Terralaboris asbl

Autorité de la chose jugée d’un jugement correctionnel reconnaissant l’existence d’un contrat de travail (oui) et nécessité d’une question préjudicielle (non)

Commentaire de C. trav. Mons, 19 octobre 2009, R.G. 20.432

Mis en ligne le mardi 23 février 2010


Cour du Travail de Mons, 19 octobre 2009, R.G. 20.432

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 19 octobre 2009, la Cour du travail de Mons est amenée à statuer sur l’autorité de chose jugée à accorder à un jugement correctionnel qui se prononce sur l’existence d’un contrat de travail liant la victime à l’employeur, alors que l’accident est survenu pendant une occupation « au noir ». Elle est ainsi amenée à tracer les limites de l’intervention du juge pénal en la matière. Vu la situation frauduleuse, la Cour se prononce également sur l’application de l’adage « Fraus omnia corrumpit ».

Les faits

Monsieur B. était occupé dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée avec une sprl A. Dans le cadre de cette occupation, il subit une période d’incapacité de travail et était indemnisé par son organisme assureur (mutuelle) depuis octobre 1997.

En décembre 1997, alors qu’il était toujours couvert par les indemnités d’incapacité de travail, il accomplit un travail pour le compte d’une asbl A. (travaux d’électricité dans un bâtiment). Le 10 décembre 1997, alors qu’il accomplissait lesdits travaux, il chuta à travers la trappe d’un grenier, événement entrainant un polytraumatisme important.

Le lendemain de l’accident, l’asbl A. adressa à son assureur-loi une déclaration d’accident du travail. L’entreprise d’assurances sollicita la communication d’un contrat de travail et, dans ce cadre, l’employeur fit parvenir un contrat de travail à durée déterminée daté du 8 décembre et couvrant les journées des 8, 9 et 10 décembre 1997.

Suite à une enquête diligentée par les services d’inspection de l’entreprise d’assurances, il apparut que l’intéressé bénéficiait, pendant la période couverte par le contrat de travail, des indemnités mutuelle tandis que le contrat de travail à durée déterminée aurait été antidaté et qu’il fut signé postérieurement à l’accident par la compagne de la victime.

Eu égard à ces éléments, l’accident fut refusé tandis que l’entreprise d’assurances dénonça les faits au Parquet du Procureur du Roi. Celui-ci renvoya la victime, sa compagne, le gérant de l’asbl et celle-ci devant le tribunal correctionnel, pour faux, usage de faux et escroquerie, de même que le gérant de l’asbl (mandataire de l’employeur) pour des préventions relatives à la tenue des documents sociaux et à l’absence de déclaration ONSS.

Le tribunal correctionnel rendit le 11 juin 2002 un jugement, acquittant le gérant et la compagne de la victime des préventions de faux, d’usage de faux et d’escroquerie. Le gérant fut cependant reconnu coupable des infractions relatives à la tenue des documents sociaux et aux obligations de déclaration ONSS tandis que la victime fut reconnue coupable d’avoir fourni des renseignements inexacts à sa mutuelle et d’avoir conservé des allocations ou indemnités auxquelles elle n’avait pas droit.

L’entreprise d’assurances était partie à cette procédure, s’étant constituée partie civile à l’encontre des personnes intéressées. Vu les acquittements, le tribunal correctionnel se déclara incompétent pour connaître de la constitution des intérêts civils.

Le tribunal correctionnel estima qu’il y avait effectivement une relation de travail subordonnée entre Monsieur B. et l’asbl, occupation n’excluant pas l’intervention de l’entreprise d’assurances, nonobstant le caractère « frauduleux » du travail accompli. Le tribunal correctionnel constatera par ailleurs que, si le contrat antidaté constitue un faux, il n’est nullement préjudiciable à l’entreprise d’assurances, dès lors que celle-ci n’a subi aucun préjudice (puisqu’elle devait en tout état de cause intervenir).

Dans l’intervalle, Monsieur B a assigné l’entreprise d’assurances devant le tribunal du travail de manière à faire reconnaître les faits comme constitutifs d’un accident du travail et à obtenir les indemnités légales. Dans le cadre de cette procédure, l’organisme assureur (mutuelle) fit une intervention volontaire, réclamant à l’entreprise d’assurances les débours exposés du fait de l’accident du travail.

La décision du tribunal

Le tribunal du travail estima ne pas être tenu par le jugement prononcé par le tribunal correctionnel, estimant que l’application de la loi du 10 avril 1971 ne relève que de la compétence du tribunal du travail. Nonobstant cette circonstance, le tribunal du travail reconnut, à l’instar du tribunal correctionnel, l’existence d’un contrat de travail entre Monsieur B. et l’asbl. Dès lors qu’il y a eu travail exécuté dans le cadre d’un lien de subordination et que c’est dans le cadre de celui-ci qu’est survenu l’accident, l’entreprise d’assurances devait intervenir. Sur la base de cette considération, le caractère frauduleux de l’occupation pour le compte de l’asbl est indifférent. L’existence d’un accident du travail ayant été reconnue, le tribunal condamna l’entreprise d’assurances aux indemnités légales et aux frais médicaux, à concurrence de 1 € provisionnel. Il accueillit par ailleurs la demande de la mutuelle.

La position des parties devant la Cour

L’entreprise d’assurances interjeta appel du jugement. Elle fit valoir l’inexistence du contrat de travail, arguant que les travaux accomplis par l’intéressé pour le compte de l’asbl l’étaient dans le cadre d’une relation indépendante. Selon elle, le contrat de travail à durée déterminée signé n’avait pour but que d’entrainer son intervention. La demande ne pouvait dès lors être satisfaite en application du principe général de droit « Fraus omnia corrumpit ».

