Terralaboris asbl

Complément d’ancienneté non payé et faute de l’ONEm

Commentaire de C. trav. Mons, 1er avril 2009, R.G. 20.491

Mis en ligne le mardi 23 février 2010


Cour du travail de Mons, 1er avril 2009, R.G. 20.491

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 1er avril 2009, la Cour du travail de Mons a été amenée à statuer sur les responsabilités respectives de l’organisme de paiement et de l’O.N.Em quant à l’absence d’octroi d’un complément d’ancienneté à un chômeur qui pouvait en bénéficier (les données du formulaire C1 pouvaient donner à penser qu’il remplissait effectivement les conditions). La Cour se prononce également sur la possibilité pour l’O.N.Em. de revoir une décision de revision.

Les faits

Monsieur R. sollicite le bénéfice des allocations de chômage en date du 3 juin 1996. Dans le cadre de sa demande, il complète un formulaire C1, lequel indique sa date de naissance (1940). A la question relative au début de son passé professionnel, il indique un passé à partir de 1965.

Il obtient les allocations de chômage, sans complément d’ancienneté, quoiqu’ayant plus de 50 ans et ayant indiqué un passé professionnel depuis 1965, laissant supposer un passé de plus de 20 ans. En octobre 2001, constatant une diminution non négligeable du montant de ses allocations, il interpelle tant son organisme de paiement (la C.A.P.A.C.) que l’ONEm.

A cette occasion, un réexamen de son dossier est accompli et il apparait qu’il pouvait bénéficier, depuis le 3 juin 1997, du complément d’ancienneté visé à l’article 126 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

L’O.N.Em prend alors une première décison de revision, consacrée par la carte de paiement adressée à l’organisme de paiement, accordant le complément d’ancienneté à partir du 3 juin 1997. Constatant ultérieurement qu’une partie des allocations accordées par la décision de revision est couverte par la prescription, l’O.N.Em revoit la décision de revision elle-même, et ce en date du 8 janvier 2002. Appliquant le délai de prescription triennal, le complément d’ancienneté est octroyé à partir du 1er octobre 1998.

Il résulte de l’arrêt que l’O.N.Em s’est fondé, pour ce qui est de la première décison de revision (octroi dans les allocations au 3 juin 19997) sur l’article 149, § 1er de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. Il apparaît ainsi que le bureau de chômage avait considéré que l’absence d’octroi des allocations résultait d’une erreur de celui-ci. La décision révisant la première décision de revision est fondée quant à elle sur l’article 149, § 2 de l’arrêté royal, soit sur l’existence d’éléments nouveaux, qui n’étaient pas connus ou susceptibles d’être connus par le directeur du bureau de chômage.

Quoi qu’il en soit, Monsieur R. n’a pas obtenu le complément d’ancienneté entre le 3 juin 1997 et le 30 septembre 1998. Il introduit en conséquence une procédure devant le tribunal du travail, mettant en cause la responsabilité conjointe de l’O.N.Em et de la C.A.P.A.C. et sollicite la condamnation des deux organismes au paiement des sommes non versées, à majorer des intérêts moratoires.

La décision du tribunal

Pour le tribunal, c’est à bon droit que l’O.N.Em a appliqué la règle de prescription quant au complément d’ancienneté dû et n’a dès lors autorisé le paiement qu’à partir du 1er octobre 1998. Le tribunal considère cependant que l’O.N.Em a commis une faute en n’octroyant pas le complément d’ancienneté à partir du moment où il était dû (juin 1997), faute résultant d’un manque d’information à l’égard de Monsieur R. et d’un manque d’instruction ou d’une instruction erronée à l’égard de la caisse de paiement. En conséquence directe de cette faute, Monsieur R. a perdu, du fait de la prescription, le droit au complément pour la période 1997-1998. Le tribunal alloue en conséquence des dommages et intérêts équivalents au complément d’allocations de chômage auxquelles il aurait pu prétendre pour la période non indemnisée. Seule la responsabilité de l’O.N.Em est ainsi retenue.

La position des parties devant la Cour

L’O.N.Em interjeta appel du jugement, estimant que la responsabilité quant à l’absence d’octroi du complément d’ancienneté est exclusivement imputable à l’organisme de paiement, qui aurait dû informer l’intéressé sur ses droits en matière de complément d’ancienneté et l’inviter à compléter le dossier de manière à établir l’existence d’un passé professionnel de 20 ans. Pour l’O.N.Em, le dossier transmis au moment de la demande était complet dès lors qu’il comportait tous les documents requis par la réglementation et qui lui permettaient de statuer sur l’admission de l’intéressé au bénéfice des allocations de chômage.

Cet argument est battu en brèche par l’organisme de paiement qui souligne que, au moment de l’octroi des allocations de chômage (demande), la carte d’autorisation de paiement adressée par l’O.N.Em faisait état d’un code « P », indiquant que le passé professionnel avait été calculé par l’O.N.Em et qu’il n’atteignait pas 20 ans. Par l’inscription de ce code, la C.A.P.A.C. n’était pas en mesure d’exercer son devoir d’information ou de conseil, dès lors que l’O.N.Em avait indiqué, par ledit code, avoir vérifié le passé professionnel.

