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Assimilation des journées de chômage économique pour le calcul du pécule de vacances : appréciation du caractère structurel du chômage

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 janvier 2010, R.G. 2008/AB/51.297

Mis en ligne le mardi 30 mars 2010


Cour du travail de Bruxelles, 21 janvier 2010, R.G. 2008/AB/51.297

A.S.B.L. TERRA LABORIS – Alain VERMOTE

Dans un arrêt du 21 janvier 2010, la Cour du travail de Bruxelles est saisie de la question de l’assimilation de périodes de chômage économique pour le pécule de vacances, sous le régime de la nouvelle réglementation, conférant à l’ONVA et aux Caisses de vacances un pouvoir de contrôle quant à la réalité du chômage économique. En l’espèce, le Tribunal retient que le chômage est structurel au sens de la nouvelle disposition légale, de sorte que l’assimilation est refusée.

Les faits

Monsieur A. est occupé par une entreprise active dans le secteur de la construction. Depuis quelques années, son employeur recourt régulièrement à l’article 51 de la loi du 3 juillet 1978, suspendant ainsi son contrat de travail pour manque de travail pour raisons économiques.

Pendant ces journées, l’intéressé est indemnisé par l’ONEm.

Au cours de l’année 2005, Monsieur A. est mis en chômage économique pendant 148 jours (pour 80 jours de travail effectif).

A l’époque du versement du pécule de vacances afférent à l’exercice 2005 (année de vacances 2006), la Caisse de vacances à laquelle l’employeur est affilié prend la décision de refuser le paiement du pécule de vacances pour les journées de chômage économique subies par Monsieur A. pendant l’année 2005. Selon la Caisse, il y a chômage structurel.

Monsieur A. introduit un recours contre cette décision devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Décision du Tribunal

Le Tribunal considère qu’il appartient à la Caisse de prouver qu’il n’y a pas de chômage économique pour justifier sa décision de refus d’assimilation de la période de chômage économique pour le calcul du pécule de vacances. Il estime que les éléments avancés ne sont pas suffisamment circonstanciés pour démontrer que la suspension du contrat serait la conséquence d’une organisation déficiente ou d’une mauvaise gestion de l’entreprise. Il rejette encore le caractère structurel dudit chômage, dès lors que la régularité de la suspension, de même que sa longueur, ne démontrent pas l’inexistence de raisons économiques sérieuses entrainant un manque de travail temporaire.

Décision de la Cour

La Cour commence par reprendre les principes applicables à la question litigieuse.

Elle rappelle ainsi que, pour le calcul du pécule de vacances, il y a lieu de tenir compte d’une rémunération fictive pour certaines journées d’inactivité assimilées à des journées de travail, parmi lesquelles figurent les journées de suspension en application de l’article 51 de la loi du 3 juillet 1978. Elle rappelle encore que la notion de manque de travail résultant de causes économiques contenue dans l’article 51 n’est pas définie et relève que le manque de travail doit être imputable à une baisse de la demande, à l’arrivée sur le marché de produits de substitution, à une surproduction, à des difficultés d’exploitation, etc.

Quant au contrôle de la réalité de la cause de suspension et du manque de travail résultant de causes économiques, la Cour rappelle que, jusqu’à la modification de l’arrêté royal du 30 mars 1967 par l’arrêté du 10 novembre 2004, il était admis que seul l’ONEm pouvait vérifier la réalité de la cause de suspension et que les journées assimilées pour le pécule de vacances devaient être celles reconnues par l’ONEm.

La Cour rappelle cependant que ce principe a été inversé par la nouvelle réglementation, qui confie un pouvoir de vérification autonome et indépendant à l’ONVA et aux Caisses de vacances. La Cour souligne par ailleurs que la réglementation indique désormais les motifs pour lesquels l’assimilation peut être refusée.

En conséquence, elle examine les données de l’espèce et relève que, depuis 2002, les journées de travail de Monsieur A. sont systématiquement inférieures aux journées pendant lesquelles il est mis en chômage économique. La Cour relève donc qu’il y a persistance du chômage pendant plusieurs exercices de manière quasi continue, tandis qu’existe un déséquilibre entre les journées de chômage et les jours de travail.

