Terralaboris asbl

Inertie procédurale et abus de droit : quelle sanction ?

Commentaire de C. trav. Mons, 12 juin 2009, R.G. 21.122

Mis en ligne le mardi 26 janvier 2010


Cour du travail de Mons, 12 juin 2009, R.G. n° 21.122

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 12 juin 2009, la Cour du travail de Mons a confirmé un jugement du tribunal de Mons, ayant conclu à l’abus de droit dans le chef d’une caisse sociale, qui a négligé une procédure pendant près de 25 ans.

La procédure

Une caisse d’assurance sociale introduit une action judiciaire en vue du paiement de cotisations par citation du 22 décembre 1977. Il s’agit de cotisations relatives aux années 1967 à 1973.

Un jugement est rendu par le tribunal du travail de Mons le 14 juin 1982, pour un montant provisionnel. L’affaire ne bouge plus avant un courrier du 26 juin 2007, par lequel la caisse demande l’obtention d’un nouveau titre exécutoire, le jugement (par défaut) étant périmé.

Informé de la réactivation de la procédure, le défendeur forme opposition, le 11 septembre 2007, contre le jugement par défaut rendu 25 ans plus tôt.

Par jugement contradictoire du 25 février 2008, le tribunal du travail joint les causes et, mettant à néant le premier jugement, condamne l’intéressé au paiement d’environ 500€. Il réduit le taux des intérêts vu la faute de la Caisse.

L’appel

La Caisse interjette appel par acte déposé au greffe de la Cour du travail de Mons le 22 avril 2008.

Sur le fondement de l’appel, la Cour est saisie à la fois d’une question de prescription et d’un abus de droit lié à la négligence de la caisse.

Sur la prescription, la Cour reprend les textes en vigueur à l’époque et rappelle le mécanisme en matière de cotisations dans l’hypothèse d’un début d’activité : paiement d’une cotisation provisoire et régularisation ultérieure.

La Cour constate que ni la preuve du paiement des cotisations provisoires ni celle de l’envoi d’un avis de régularisation ne sont produits au dossier. Elle va dès lors appliquer l’article 16 de l’A.R. n° 38 du 27 juillet 1967, étant la règle de prescription de cinq ans à dater du 1er janvier qui suit l’année pour laquelle elles sont dues.

La Cour va donc confirmer le jugement sur les périodes visées par la prescription, eu égard au premier acte interruptif, qui consiste en la citation du 22 décembre 1977.

En ce qui concerne la sanction de l’abus de droit, vu que le procès n’a pas été mené avec diligence, la Cour relève que le tribunal a sanctionné celui-ci par la réduction de moitié du taux des intérêts moratoires jusqu’à la date du jugement.

La Cour considère, tout comme le tribunal, qu’il y a abus de droit et rappelle sa jurisprudence antérieure (jurisprudence abondante couvrant les années 2005 à 2007) selon laquelle, en cas de durée anormale de la procédure imputable à la partie demanderesse originaire, la seule sanction envisageable passe par le biais de la théorie de l’abus de droit, étant l’indemnisation de l’éventuel préjudice subi.

En l’espèce, la procédure ayant débuté en 1977 pour des cotisations déjà fort anciennes (remontant jusqu’en 1967), la Caisse a non seulement laissé périmer le jugement rendu par défaut en 1982 mais également a délaissé le dossier pendant 25 ans avant de solliciter une nouvelle fixation en vue d’obtenir un nouveau titre exécutoire.

Cette attitude abusive n’a pas manqué d’avoir des effets négatifs sur l’instruction du dossier (confusion dans les demandes, impossibilité de réunir les pièces, …).

La sanction de l’abus de droit ne peut toutefois pour la Cour être la déchéance du droit et elle reprend la jurisprudence de la Cour de cassation (voir notamment Cass., 8 février 2001, JC01281), selon laquelle la sanction consiste en la réduction du droit à son usage normal ou en la réparation du dommage que l’abus a causé.

La Cour va sur cette question réformer le jugement (qui a réduit le taux des intérêts de moitié) en considérant qu’il n’est pas plus justifié de sanctionner l’abus de droit par l’écartement pur et simple des intérêts moratoires dus sur les sommes réclamées ou la réduction du taux de l’intérêt, dès lors que ceux-ci sont prévus par la loi.

Elle considère cependant qu’il est légalement admissible de réduire la période de calcul des intérêts et que ceci ne viole pas le prescrit légal, qui n’en détermine que le principe et le point de départ. Elle renvoie ici également à sa jurisprudence (C. trav. Mons, 9 janv. 2009, RG 20.972). Pour la Cour, cette solution rencontre un deuxième objectif, étant de réparer le préjudice subi.

En conséquence, vu que l’inertie des procédures et des recouvrements est totalement imputable à la Caisse pour la période antérieure au 26 juin 2007 (date de la demande d’un nouveau titre exécutoire), la Cour décide de la suspension des intérêts pendant celle-ci.

Intérêt de la décision

La décision de la Cour du travail de Mons ci-dessus, qui n’est pas la première du genre, sanctionne l’inertie procédurale du demandeur par le recours à la théorie à l’abus de droit et, dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de cassation, rappelle que la sanction est la réduction du droit à son usage normal ou la réparation du dommage que l’abus a causé.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be