Terralaboris asbl

Abandon d’emploi convenable : pouvoirs du juge en ce qui concerne la sanction infligée

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 septembre 2009, R.G. 45.522

Mis en ligne le lundi 4 janvier 2010


Cour du travail de Bruxelles, 17 septembre 2009, R.G. n° 45.522

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 17 septembre 2009, la Cour du travail de Bruxelles rappelle de manière nuancée les principes en matière d’abandon d’emploi convenable pour motif légitime et, après avoir repris les règles en matière de contrôle judiciaire de la sanction appliquée par l’ONEm, en fait une appréciation très circonstanciée.

Les faits

Une infirmière occupée depuis près de treize ans dans une clinique universitaire présente sa démission. Les rétroactes font apparaître d’une part un certain mal-être dans son chef depuis plusieurs années (problèmes d’épanouissement professionnel) et d’autre part des reproches adressés par l’employeur sur son comportement professionnel. Quelques mois plus tard, l’intéressée réduit ses prestations de travail et ne fait plus qu’un mi-temps. Un an après, elle constitue une Asbl dont elle est la présidente statutaire. Elle effectue du travail bénévole pour celle-ci. Il s’agit d’une association ayant pour objet social de créer et de développer un centre d’évolution personnelle et de santé relationnelle. Quelques mois plus tard, elle donne son préavis, qui sera presté pendant trois mois. Sa lettre de démission fait apparaître une nouvelle fois des problèmes de frustration, de négation de sa souffrance en tant que soignante, le sentiment d’être traitée comme un objet, etc.

L’intéressée est convoquée ultérieurement pour une audition et est invitée par l’ONEm à se soumettre à un examen médical dans un délai d’un mois. À l’issue de celui-ci, une décision administrative est prise, constatant l’absence de motif légitime à l’abandon d’emploi et concluant, en conséquence, à une exclusion de dix semaines. La sanction est justifiée par le fait que la visite médicale à laquelle l’intéressée s’est soumise n’a pas fait apparaître l’existence de raisons médicales pouvant justifier l’abandon d’emploi. La sanction a également été calculée en fonction d’un passé professionnel de près de vingt ans.

La procédure

Le jugement du tribunal du travail de Bruxelles va confirmer en son principe le constat d’abandon d’emploi. Il va cependant substituer à la sanction d’exclusion de dix semaines une autre, étant un avertissement. La chômeuse est rétablie dans ses droits.

L’appel

L’ONEm interjette appel, à titre principal, sur l’absence de compétence des juridictions du travail pour appliquer un avertissement à la place du directeur du bureau de chômage. L’Office se fonde sur l’article 153, alinéa 4 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, disposition dont il estime qu’elle accorde au directeur du bureau de chômage un pouvoir discrétionnaire. Le juge ne peut pas décider, en conséquence, de l’application d’un avertissement à la place du directeur du bureau régional.

A titre subsidiaire, il considère que le comportement de la chômeuse ne permet pas l’octroi d’un avertissement et, à cet égard, fait grief au premier juge d’avoir procédé à des appréciations subjectives (considérations selon lesquelles le travail d’une infirmière au sein d’un service de cancérologie pour enfants doit être particulièrement éprouvant, éléments d’appréciation relatifs aux relations entre l’employeur et la demanderesse – éléments étrangers au litige dont le juge est saisi).

Il affirme par ailleurs avoir fixé la sanction en tenant compte de la circonstance que constitue le passé professionnel.

L’intimée fait valoir, pour sa part, que des éléments suffisants sont présents au dossier pour justifier sa démission (harcèlement moral ayant induit un épuisement psychologique et physique et justifiant l’impossibilité de supporter des horaires irréguliers et de nuit, pression constante, environnement psychologique très lourd). Elle demande en conséquence de réformer le jugement.

Position de la Cour

La Cour est amenée à se prononcer en premier lieu sur l’existence ou non d’un abandon d’emploi pour raison légitime. En vertu de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage (art. 51, § 1er, 1°), le travailleur qui est ou qui devient chômeur par suite de circonstances dépendant de sa volonté peut être exclu du bénéfice des allocations pendant quatre à cinquante-deux semaines. Cette disposition vise notamment l’abandon d’emploi convenable sans motif légitime. Le caractère convenable de l’emploi n’étant pas contesté, il y a lieu de vérifier s’il existait un motif légitime qui pût justifier l’abandon de celui-ci.