La Cour considère dès lors que le chômage est structurel au sens défini par la réglementation, ce qui est encore confirmé par la situation des autres travailleurs de l’entreprise, qui sont également plus souvent mis en chômage économique qu’au travail.

Enfin, la Cour relève qu’il importe peu que la Caisse se soit enquise des motifs du chômage économique tels que notifiés à l’ONEm, et ce vu son pouvoir d’appréciation autonome.

Intérêt de la décision

Cet arrêt met en lumière une problématique assez cruelle pour les ouvriers. Depuis la modification de la réglementation par l’arrêté royal du 10 novembre 2004, les ouvriers qui sont mis en chômage économique par l’employeur, chômage économique admis et indemnisé par l’ONEm, pourraient se voir refuser le calcul du pécule de vacances (et du droit aux vacances) sur les journées de chômage économique. La nouvelle réglementation institue en effet un pouvoir de contrôle autonome et indépendant dans le chef de l’ONVA et des Caisses de vacances.

La réglementation indique par ailleurs les motifs pour lesquels l’assimilation peut être refusée, parmi lesquels figure le fait que le chômage présente un caractère structurel. La réglementation donne une indication de ce qui peut être considéré comme étant un chômage structurel (à savoir le manque de travail qui est propre à la nature de l’activité de l’entreprise ou du secteur, ou qui vise à devenir permanent par le fait qu’il persiste de manière presque ininterrompue durant plusieurs exercices ou présente un déséquilibre par rapport aux prestations de travail des mêmes travailleurs).

Cette précision est, à notre sens, assez malheureuse, dès lors qu’en réalité ce qu’il convient d’examiner est l’existence des motifs économiques qui sous-tendent le manque de travail invoqué par l’employeur. Le fait que le manque de travail soit fréquent n’exclut pas que des raisons économiques sérieuses expliquent ce manque de travail, raisons qui pourraient d’ailleurs être différentes d’une année à l’autre, voire encore d’une période de chômage économique à une autre. C’est ainsi que la Cour du travail de Liège avait considéré, dans un arrêt du 7 décembre 1999 (R.G. 6.155/98), que : « L’argumentation de la caisse pour contester la réalité de l’existence d’un chômage économique au sein de l’entreprise se fonde exclusivement sur le nombre de journées de chômage relevées au cours des exercices précédents et suivants, tirant donc argument de la durée et de la fréquence des périodes de chômage alors qu’il convient de s’attarder aux raisons pour lesquelles l’employeur a dû recourir à la suspension des contrats,…aucun élément précis permettant d’identifier l’existence ou l’inexistence des motifs économiques n’est avancé ».

Il apparaît plus pertinent de fonder l’exclusion de l’assimilation sur les causes économiques elles-mêmes, qui entrainent le manque de travail et justifient le recours au chômage temporaire, et ce sur la base de l’examen concret de la situation de l’entreprise.

Soulignons encore que, dans le litige de l’assimilation, l’ouvrier est sans moyens pour expliquer ou exposer quelles sont les difficultés auxquelles son employeur a dû faire face pendant l’exercice de vacances et que, en tout état de cause, il ne dispose pas des éléments de preuve indispensables pour étayer le recours au chômage économique opéré par l’employeur. La mise à la cause de l’employeur dans le cadre du litige avec l’ONVA apparaît par ailleurs délicate, dès lors qu’elle contraint le travailleur à assigner son employeur en justice alors que le contrat de travail est peut-être en cours.

L’on ne peut dès lors que plaider pour une application circonspecte des exemples repris dans l’arrêté royal, qui ne devraient pas s’imposer comme critères pour déterminer l’existence du chômage temporaire, sous peine de pénaliser deux fois l’ouvrier (celui-ci n’ayant, du fait de la mise en chômage économique, pas perçu son salaire mais des allocations de chômage).


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