Par ailleurs, l’entreprise d’assurances arguait que Monsieur B. n’avait aucun intérêt légitime - c’est-à-dire compatible avec l’ordre public et les bonnes mœurs - à l’action entreprise, dès lors que l’accident était survenu pendant une occupation « frauduleuse ». Selon elle, l’activité au service de l’asbl serait illégale, l’intéressé étant déjà lié par un contrat de travail auprès d’un autre employeur tandis qu’il était indemnisé, pendant la période de travail, par son organisme assureur.

Elle contestait par ailleurs au jugement du tribunal correctionnel toute autorité de chose jugée, position contredite par Monsieur B., qui soutenait que ce jugement devait être revêtu de l’autorité de chose jugée absolue en ce qu’il avait reconnu l’existence du contrat de travail.

La décision de la Cour

La Cour du travail commence par examiner l’autorité de chose jugée qu’il convient d’accorder à la décision rendue par le tribunal correctionnel. Elle rappelle ainsi que, en principe, le juge pénal est compétent pour statuer sur les questions incidentes relevant des autres branches du droit si elles sont soulevées dans le cadre du procès pénal (article 15 du titre préliminaire du code de procédure pénale). Elle relève par ailleurs que cette règle est établie, sauf les exceptions visées par la loi, parmi lesquelles figure l’article 74, alinéa 2, de la loi du 10 avril 1971, qui dispose que les questions que peuvent se poser les juridictions répressives au sujet de l’interprétation de la loi sur les accidents du travail doivent être tranchées par les juridictions du travail, sur la base d’un mécanisme de renvoi préjudiciel.

Après avoir examiné les fondements du renvoi préjudiciel organisé par la loi, la Cour du travail relève que le juge répressif n’a nullement été amené à trancher une question relative à l’interprétation de la loi du 10 avril 1971. Il s’est en réalité prononcé sur l’existence d’un contrat de travail entre la victime et l’asbl A, reconnaissant que les prestations effectuées par Monsieur B. l’étaient dans le cadre d’un lien de subordination, c’est-à-dire dans le cadre d’un contrat de travail. C’est ainsi que l’employeur a été condamné pour infraction à la réglementation sociale et que des condamnations d’office aux cotisations de sécurité sociale ont été prononcées en faveur de l’ONSS.

En statuant sur l’existence d’un contrat de travail, soutien nécessaire à la condamnation du mandataire de l’asbl pour les infractions sociales, le tribunal correctionnel n’a pas outrepassé ses pouvoirs et n’a pas empiété sur les compétences dévolues aux juridictions du travail quant à l’interprétation de la loi sur les accidents du travail. La Cour du travail estime en conséquence que la juridiction répressive n’avait pas à poser de question préjudicielle. Par contre, le jugement, en ce qu’il a statué sur l’existence d’un contrat de travail, doit être revêtu de l’autorité de chose jugée erga omnes, qui s’impose donc tant à l’entreprise d’assurances (qui était partie au procès) qu’à la Cour.

Celle-ci relève encore qu’il ressort du jugement du tribunal correctionnel que l’occupation de Monsieur B. entrainait pour l’employeur l’obligation de se conformer aux prescriptions de la loi du 27 juin 1969 concernant la sécurité sociale des travailleurs salariés. L’assujettissement ayant été définitivement tranché par ledit jugement, la Cour relève que le débat relatif à l’existence d’un contrat de travail ne peut plus se tenir devant elle.

Elle examine ensuite l’argument avancé par l’entreprise d’assurances, concernant l’existence d’un intérêt légitime dans le chef de Monsieur B. à l’action introduite devant les juridictions du travail. Elle rappelle à cet égard le contenu de l’article 17 du code judicaire, ainsi que son interprétation doctrinale. C’est l’occupation, dans le cadre de la relation subordonnée, qui entraine la débition des indemnités et il ne peut être soutenu que, en effectuant le travail, l’intéressé avait la volonté de se faire attribuer des indemnités prévues par la loi sur les accidents du travail.

Vu la réunion des éléments constitutifs de l’accident du travail le jugement doit être confirmé en ce qu’il a condamné l’entreprise d’assurances à verser la somme provisionnelle de 1 € au titre d’indemnités et de frais médicaux.

Concernant la demande de l’organisme assureur, la Cour relève que l’affaire n’est pas en état, dès lors que les éléments du dossier ne permettent pas de distinguer les indemnités servies en raison de l’affection antérieure à l’accident du travail du 10 décembre 1997 et celles découlant des lésions dudit accident.

Intérêt de la décision

La décision commentée contient un important rappel des principes sur la question des pouvoirs des juridictions répressives dans les litiges ayant trait à un accident du travail ainsi que quant à l’autorité de chose jugée qu’il convient de réserver aux décisions rendues par les juridictions répressives. En l’espèce, la Cour retient à juste titre que, lorsque la juridiction répressive s’est prononcée sur l’existence du contrat de travail, elle ne s’est pas prononcée sur l’interprétation de la loi du 10 avril 1971, de sorte que ce qui a été définitivement jugé au pénal s’impose aux juridictions civiles appelées à trancher la contestation entre la victime et l’entreprise d’assurances.

L’arrêt confirme par ailleurs l’applicabilité de la loi du 10 avril 1971 aux accidents survenant dans le cadre de relations de travail irrégulières, c’est-à-dire non déclarées (en l’espèce un travail effectué pendant une période d’incapacité de travail couverte par des indemnités allouées par la Mutuelle).


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be