La Cour rappelle ici la jurisprudence de la Cour de cassation qui, en son arrêt du 20 novembre 2000 (Cass., 20 nov. 2000, S.990137/F), a considéré que le motif doit être établi par des éléments objectifs. Si le travailleur considère avoir été contraint à quitter son emploi pour motif de santé, il faut constater la réalité du motif. La croyance même légitime du travailleur que la poursuite du contrat était nocive pour sa santé n’est pas suffisante et ne peut constituer un tel motif légitime. La Cour relève, dans les faits, que la demanderesse n’a été en incapacité de travail que pendant une courte période et qu’elle ne l’était plus quand elle a donné sa démission. Elle n’établit donc pas qu’un problème de santé la rendait inapte pour l’exercice de son activité professionnelle. Par ailleurs, il ne ressort pas du dossier que des faits de harcèlement, de pressions en vue de démission existent. La Cour en conclut que la demanderesse n’établit pas l’existence d’un motif légitime justifiant sa démission.

En ce qui concerne la sanction, la Cour rappelle à l’ONEm que le juge est compétent pour remplacer par un avertissement une sanction administrative d’exclusion infligée par le directeur. Cette compétence gît dans l’article 580, 2° du Code judiciaire, selon lequel le tribunal du travail connaît des contestations relatives aux droits et obligations des travailleurs salariés résultant de la législation en matière de chômage. Conformément à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 mai 2004 (Cass., 10 mai 2004, S.020076/F), saisi d’une contestation de ce type, le juge exerce un contrôle de pleine juridiction sur la décision qui a été prise par le directeur du bureau de chômage. Tout ce qui relève du pouvoir d’appréciation du directeur est soumis au contrôle du juge dans le respect, cependant, des droits de défense et du cadre de l’instance tel que déterminé par les parties. Figure dans ce pouvoir de contrôle par le juge le choix de la sanction administrative.

Enfin, appréciant en l’espèce la sanction retenue par l’ONEm, la Cour va considérer qu’elle est adéquate, dans la mesure où les raisons médicales invoquées ne sont pas établies. La Cour va reprendre les conditions requises aux fins d’apprécier les conséquences à donner à l’abandon d’emploi. En effet, en vertu des articles 52bis et suivants de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, la sanction peut s’étendre sur une période de quatre à cinquante-deux semaines mais l’exclusion est facultative, le directeur pouvant se limiter à un avertissement (mesure non prise en compte en cas de récidive).

Il faut dès lors, pour la Cour, que le juge puisse apprécier l’ensemble des éléments propres à la cause. Ce qui a été retenu par le premier juge pour ramener la sanction à un simple avertissement est le caractère éprouvant de l’emploi abandonné ainsi que le fait que l’intéressée avait à cœur de remplir sa tâche. A ceci s’est ajouté le passé professionnel.

La Cour ne suit pas le tribunal, en ce qui concerne le caractère éprouvant de l’emploi abandonné. Celui-ci ne peut, comme elle le relève, justifier automatiquement et de manière générale que la sanction soit réduite à un simple avertissement. Le caractère éprouvant de l’emploi est un fait qui doit être apprécié dans l’ensemble des circonstances propres à la cause. La Cour reprend celles-ci, retenant l’ensemble des rétroactes ci-dessus et constate également que l’intéressée avait un autre projet d’activité, à laquelle elle a progressivement consacré davantage de temps. C’est l’élément qui sera retenu comme prépondérant, vu l’absence de raison médicale dûment établie et le manque de preuve en ce qui concerne les éléments relatifs au harcèlement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles présente un double intérêt : il rappelle que les raisons légitimes permettant de justifier un abandon d’emploi doivent être réelles et bien établies et que les cours et tribunaux sont compétents pour réapprécier la sanction à appliquer, en cas d’exclusion.


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