Terralaboris asbl

Valeur du témoignage sous serment et incidence de la déclaration patronale mentionnant plusieurs événements accidentels

Commentaire de C. trav. Mons, 19 janvier 2009, R.G. 19.931

Mis en ligne le mercredi 27 janvier 2010


Cour du travail de Mons, 19 janvier 2009, R.G. 19.931

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 19 janvier 2009, la Cour du travail de Mons est amenée à se prononcer sur la preuve des faits, dans un cas où la déclaration a été rédigée par l’employeur plusieurs mois après ceux-ci, où elle mentionnait plusieurs éléments accidentels et où l’incapacité n’a pris cours qu’ultérieurement. A cette occasion, la Cour rappelle divers principes (valeur probante des déclarations de la victime, valeur des témoignages sous serment, incidence de la déclaration patronale sur la cohérence des déclarations de la victime).

Les faits

Monsieur L., occupé comme éducateur, est victime d’un accident du travail en date du 9 juillet 2000 au cours d’un séjour professionnel à l’étranger. Il dû soulever et maîtriser une personne handicapée dont il avait la charge suite à crise de colère (engendrée par la douleur d’un furoncle à la cuisse). Il ressenti une violente douleur au dos mais poursuivit son travail pendant le séjour en question.

La déclaration d’accident ne fut rédigée par l’employeur qu’en novembre, indiquant comme occupation au moment de l’accident « soulever une personne H + tennis+ mannes à linge en sept. + effort le 16/10 ». Le même jour, il rédige une déclaration complémentaire, reprenant l’effort pendant le séjour mais aussi différentes plaintes en septembre et octobre 2000. Le certificat médical joint mentionne un accident survenu en date du 16 octobre, ayant entraîné des lombalgies intenses sur hernie et une incapacité à partir du 3 novembre 2000.

L’accident est refusé par l’entreprise d’assurances aux motifs de la pluralité d’événements, du caractère tardif de la déclaration et de l’existence d’un état antérieur.

L’intéressé introduisit une procédure à l’encontre de cette décision. Dans le cadre de celle-ci, l’événement soudain épinglé est l’effort réalisé pour maîtriser la personne handicapée en crise lors du séjour professionnel Le Tribunal saisi de cette demande ordonna une enquête, portant sur ces faits.

La décision du tribunal

Au vu des résultats de l’enquête, le Tribunal estima que la preuve des faits est rapportée. Il désigna en conséquence un médecin expert pour l’éclairer sur les conséquences de l’accident. La mission d’expertise invite l’expert à dire si les lésions subies sont la suite du fait accidentel ou si elles résultent d’un état antérieur.

La position des parties en appel

L’entreprise d’assurances interjeta appel du jugement, contestant que la preuve des faits soit rapportée. Elle se fonde sur la multiplicité des événements soudains résultant des déclarations de l’intéressé, de même que de l’absence de preuve des faits du 9 juillet. A cet égard, elle relève qu’il n’y a pas eu de consultation médicale, qu’aucun document officiel n’a été établi et que le seul témoin est une collègue, dont le témoignage ne serait pas objectif vu l’existence de liens avec l’intéressé (sœur du meilleur ami). Son témoignage sous serment dans le cadre des enquêtes est également contesté, du fait de contradictions avec le témoignage écrit réalisé antérieurement. Elle se fonde encore sur le caractère tardif de la déclaration.

L’intéressé souligne quant à lui épingler un fait précis (effort pour maîtriser et soulever la personne handicapée en juillet), tandis que les autres éléments relatés ne sont que des circonstances ultérieures, témoignant de l’accroissement progressif de la douleur. Il estime l’événement soudain établi et conteste toute déclaration tardive, vu qu’il a signalé les faits pendant le stage, lors d’une visite de la responsable, laquelle a reconnu la chose pendant les enquêtes. Il souligne par ailleurs qu’il a dû avoir recours à des séances de kinésithérapie pendant le séjour professionnel. Il conteste enfin tout état antérieur.

La décision de la Cour

Le litige portant sur la preuve des faits, la Cour commence par rappeler les principes applicables, à savoir notamment que

  • si la déclaration de la victime ne suffit pas, elle peut être retenue si elle s’inscrit dans un ensemble de faits cohérents et concordants,
  • si un événement décrit de manière différente doit inciter à la prudence, il n’en va de pas même lorsque les déclarations n’émanent pas de la victime et sont contenues dans la déclaration patronale d’accident du travail, que la victime peut corriger et compléter, d’autant que la déclaration ne doit pas nécessairement être complète.

En l’espèce, il appartient à la victime de prouver un élément précis, déterminé dans le temps et dans l’espace et distinct de la lésion. La Cour relève que l’intéressé a toujours, dans le cadre de la procédure, invoqué le même fait (effort pour soulever et maîtriser la personne handicapée en crise). Il ne peut être question de multiplicité de faits, surtout que celle-ci résulte en réalité des déclarations patronales, qui ne sont pas le fait de l’intéressé.

Quant à la preuve du fait, la Cour retient le témoignage sous serment d’une collègue, présente pendant le camp et qui a été témoin direct. Elle rappelle à cet égard que la force probante des témoignages est laissée à l’appréciation du Juge, qui peut estimer sa conviction formée sur une seule des dépositions, même en cas de contradiction. La Cour relève encore que le témoignage sous serment est superposable au témoignage écrit et que l’entreprise d’assurances ne prouve pas les indices de collusion évoqués. A ce sujet, la Cour signale d’ailleurs que celle-ci n’a pas fait usage des moyens juridiques existants pour dénoncer la collusion, à supposer celle-ci existante. Le seul risque ne suffit pas à faire perdre au témoignage sa crédibilité.

La Cour retient donc l’existence du fait allégué. Elle précise encore qu’il importe peu qu’il présente ou non un caractère normal ou que la lésion soit apparue (ou ait été diagnostiquée) ultérieurement, et ce dès lors que l’événement a pu causer la lésion.

Elle confirme ainsi le jugement mais estime nécessaire de modifier la mission, qui invite désormais l’expert non pas à dire s’il y a un lien causal mais à se prononcer sur l’absence de celui-ci, dans le respect de la présomption légale d’imputabilité.

Intérêt de la décision

Cet arrêt illustre les principes énoncés quant au caractère cohérent de la déclaration de la victime au regard des faits du dossier. En l’espèce, la consultation médicale « tardive » s’explique par l’apparition progressive du caractère invalidant de la douleur, laquelle explique aussi la multiplicité des faits déclarés par l’employeur, dont la déclaration ne peut cependant être opposée telle quelle au travailleur.
L’arrêt est également intéressant en ce qu’il corrige la mission d’expertise, de manière à inviter l’expert à former son raisonnement en partant de la présomption de causalité.


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