Terralaboris asbl

Absence de retenues de sécurité sociale et admissibilité (travailleur domestique au service d’un agent diplomatique) : la réglementation n’impose pas que la plainte soit préalable à la demande d’allocations

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 mars 2007, R.G. 47.239

Mis en ligne le vendredi 28 décembre 2007


Cour du travail de Bruxelles, 22 mars 2007, R.G. 47.239

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

La Cour du travail de Bruxelles, saisie d’une contestation quant à l’admissibilité aux allocations de chômage d’une domestique privée ayant presté pour un agent diplomatique sans que les retenues de sécurité sociale ne soient effectuées (et l’occupation déclarée) reconnaît que les périodes de travail doivent être prises en compte. Elle se fonde sur une lecture stricte de la réglementation et sur l’absence de collusion entre l’intéressée et l’employeur.

Les faits

Mme E. H., de nationalité marocaine, est engagée par un sieur Y., agent diplomatique (OTAN), auquel s’appliquent les privilèges et immunités du personnel diplomatique de la Convention de Vienne du 18 avril 1961.

Elle est engagée en Turquie (pour des prestations en Belgique) en qualité de domestique privée, à concurrence de 20 heures/semaine, à dater du 1er novembre 1999. Elle est logée et nourrie au domicile de l’employeur. Ses prestations ne sont pas déclarées auprès de l’ONSS et aucune retenue de sécurité sociale n’est opérée.

Le contrat prend fin le 3 décembre 2001. Aucun C4 n’est délivré.

A la suite de cette rupture, elle demande le bénéfice des allocations de chômage (travailleur à temps partiel volontaire) en date du 2 janvier 2002, mentionnant qu’elle n’a pas pu obtenir le formulaire C4.

Par lettre recommandée du 23 janvier 2002, elle demande à son employeur la régularisation de la situation, ayant été informée (par le biais d’une affiliation auprès d’une organisation syndicale) de ses droits. Elle dépose également plainte.

Après enquête, l’ONEm lui notifie, en date du 26 novembre 2003, une décision de refus d’admission aux allocations de chômage, au motif de l’absence de journées de travail suffisantes. L’ONEm se fonde sur l’absence des retenues réglementaires sur la rémunération perçue.

Contestant cette décision, Mme E.H. introduit un recours, en date du 20 février 2004. Le Tribunal du travail lui donne gain de cause.

Les positions des parties

L’ONEm sollicite, devant la Cour, la réformation du jugement, estimant que, vu l’absence de retenues de sécurité sociale, les journées de travail ne peuvent être prises en compte pour le calcul du stage de travail. Il conteste ainsi que l’intéressée puisse revendiquer l’application de l’article 16 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991, qui précise les conditions dans lesquelles le chômeur peut faire valoir les journées de travail alors que l’on n’a pas procédé aux retenues, à savoir que les prestations ont été effectuées dans une profession ou une entreprise assujetties à la sécurité sociale, secteur chômage, et que le travailleur s’est plaint de cette absence de retenues auprès des services compétents ou auprès de l’employeur par envoi recommandé.

L’ONEm estime que la seconde condition n’est pas remplie, dans la mesure où la plainte a été formée après la demande d’allocations de chômage. Il soutient également qu’admettre le contraire reviendrait à faciliter la collusion entre travailleur et employeur.

La décision de la Cour

La Cour, examinant le premier argument soulevé (étant que la plainte doit être préalable à la demande d’allocations), le rejette, précisant que le texte réglementaire, d’ordre public, ne prévoit pas la condition telle qu’énoncée par l’ONEm. Il faut qu’une plainte (ou une réclamation) ait été formulée, peu importe le moment de celle-ci (avant ou après la demande d’allocations), le texte légal n’exigeant pas que la plainte soit préalable.

Elle retient également que l’ONEm ne peut opposer à l’intéressée une circulaire administrative, dès lors que celle-ci ajoute une condition qui ne figure pas dans la réglementation. Si l’ONEm estime qu’il s’agit d’une condition justifiée, il doit veiller à la modification de la réglementation mais ne peut l’appliquer, faute de base réglementaire.

Quant au risque de collusion (deuxième argument de l’ONEm), la Cour l’écarte sur la base d’une part de la lecture du texte incriminé, qui est clair et ne nécessite pas d’interprétation. Elle précise par ailleurs que, pendant l’exécution du contrat, le travailleur « peut se trouver dans un état de contrainte l’empêchant de porter plainte ».

D’autre part, elle se fonde sur les données de fait spécifiques de l’espèce, qui permet d’écarter toute collusion.

Après un rappel pertinent des principes régissant les immunités et privilèges diplomatiques tels que fixés par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, qui conduit à conclure que l’intéressée devait bénéficier soit du régime de sécurité sociale belge, soit d’un régime équivalent, la Cour estime qu’il apparaît logique que, informée de l’étendue de ses droits en janvier 2002 par l’organisation syndicale à laquelle elle venait de s’affilier, l’intéressée n’ait porté plainte qu’à ce moment. Elle relève par ailleurs que la non régularisation ne lui est pas imputable mais est due à l’employeur, qui se retranche derrière son statut de diplomate. La Cour retient qu’il semble cependant non conscient de ses obligations au regard de la réglementation belge.

En conséquence, dans la mesure où les deux conditions de l’article 16 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 sont remplies, les prestations de travail de Mme E.H. doivent être comptabilisées, aucun texte n’exigeant que la plainte soit préalable à la demande, d’autant qu’aucune collusion ne peut être constatée.

Intérêt de la décision

La réglementation (art. 37, A.R. 25.11.1991) ne permet de tenir compte, pour le calcul du stage de travail (condition d’admissibilité), des journées de travail dès lors que les rémunérations correspondantes n’ont pas fait l’objet de retenues de sécurité sociale, pour le secteur chômage. Dans ce cas de figure, le travailleur est cependant présumé satisfaire à cette exigence dès lors que les conditions fixées par le Ministre sont remplies. L’article 16 de l’arrêté ministériel exécute cette disposition, prévoyant deux conditions, dont celle d’avoir contesté la carence de l’employeur (par le biais d’une plainte auprès des services compétents ou une réclamation adressée à l’employeur par recommandé).

L’intérêt principal de l’arrêt est de constater qu’aucune règle n’impose que la plainte, condition pour l’assimilation, soit préalable à la demande d’allocations, l’exigence de l’ONEm a cet égard étant extralégale et ne pouvant trouver de fondement dans une circulaire.

Notons par ailleurs que la Cour relève – enseignement qui peut être transposé à d’autres matières - que, pendant l’exécution du contrat, le travailleur « peut se trouver dans un état de contrainte l’empêchant de porter plainte ».

Documents joints :


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be