstances de l’espèce. La faute peut être légère. Est ainsi constitutif de faute le comportement de l’employeur qui, tout en licenciant régulièrement et sans intention malicieuse, crée un préjudice considérable au travailleur hors de proportion avec l’avantage recherché.

En outre, il faut un dommage matériel ou moral particulier distinct de celui qui est causé par le licenciement. Ceci découle du caractère forfaitaire de l’indemnité compensatoire de préavis, puisqu’elle indemnise tous les dommages, tant matériels que moraux.

Le tribunal rappelle également l’exigence de preuve en ce qui concerne le lien de causalité, l’ensemble de ces éléments devant être établi à suffisance de droit par le travailleur.

En l’espèce, l’abus de droit est retenu. Il y a à la fois la faute requise et un dommage distinct.

En ce qui concerne la faute, celle-ci est double étant d’une part que la société a négligé de désigner un conseiller en prévention spécialisé alors qu’elle y est légalement tenue depuis près de quatre ans à l’époque de faits et d’autre part qu’elle n’a pas instruit la plainte correctement en désignant une personne compétente pour ce faire (s’étant bornée à l’époque à proposer une mutation vers un autre magasin).

Pour le tribunal, le fait de ne pas mettre en place les structures destinées à recevoir les plaintes des travailleurs en matière de violence et de harcèlement - obligation qui existe depuis le 31 décembre 2002 - est une faute, qui consiste en le non respect par la société de ses obligations en vertu d’une loi d’ordre public dont la violation est sanctionnée pénalement.
Cette faute initiale aurait pu être corrigée en désignant, dès réception de la lettre de l’avocat contenant une plainte motivée et se référant au règlement de travail, les personnes visées par la loi, étant soit un conseiller en prévention spécialisé (même externe) soit une personne de confiance en vue d’instruire la plainte et éventuellement de concilier les intéressés. En ignorant la teneur de la plainte déposée il y a dans le chef de la société un comportement fautif également.

Sur le dommage, celui-ci consiste dans le fait pour l’employé-gérant d’une part d’avoir perdu une chance de pouvoir conserver son emploi au magasin où il était affecté et d’autre part d’avoir subi un dommage moral, étant le fait de ne pas avoir été correctement entendu alors que de graves et virulentes accusations étaient formulées contre lui.

L’indemnisation de cet abus de droit est de 3.500 €, montant donné par le tribunal ex aequo et bono.

Intérêt de la décision

C’est à la fois sur le plan de la procédure fixée dans la loi du 11 juin 2002 et sur celui de la théorie générale de l’abus de droit que ce jugement est intéressant.
Il rappelle le caractère d’ordre public du mécanisme prévu par la loi du 11 juin 2002 et, dès lors, l’interprétation restrictive qu’il convient de donner aux dispositions visées. Si cette obligation d’interpréter les mesures à prendre ne permet pas d’assurer en l’espèce au travailleur la protection légale, le tribunal examine, cependant, ce problème sous l’angle de l’abus de droit, ce qui avait été demandé par le travailleur.
Il rappelle avec force références les principes en la matière, étant d’une part les hypothèses les plus fréquentes d’abus au sens du droit civil et d’autre part l’exigence d’un préjudice distinct en toutes ses composantes de celui qui est censé réparé par l’indemnité compensatoire de préavis.

Enfin, il indemnise ex aequo et bono, sur la base d’une perte de chance et d’un dommage moral. La somme de 3.500 € allouée est, pour le tribunal, censée réparer adéquatement le préjudice subi. Ce dernier point n’étant, cependant, pas davantage explicité, la question reste posée de cette adéquation.


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