Dans le cadre de l’appel, l’O.N.Em soulevait par ailleurs l’argument de prescription, exposant que Monsieur R. ne pouvait obtenir les allocations de chômage prescrites par le biais d’un autre fondement, à savoir la responsabilité de l’O.N.Em sur la base de l’article 1382 du Code civil. Selon lui, admettre pareil raisonnement reviendrait à contourner les règles de prescription.

La décision de la Cour

La Cour du travail commence par examiner la licéité de la succession de décisions de revision telles qu’elles se présentent dans le cadre du dossier. L’O.N.Em a en effet pris une première décision de revision, fondée sur une erreur de sa part et octroyant le complément d’ancienneté à la date à laquelle il était dû. Il a ensuite pris une décision revisant cette première décision de revision, décision fondée sur une autre disposition (éléments nouveaux communiqués au Directeur du bureau de chômage) et appliquant la règle de prescription triennale. La Cour considère que l’article 179 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 ne prohibe pas une telle succession de décisions, le bureau de chômage pouvant revoir le droit aux allocations à chaque fois qu’est rencontrée l’une des hypothèses visées par cette disposition. Selon la Cour, une décision de revision peut donc faire elle-même l’objet d’une nouvelle revision.

La Cour examine ensuite l’existence d’une faute dans le chef de l’O.N.Em ou de la C.A.P.A.C. quant à l’octroi du complément d’ancienneté. La réglementation prescrit l’introduction d’un dossier de demande d’allocations contenant, outre la demande, l’ensemble des éléments nécessaires au Directeur du bureau de chômage pour statuer sur le droit aux allocations et fixer le montant de celles-ci. Le dossier doit donc contenir, outre le formulaire C4, l’ensemble des documents nécessaires pour statuer à la fois sur le droit et sur le montant des allocations.

Pour la Cour, les documents et formulaires en question doivent être adressés par l’O.N.Em et appartient à celui-ci de vérifier que ces formulaires identifient l’ensemble des questions utiles pour exercer la mission confiée à l’O.N.Em. Contrairement à la thèse développée par celui-ci, ce n’est pas au chômeur de fournir spontanément les documents prouvant qu’il réunit les conditions mais à l’O.N.Em de s’organiser pour que ceux-ci soient communiqués.

En l’espèce, la Cour relève que le formulaire C1 demande uniquement au chômeur la date de début de l’activité salariée ou indépendante, soit une demande insuffisante pour déterminer le passé professionnel de l’intéressé. Or, devant fixer le montant des allocations, en ce compris les éventuels suppléments, l’O.N.Em a l’obligation de récolter lui-même les renseignements nécessaires. Cette obligation n’est pas écartée par celle imposée aux organismes de paiement en matière d’information du chômeur.

La Cour relève que Monsieur R. a complété les documents, faisant état d’un passé professionnel important et qu’aucune demande d’information complémentaire ne lui a été adressée. Aucune faute ne peut dès lors lui être reprochée. Quant à l’organisme de paiement, ayant reçu la carte d’allocation C2 comportant un code « P », il ne pouvait que supposer que l’O.N.Em avait vérifié le passé professionnel (si celui-ci n’avait pas été calculé, le code aurait été « OP »).

Selon la Cour, l’O.N.Em aurait dû en application de l’article 93 de l’Arrêté Ministériel du 26 novembre 1991 renvoyer, suite la réception du C1, le dossier à la C.A.P.A.C. accompagné d’un formulaire C51 pointant les renseignements complémentaires nécessaires.

Faute d’avoir rédigé correctement ces formulaires et d’avoir transmis les instructions nécessaires à l’organisme de paiement, l’O.N.Em a commis une faute engageant sa responsabilité, faute qui n’est pas excusée par les obligations de renseignements propres à l’organisme de paiement. Pour la Cour, c’est l’O.N.Em seul qui a commis une faute dans la gestion du dossier de l’intéressé, à savoir un manque d’information à l’égard de Monsieur R. et un manque d’instruction ou une information erronée (inscription du code « P ») à la C.A.P.A.C.

Enfin, statuant sur l’argument de l’O.N.Em selon lequel l’existence de la prescription constituerait une cause interrompant le lien causal entre la faute et le dommage de l’intéressé, la Cour rejette l’argument. Elle souligne que la prescription ne peut faire obstacle à l’indemnisation complète du dommage, les règles de prescription ne dérogeant pas au principe de la réparation intégrale prévue par les articles 1382 et 1383 du Code civil. La Cour relève encore que c’est parce que la prescription doit être appliquée que le dommage de l’intéressé est né. Celle-ci ne peut donc éluder la responsabilité de l’O.N.Em.

Intérêt de la décision

L’intérêt premier de la décision consiste dans l’appréciation des obligations pesant sur l’O.N.Em quant à l’instruction des dossiers. La Cour estime qu’il appartient à l’O.N.Em d’établir les formulaires de manière telle que l’ensemble des renseignements nécessaires pour l’appréciation de la demande d’indemnisation soit mis à sa disposition. L’arrêt confirme par ailleurs que, si la responsabilité de l’O.N.Em peut être mise en cause dans la non attribution d’allocations ou de compléments aux allocations (lesquels ne peuvent être servis suite à l’application de la règle de prescription), l’O.N.Em engage sa responsabilité et peut être tenu au paiement de dommages et intérêts.

Signalons encore qu’un pourvoi en cassation a été introduit à l’encontre de l’arrêt en date du 1er juillet 2009.


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